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Le Conte

Tout sur les contes

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LES CONTES DE PLATON OU L'ÉLOGE DE LA RATIONALITÉ NARRATIVE<br />

limite le mal, par se laisse mener sur cette route ; ils ont cédé et consenti à<br />

faire ce à quoi on les invite ! (253c-254b).<br />

Ce texte, cité pour sa beauté, est donc extrait de ce second discours de<br />

Socrate, cet « exposé humain » qui s'oppose au premier étant plutôt marqué par de la<br />

spéculation abstraite. Phèdre dit bien, une fois le conte achevé, à Socrate : « Quant à<br />

ton discours, depuis longtemps je m'émerveille que tu aies à ce point réussi à la faire<br />

plus beau que le précédent » (257c). Pourtant, Socrate le conteur n'est pas un<br />

logographe, un « fabriquant de discours » (257e) : le conte socratique, de par sa<br />

beauté, ayant en même temps la beauté/amour comme son objet, met en scène la<br />

vérité elle aussi. <strong>Le</strong> conte a valeur d'argument, et sa force argumentative est<br />

supérieure à celle d'un raisonnement abstrait.<br />

La « fabulation platonicienne » (Schuhl 1947) a force conclusive : le mythe<br />

d'Er couronne toute l'argumentation de cet immense monument qu'est la République.<br />

Une fois l'histoire d'Er et son passage par le fleuve de la plaine Lèthè racontée, plus<br />

rien ne doit être ajouté : aucune conclusion, aucune « traduction » en langage abstrait<br />

et spéculatif, aucune morale, ne doivent être ajoutées : le conte a le dernier mot. En<br />

plus, comme le dit l'Épilogue, c'est le récit même d'Er, fort heureusement sauvé, qui<br />

nous fait savoir, comme unique source possible, ce qu'il en est de la justice et de la<br />

bonté. La possibilité même d'une politique de justice dans la cité est en fait<br />

dépendante de ce que le récit d'Er met en scène comme Idée de justice. La<br />

République, en effet, s'achève ainsi :<br />

C'est comme cela, Glaucon, qu'a été sauvé le récit et que, n'ayant point péri,<br />

il pourra nous sauver nous aussi, si nous y ajoutons foi ; nous passerons<br />

alors dans de bonnes conditions le fleuve de la plaine du Lèthè et nous ne<br />

souillerons pas notre âme. Voyez-vous ! si en ma parole nous avez foi, tenant<br />

alors pour certaine l'immortalité de notre âme et la réceptivité dont elle est<br />

capable à l'égard de tous les maux et, d'un autre côté, à l'égard de tous les<br />

biens, nous tiendrons constamment la route d'en haut et nous ferons tout ce<br />

qui dépendra de nous pour pratiquer la justice avec un concours de la<br />

pensée : afin d'être chers à nous-mêmes comme aux dieux, aussi bien, tant<br />

que nous demeurerons ici-bas, qu'en obtenant pour nous les prix que mérite<br />

la justice ; afin que, pareils aux vainqueurs qui font autour du stade leur<br />

collecte, nous ayons aussi bon succès ici-bas que dans ce voyage de mille<br />

années dont nous avons dit l'histoire. (X, 621b-d).<br />

Dans ce royaume de la fabulation qu'est l'œuvre de Platon, il y a nombre de<br />

micro-récits qui sont par leur auto-réflexivité également des meta-récits. C'est plutôt<br />

par hasard que je choisis ainsi le mythe des Phéniciens dans la République III, le<br />

mythe de Teuth et le mythe des cigales dans Phèdre. <strong>Le</strong> premier nous parle du<br />

danger du mensonge et des croyances pour les récits aussi bien que pour l'argument<br />

philosophique ; le second introduit la nécessité du lien avec la mémoire pour tout<br />

discours qui tend vers la vérité ; et le troisième évoque l'origine divine, et donc, la<br />

pertinence métaphysique, du chant et du récit.<br />

On peut mentir en racontant des histoires, et les Phéniciens savent comment<br />

le faire. C'est une fable qui met « du faux dans le langage » (La République III,<br />

414e), et à la question « Or, cette histoire, possèdes-tu quelque moyen de faire qu'on<br />

y croie ? », on répond : « Pas le moindre moyen, du moins à l'égard de ceux auxquels<br />

justement tu supposes qu'on la raconte. Je le posséderais cependant, s'il s'agissait de<br />

leurs fils, de la postérité de ceux-ci, enfin de toute l'humanité future ! » (415c-d). Il<br />

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