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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

commencer par celle de l'excellent Frutiger 1930). Je ne prétends évidemment à<br />

aucune exhaustivité quand j'évoque quelques contes de Platon. <strong>Le</strong> mythe de la<br />

création dans le Timée, d'Éros dans le Symposion, d'Atlantis dans le Criton, de la<br />

terre et du souterrain dans le Phédon, autant d'exemples de cet univers narratif. Je<br />

n'évoquerai que quelques contes et précisément ceux-là qui sont (au moins<br />

partiellement) « autoréflexifs » : des contes où Platon nous parle de la nature et de la<br />

fonction des contes. Si Vérité, Beauté/Amour et Bonté/Justice sont les trois<br />

philosophèmes logiquement fondamentaux du discours platonicien, il va s'en suivre<br />

que trois mythes fondamentaux dominent le paysage narratif : le mythe de la caverne<br />

dans la République VII, le mythe du cocher dans Phèdre, et le mythe d'Er dans la<br />

République X. L'allégorie de la caverne dont le caractère mythique est contesté par<br />

Frutiger (1930, 101 ss.) est trop connue pour s'y attarder, et je passe aux mythes du<br />

cocher et d'Er pour indiquer seulement deux aspects de la conception platonicienne<br />

de la narrativité : d'abord, le narratif peut être supérieur à l'abstrait, et ensuite le<br />

narratif peut être conclusif en tant qu'argument pour une position spéculative. <strong>Le</strong><br />

mythe du cocher, dans Phèdre, fait partie d'un second discours de Socrate : pour<br />

parler de la nature de l'âme, « voici comment il en faut parler : dire quelle est cette<br />

nature est l'objet d'un exposé en tout point absolument divin et bien long, mais dire à<br />

quoi elle ressemble, l'objet d'un exposé humain et moins étendu » (246a). Cet exposé<br />

humain et moins étendu est en fait un conte qui par sa beauté et sa vérité est<br />

supérieur au discours abstrait. Par sa beauté, comme on peut en juger dès que<br />

l'allégorie est introduite :<br />

Conformons-nous à la division_ de chaque âme en trois parties, dont deux<br />

ont forme de cheval et la troisième forme de cocher ; ces déterminants, à<br />

présent encore, nous devrons les garder. Des deux chevaux, donc, l'un<br />

disons-nous, est bon, mais l'autre ne l'est pas. Or en quoi consiste le mérite<br />

de celui qui est bon, le vice de celui qui est vicieux : c'est un point sur lequel<br />

nous ne nous sommes point expliqués et dont il y a lieu de parler à présent.<br />

L'un des deux, disons-le donc, qui est en plus belle condition, qui est de<br />

proportions correctes et bien découpé, qui a l'encolure haute, un chanfrein<br />

d'une courbe légère, blanc de robe et les yeux noirs, amoureux d'une gloire<br />

dont ne se séparent pas sagesse et réserve, compagnon de l'opinion vraie, se<br />

laisse mener sans que le cocher le frappe, rien que par les encouragements de<br />

celui-ci et à la voix. L'autre, inversement, qui est mal tourné, massif,<br />

charpenté on ne sait comme : l'encolure lourde, la nuque courte ; un masque<br />

camard ; noir de robe et les yeux clairs pas mal injectés de sang ; compagnon<br />

de la démesure et de la vantardise ; une toison dans les oreilles, sourd, à<br />

peine docile au fouet et aux pointes. Or donc, quand le cocher, à la vue de<br />

l'amoureuse apparition, ayant, du fait de cette sensation, échauffé la totalité<br />

de l'âme, est déjà presque tout plein de chatouillements et de piqûres sous<br />

l'action du désir, à ce moment, celui des chevaux qui est parfaitement docile<br />

au cocher, qui, alors, comme toujours, est sous l'impérieuse contrainte de sa<br />

réserve, se retient spontanément de bondir sur l'aimé ; tandis que l'autre ne<br />

se laisse plus émouvoir, ni par les pointes du cocher, ni par son fouet, mais,<br />

d'un saut, il s'y porte, violemment, et, causant à son compagnon d'attelage,<br />

comme à son cocher, toutes les difficultés possibles, il les force à avancer<br />

dans la direction du mignon et à lui vanter le charme des plaisirs d'amour !<br />

Tous deux, pour commencer, résistent avec force, indignés qu'on les oblige à<br />

des choses horribles et que condamne la loi ; mais ils finissent, quand rien ne

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