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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

pour les mythes du progrès, de la « découverte » et même de la recherche<br />

scientifique, pourtant omniprésents en science et en philosophie. C'est comme si<br />

toute passion, toute émotion était de fait absente du discours scientifique ou<br />

philosophique. On peut aisément montrer pourtant qu'un argument scientifique ne<br />

repose pas nécessairement et même pas principalement sur des procès inductifs ou<br />

déductifs mais bien plutôt sur des procès d'abduction, pour introduire une notion de<br />

l'épistémologie de Peirce.<br />

L'abduction, responsable de bien des « découvertes » en science et en<br />

philosophie, est basée sur le sentiment et l'intuition, et c'est à travers sa<br />

méthodologie essentiellement abductive que la rationalité scientifique n'est pas<br />

isolable des passions (théoriques, par exemple, comme la curiosité) et les émotions<br />

(voir Parret 1986). Par conséquent, que le texte philosophique ou scientifique<br />

fonctionne en tant que séquence narratologiquement analysable, veut dire tout<br />

simplement que l'on assume le statut argumentatif de ce type de textes. En second<br />

lieu, je voudrais mentionner une donnée sans doute plus précise : les textes<br />

scientifiques contiennent des stratégies explicites de persuasion et de manipulation.<br />

L'homme de science emploie des techniques canoniques manifestant un savoir-faire.<br />

Ces stratégies et techniques trahissent une structure de pouvoir (par exemple,<br />

l'asymétrie académique entre le professeur et l'étudiant, l'establishement scientifique)<br />

et une appropriation par l'homme de science d’une déontologie qui le force à agir<br />

selon les obligations que la Science (avec majuscule) et la Société lui imposent. En<br />

troisième lieu, je pense à un thème plus local mais analysable en termes<br />

narratologiques : la temporalité spécifiquement organisée du discours argumentatif.<br />

On constate une téléologie prototypique du texte scientifique : on va du problème à<br />

la solution, de l'échec à la victoire. Ici encore, il faudra combattre le mythe artificiel<br />

de l'homme de science, c'est-à-dire l'idée que le discours scientifique est anhistorique<br />

(en fait, « éternel ») et qu'il ne comporte aucune temporalité interne. Dans ce<br />

domaine également, la narratologie dispose de concepts qui déconstruisent ce mythe<br />

scientiste, indiquant, entre autres, l'importance des embrayages et des débrayages<br />

temporels dans les textes philosophiques et scientifiques (pour les notions<br />

d’« embrayage » et de « débrayage », voir Greimas et Courtés 1979). En quatrième<br />

lieu, il se révélerait extrêmement fructueux d'appliquer le schéma actantiel au<br />

discours argumentatif. La « voix » de l'homme de science ou du philosophe dans son<br />

texte fonctionne comme un actant auquel s'opposent des anti-sujets (projetés par<br />

l'actant lui-même) et des co-sujets (par exemple, certains courants ou traditions<br />

scientifiques, généralement souvent cités par l'actant). L'anti-actant est un opposant<br />

imaginaire et sa présence dans le texte ouvre la possibilité d'une discussion interne<br />

ou d'un dialogue implicite ou caché. On n'admet pas facilement que le texte<br />

argumentatif est nécessairement polémique : pourtant, l'homme de science et le<br />

philosophe projettent des solidarités et des oppositions dans leur texte, ils se créent<br />

des opposants et des adjuvants. Ces caractéristiques du texte argumentatif ne sont<br />

pas psycho-sociologiques : elles sont structurales en ce qu'elles sont immanentes au<br />

discours argumentatif de la science et de la philosophie elles-mêmes. J'introduis, en<br />

cinquième lieu, une dernière remarque concernant ce que l'on pourrait appeler la<br />

relativité épistémique du discours argumentatif. Je pense au fait que la connaissance,<br />

qu'elle soit scientifique ou philosophique, n'est jamais indépendante d'autres états et<br />

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