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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

théorie de l'argumentation renouvelée par C. Perelman et son école (voir Meyer<br />

1986). Échappant quelque peu à la paradigmatisation paralysante évoquée ci-dessus,<br />

on aurait pu constater qu'il y a plusieurs contextes dans lesquels il y a de<br />

l'argumentation dans les récits : les protagonistes formulent des arguments dans les<br />

dialogues et les conversations ; il y a des séquences narratives qui sont dominées par<br />

des motifs et des stratégies argumentatifs. Il y a également de la narrativité dans<br />

l'argumentation : la rhétorique de l'argumentation est intensifiée par la narration. Si<br />

l'on prend le discours philosophique ou scientifique comme un discours<br />

prototypiquement argumentatif, on pourrait se tourner sémiotiquement vers des<br />

fragments philosophiques, par exemple, pour constater que des éléments<br />

narratologiques ont le pouvoir de changer parfois radicalement la structure d'un<br />

argument philosophique. On trouvera maint exemple chez Platon (voir la seconde<br />

partie de cet article). Certains « genres » philosophiques exposent de manière plus<br />

évidente le philosophe à l'impact narratif que d'autres. Descartes écrit des Regulae,<br />

un Traité des Passions de l'Ame, un Discours de la Méthode, et des Méditations.<br />

Ceci constitue en fait un axe, et il est évident qu'une « méditation » s'expose plus à la<br />

narrativité qu'un « traité » et même qu'un « discours ». Si le Tractatus Theologico-<br />

Politicus chez Spinoza est « more geometrico », l'Éthique ne l'est pas : il est même<br />

possible d'analyser le raisonnement spinoziste dans l'Éthique comme un programme<br />

narratif : la dynamique de l'argumentation est réglée par des mouvements d'actants<br />

(en collaboration ou en opposition) à la recherche d'un objet de valeur commun. Estce<br />

trop téméraire de dire que certains « genres » philosophiques, pourtant marqués<br />

par de l'argumentativité explicite, sont particulièrement sensibles à une modification<br />

par la narrativité (voir Parret 1987) ?<br />

Ne procédons pas précipitamment. Il se pourrait même qu'il y a une<br />

incompatibilité certaine entre la narratologie et la théorie de l'argumentation vu leurs<br />

présuppositions épistémologiques respectives.<br />

La théorie de l'argumentation est aristotélicienne en ce qu'elle distingue les<br />

composantes dialectique et rhétorique de l'argumentation. La dialectique<br />

argumentative est le noyau, et la rhétorique la marge. Mais les deux composantes<br />

sont fondées sur une conception du raisonnement qui ne peut faire abstraction de la<br />

structure interne du raisonneur. Cette intuition se retrouve exemplairement dans le<br />

modèle triangulaire chez Peirce où le raisonnement est généré par l'interaction entre<br />

la structure de la séquence discursive porteuse du raisonnement, l'objet-référent du<br />

raisonnement et la structure interne (psycho-anthropologique) de celui qui raisonne,<br />

responsable d'interprétation. <strong>Le</strong> rationnel n'est pas défini par sa relation avec le réel<br />

ou avec l'objectivité du monde mais à travers les performances de l'être rationnel. Il<br />

y a donc un impact du pragmaticisme, et « pragmatisch », chez Kant entre autres,<br />

signifie la qualité d'une procédure ou d'une activité téléologiquement reliée à un<br />

ensemble de buts et d'intentions : ces buts ou intentions peuvent être idiosyncratiques<br />

(la motivation par la psychologie d'individus déterminés) mais ils sont<br />

nécessairement généraux en même temps (le but de tout raisonnement est ainsi la<br />

communicabilité ou l'homogénéisation des structures internes des raisonneurs). Si<br />

l'on accepte cette vue pragmaticiste du comportement rationnel et raisonnant, on<br />

évitera d'identifier la valeur d'un argument (son succès ou son échec) à sa valeur de<br />

vérité (sa vérité ou fausseté). En plus, les « raisons » qui motivent un argument ou<br />

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