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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

choses de l'amour ; et de même pour les autres Muses, selon la nature du<br />

culte dont chacune est honorée : à l'aînée, Calliope, et à sa cadette, Uranie,<br />

elles font la musique propre aux Muses en question ; elles qui, ayant, plus<br />

que toutes les autres, rapport aux choses du Ciel et aux propos qui<br />

concernent aussi bien les Dieux que les hommes, font entendre des accents<br />

d'une supérieure beauté. Multiples sont donc, tu le vois, nos raisons de parler<br />

et de ne point, à l'heure de midi, nous abandonner au sommeil (258-259d).<br />

Puisque le récit a cette relation privilégiée avec la voix pleine et vivante, on<br />

présume que « les accents d'une supérieure beauté » sont ceux du conteur tout<br />

comme du chanteur ; le philosophe, bien sûr, n'est pas exclu, et il est mentionné tout<br />

naturellement comme compagnon de celui qui cultive la musique. <strong>Le</strong> mythe des<br />

cigales nous parle de l'origine divine du chant-récit, de sa valeur métaphysique : le<br />

conte nous raconte comment le royaume de la fabulation participe aux Idées. Fort<br />

heureusement, Socrate et Phèdre ne se sont pas abandonnés à la sieste, ils ne se sont<br />

pas ridiculisés auprès des cigales. <strong>Le</strong>s Muses, encore, reconnaîtront leurs hommes<br />

amis.<br />

L'ÉLOGE DE LA RATIONALITÉ NARRATIVE<br />

Pourquoi épiloguer après la ronde des contes ? Je suis bien conscient d'avoir<br />

« inventé » un Platon en hypostasiant sa puissance narrative. Platon, est-il un<br />

philosophe-conteur ou un conteur-philosophe ? N'importe pour mon propos. Une<br />

énorme littérature et une excellente exégèse ont été consacrées à la relation de logos<br />

et muthos chez Platon (voir, entre autres, la présentation de Moors 1982 et de<br />

Zaslavsky 1981), et on assiste depuis le début de ce siècle à une véritable<br />

réévaluation des récits platoniciens. Non pas seulement en eux-mêmes, comme des<br />

produits littéraires ou poétiques, mais plus particulièrement en tant que porteurs de la<br />

pensée philosophique de Platon. A. Stewart introduit en 1905 (dans son livre The<br />

Myths of Plato, London) l'idée kantienne que le mythe comporte le « sentiment<br />

transcendantal » qui est la condition de possibilité de la pensée philosophique. Cette<br />

réévaluation culmine dans le livre remarquable de Frutiger (1930), qui partant de la<br />

haute considération pour le mythique platonicien, classifie et organise ce royaume de<br />

la fabulation selon des critères de la plus sérieuse philologie. Toutefois, il faut<br />

admettre qu'il n'y a de consensus parmi les « mythologues », et on peut distinguer au<br />

moins trois positions cohérentes concernant cette relation du logos et du muthos, du<br />

philosophique et du mythologique, de l'argumentatif et du narratif. La position<br />

minimalisante consiste dans la conception du mythique comme le préphilosophique<br />

: Platon raconte des histoires quand il ne dispose pas d'une meilleure<br />

procédure, dialectique cette fois. <strong>Le</strong> mythique est ainsi provisoire et jugé à cause<br />

d'une finalité qui privilégie la rationalité argumentative. <strong>Le</strong>s tenants de cette position<br />

admettent volontiers que les conceptions de Platon et d'Aristote ne sont pas tellement<br />

différentes (au sens aristotélicien du mythique comme une heuristique<br />

philosophique ; voir Verbeke 1986). Une position intermédiaire (celle de Brisson<br />

1982) est plus complexe et par conséquent plus intéressante. Il y a un usage central<br />

du vocable muthos dans le corpus platonicien, et un usage dérivé. L'usage central<br />

voit le mythe comme fait de communication collective : muthos est assimilé à logos<br />

comme « pensée qui s'exprime, avis » (Brisson 1982, 113). Mais même selon cet<br />

usage central, muthos s'oppose à logos « comme le discours invérifiable au discours

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