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LE CONTE<br />
Cet effort de reconstruction en profondeur fera disparaître ainsi trois<br />
paramètres qui sont pourtant considérés comme extrêmement centraux en théorie de<br />
l'argumentation : il s'agit de la mise entre parenthèses de la subjectivité, de la<br />
rationalité inférentielle et de l'intentionalité évaluative. En premier lieu, les textes,<br />
les contes et les histoires sont des objets éternels et leur sens n'est d'aucune façon<br />
dépendant des conditions de production et de réception de ces objets. La<br />
narratologie sémiotique n'est en fait pas très loin de la sémantique formelle : il n'y a<br />
pas d'intermédiation subjective (personne, temps, espace) dans la structure<br />
significative des narrations. <strong>Le</strong>s récits sont des discours « idéaux », ils fonctionnent<br />
comme des « écritures blanches » (selon un mot de Roland Barthes) puisqu'on peut<br />
faire abstraction de tout engagement ou investissement subjectif quand on les<br />
analyse. <strong>Le</strong>s structuralistes - et les narratologues et sémioticiens sont en fait des<br />
structuralistes - considèrent le sujet plutôt comme un effet (en plus, illusoire) d'une<br />
structure et non pas comme le moteur responsable pour la dynamique narrative. En<br />
second lieu, c'est la rationalité inférentielle qui, en tant que phénomène « de<br />
surface », disparaît au cours de la reconstruction en profondeur. Il est vrai que<br />
l'actant narratologique en tant que fonction du programme narratif a à sa disposition<br />
une compétence : le développement canonique du programme se réalise de manière<br />
compétente. Une compétence, dans le modèle narratologique, est un savoir-faire non<br />
pas idéosyncratique ou unique (il n'y a pas, par conséquent, de véritable « créativité »<br />
dans la performance narrative) puisque ce savoir-faire reflète la trajectoire narrative,<br />
et inversement. <strong>Le</strong> « contenu » de la compétence actantielle n'est que le contenu de<br />
la trajectoire narrative, et c'est ainsi que la compétence actantielle n'est pas plus<br />
« riche » en virtualités ou en possibilités subjectives que le programme narratif luimême.<br />
Depuis Propp, les narratologues ont toujours admis implicitement que la<br />
narrativité est structurée comme une chaîne causale, que le déploiement du<br />
programme est nécessairement causal-linéaire. Ceci constitue la raison principale<br />
pour laquelle l'approche narratologique semble incapable d'interpréter le progrès et<br />
la dynamique d'un programme réalisé par des procédures de raisonnement et de<br />
rationalité inférentielle. On sait qu'il y a des états épistémiques (des connaissances et<br />
des croyances) caractérisant les actants mais ces états n'impliquent jamais le<br />
raisonnement. <strong>Le</strong> déploiement du programme narratif se réalise par causes (par<br />
définition indépendantes de la subjectivité) et non pas par raisons (produites par le<br />
sujet raisonneur). En dernier lieu, toute narratologie présuppose la mise entre<br />
parenthèses de l'intentionnalité évaluative. <strong>Le</strong> schéma narratif ne manifeste aucune<br />
motivation par des buts particuliers ou généraux :<br />
il n'y a pas d'origine anthropologique ou pragmaticiste des actes et actions<br />
dans les récits ; il y a seulement une « tensivité » intérieure au récit, celle qui pousse<br />
les actants à passer d'une étape à l'autre le long des programmes narratifs selon des<br />
procédures universelles. Ces étapes sont reliées entre elles de manière fonctionnelle<br />
et il n'y a aucune possibilité de faire dévier le cours du programme par délibération<br />
ou même par consensus à l'intérieur de la communauté dans laquelle fonctionnent les<br />
récits. <strong>Le</strong> progrès du programme narratif n'est pas motivé par des décisions<br />
intentionnelles : tout progrès est réalisation nécessaire et automatique d'une<br />
succession d'étapes prédéterminées. Et il n'y a pas de buts par lesquels des intentions<br />
quelconques puissent être évalués.<br />
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