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Le Conte

Tout sur les contes

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LES CONTES DE PLATON OU L'ÉLOGE DE LA RATIONALITÉ NARRATIVE<br />

philosophies du langage et de linguistiques présupposent que la communication est<br />

basée sur la coopération, la charité et l'humanité (pour reprendre les termes en vogue<br />

introduits respectivement par Grice, Davidson et Quine). La charité, par exemple,<br />

exige que l'intention finale et globale de l'argumentation soit la vérité et sa<br />

communication, et<br />

Davidson se fait fort que cette exigence même est indésirée par les membres<br />

de la communauté communicative. <strong>Le</strong>s narratologistes, au contraire, attaquent cette<br />

conception de l'intersubjectivité en insistant sur le fait que toute relation entre sujets<br />

interagissants est nécessairement et essentiellement conflictuelle. Cette (hypo)thèse<br />

correspond évidemment à des intuitions multiples en anthropologie, en psychanalyse<br />

et en philosophie (voir Meyer 1986 a). A l'origine, il y a le conflit, et le programme<br />

narratif est en fait un programme de pacification aboutissant au contrat. Nul ne<br />

doute que des séquences argumentatives pourraient facilement être analysées sur<br />

l'axe du conflit au contrat. Tout comme les récits, les arguments sont des quêtes de<br />

victoire. <strong>Le</strong>s stratégies de persuasion et de délibération sont au cœur même de<br />

l'argumentation : con-vaincre est vaincre, gagner une victoire, en pacifiant.<br />

Ces quelques indications concernant la pragmatisation de la narratologie et la<br />

sémiotisation de la théorie de l'argumentation sont évidemment d'une grande<br />

généralité et peu opérationalisées. J'introduis en ce lieu quelques spécifications<br />

concernant l'apport éventuel de la méthodologie narratologique dans le domaine des<br />

structures argumentatives. J'admets volontiers que le modèle narratologique (<strong>Le</strong>vi-<br />

Strauss, Greimas et son école) aura des limitations intrinsèques à l'égard du<br />

phénomène argumentatif aussi longtemps que ce modèle ne sera pas « pragmatisé »,<br />

mais l'apport pourrait être (provisoirement) local et partiel. <strong>Le</strong> premiers objets<br />

d'analyse narratologique sont ces types de discours où l'argumentation est<br />

essentielle : le discours scientifique et philosophique. Il est clair que l'argumentation<br />

dans un dialogue quotidien ou dans une conversation ordinaire est plus subtile et<br />

plus difficile à reconstruire. Il est intéressant, pourtant, de constater que des éléments<br />

narratifs dans ces types de discours ont fréquemment une valeur argumentative.<br />

J'entrevois trois constellations. D'abord, le cas où des récits fonctionnent en tant<br />

qu'illustration d'un argument. Ensuite, le cas plus subtil où un récit remplace un<br />

argument ou une séquence de l'argument (une prémisse de syllogisme, par exemple).<br />

Enfin, le cas le plus intéressant où une séquence argumentative, dans un<br />

discours scientifique ou philosophique, fonctionne comme un récit. Une séquence<br />

argumentative peut être structurée comme une séquence narrative. Je me permets de<br />

signaler maintenant cinq aspects empiriques qui justifient une telle supposition. En<br />

premier lieu, l'analyse narratologique démontre que les discours philosophique et<br />

scientifique sont argumentatifs. Ceci semble à première vue trivial et simple.<br />

Pourtant, on ne saurait oublier que bien des philosophes et d'hommes de<br />

science sont toujours portés par l'idée traditionnelle et « métaphysique » que leur<br />

discours est purement descriptif, qu'il reflète la réalité comme un miroir, qu'il<br />

disparaît en fin de compte devant l'objectivité transcendante. L'analyse<br />

narratologique de textes philosophiques et scientifiques devrait mettre en lumière<br />

l'énorme poids de la persuasion, de la manipulation et de la séduction dans ces<br />

textes, en somme le poids déterminant de la rhétorique (qui ne peut être avoué) sur le<br />

texte soi-disant « transparent ». J'ai déjà fait allusion à la méfiance narratologique<br />

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