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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

s'agit, comme on se le rappelle, des trois classes de l'État, mais je transcris la fable<br />

pour le pur plaisir de la lecture :<br />

Vous tous qui faites partie de la Cité (voilà ce que nous déclarerons, en leur<br />

contant cette histoire), c'est entendu désormais, vous être frères ! Mais le<br />

Dieu qui vous façonne, en produisant ceux d'entre vous qui sont faits pour<br />

commander, a mêlé de l'or à leur substance, ce qui explique qu'ils soient au<br />

rang le plus honorable ; de l'argent, chez ceux qui sont faits pour servir<br />

d'auxiliaires ; du fer et du bronze, dans les cultivateurs et chez les hommes de<br />

métier en général. En conséquence, puisque entre vous tous il y a<br />

communauté d'origine, il est probable que généralement vous engendrerez<br />

des enfants à votre propre ressemblance ; mais possible aussi que parfois<br />

d'un rejeton d'or il en naisse un qui soit d'argent et que d'un qui est en<br />

argent, en naisse un autre qui soit d'or, avec une pareille réciprocité dans<br />

tous les autres cas. (III, 415a-b).<br />

Si on peut mentir en racontant, c'est que non seulement le discours<br />

argumentatif doit être au service de la vérité, mais le muthos, la fabulation elle aussi.<br />

Pour utiliser une terminologie contemporaine, le récit n'est pas de la fiction en ce que<br />

la fiction se réfère seulement à des mondes possibles : en effet, il est assez paradoxal<br />

d'affirmer que l'on peut « mentir », qu'il y a « du faux dans le langage » par un<br />

discours fictionnel. L'histoire des Phéniciens est donc hautement auto-réflexive : il y<br />

a des histoires vraies et fausses, et à l'égard de la Vérité il n'y a pas de véritable<br />

distinction entre la mythologie et la philosophie, entre le récit et l'argument.<br />

Retournons à Phèdre où le mythe de Teuth nous réserve d'autres<br />

considérations meta-narratives. Socrate raconte l'histoire suivante :<br />

Ce qu'on m'a donc conté, c'est que, dans la région de Naucratis en Égypte, a<br />

vécu un des antiques Dieux de ce pays-là, celui dont l'emblème consacré est<br />

cet oiseau qu'ils nomment l'ibis, et que Teuth est le nom de ce Dieu ; c'est lui,<br />

me disait-on, qui le premier inventa le nombre et le calcul, la géométrie et<br />

l'astronomie, sans parler du tric-trac et des dés, enfin précisément les lettres<br />

de l'écriture. Or, d'autre part, l'Égypte entière avait pour roi en ce même<br />

temps Thamous, qui résidait dans la région de cette grande ville du haut pays<br />

que les Grecs appellent Thèbes d'Égypte, comme Thamous est pour eux le<br />

Dieu Ammon. Theuth, s'étant rendu près du roi, lui présenta ses inventions,<br />

en lui disant que le reste des Égyptiens devrait en bénéficier. Quant au roi, il<br />

l'interrogea sur l'utilité que chacune d'elles pouvait bien avoir, et, selon que<br />

les explications de l'autre lui paraissaient satisfaisantes ou non, il blâmait<br />

ceci ou louait cela. Nombreuses furent assurément, à ce qu'on rapporte, les<br />

observations que fit Thamous à Theuth, dans l'un ou l'autre sens, au sujet de<br />

chaque art, et dont une relation détaillée serait bien longue. Mais, quand on<br />

en fut aux lettres de l'écriture : « Voilà, dit Theuth, la connaissance, ô Roi,<br />

qui procurera aux Égyptiens plus de science et plus de souvenirs ; car le<br />

défaut de mémoire et le manque de science ont trouvé leur remède ! » A quoi<br />

le roi répondit : « O Theuth, découvreur d'arts sans rival, autre est celui qui<br />

est capable de mettre au jour les procédés d'un art, autre celui qui l'est,<br />

d'apprécier quel en est le lot de dommage ou d'utilité pour les hommes<br />

appelés à s'en servir ! Et voilà maintenant que toi, en ta qualité de père des<br />

lettres de l'écriture, tu te plais à doter ton enfant d'un pouvoir contraire de<br />

celui qu'il possède. Car cette invention, en dispensant les hommes d'exercer<br />

leur mémoire, produira l'oubli dans l'âme de ceux qui en auront acquis la<br />

connaissance ; en tant que confiants dans l'écriture, ils chercheront au-

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