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Le Conte

Tout sur les contes

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SHAHRAYAR ET LE DÉSIR DANS LE RÉCIT-CADRE DES MILLE ET UNE NUITS<br />

chance d'atteindre la jouissance se rétrécit à la manière de la peau de chagrin chaque<br />

fois qu'une vierge est mise à mort. Mais avant que Shahrayar ne disparaisse lui aussi,<br />

semblable à Raphaël, il faut l'intervention de Shéhérazade.<br />

SHÉHÉRAZADE OU LE DÉSIR DÉSIRÉ<br />

Pour comprendre totalement Shahrayar, il est important de revenir à sa plus<br />

tendre enfance. Or le conte sur cette période est muet. Muet aussi sur sa mère. <strong>Le</strong>s<br />

rois ont un père, qui est « roi d'entre les rois de Sasan ». L'absence de l'élément<br />

féminin doit être interprêté symboliquement, car Freud a mis en lumière le rôle<br />

déterminant de la mère :<br />

« _ elle ne se contente pas de nourrir, elle soigne l'enfant et éveille ainsi en lui<br />

maintes sensations physiques agréables ou désagréables. Grâce aux soins<br />

qu'elle lui prodigue, elle devient sa première séductrice. Par ces deux sortes de<br />

relations, la mère acquiert une importance unique, incomparable, inaltérable<br />

et permanente, et devient pour les deux sexes l'objet du premier et du plus<br />

puissant des amours, prototype de toutes les relations amoureuses<br />

ultérieures » 1 .<br />

L'absence de la mère peut donc altérer sensiblement la relation à la femme<br />

plus tard, celle qui devrait être la compagne. Or, il est à se demander à présent si les<br />

rois inconsciemment ne cherchent pas dans leur épouse l'image de leur mère<br />

impossible. Au lieu de trouver leur mère, ils découvrent le désir fait femme, le cri<br />

d'une attente : O Mas'ud, o Mas'ud, l'appel irréversible à l'amour.<br />

Shéhérazade se présente précisément à l'exact opposé des reines désireuses.<br />

Elle n'exprime rien en apparence ; elle ne s'adresse même pas à Shahrayar pour<br />

l'inciter à une quelconque performance ; elle ne désire rien mais se fait désirer. Grâce<br />

à son stratagème. En effet, Shahrayar mettait à mort la vierge qu'il venait d'épouser<br />

juste avant le lever du soleil ; il la mettait d'autant plus librement à mort qu'une fois<br />

consommée, elle ne représentait plus rien. <strong>Le</strong> plaisir qu'il venait d'en tirer s'abîmait<br />

aussitôt dans l'insatisfaction de l'âme momentanément endormie par l'exacerbation<br />

des sens. <strong>Le</strong> corps ou le sexe de l'autre est un leurre subtil sur lequel vient toujours<br />

mourir le désir. Cueillir la rose sur le corps de l'autre revient incontestablement à<br />

s'exposer à la plus cruelle des fenaisons ; car la rose fanée comme une herbe morte<br />

est vouée à la disparition. <strong>Le</strong>s vierges consommées étaient donc impuissantes à<br />

relancer le moindre désir. Or Shéhérazade choisit précisément cet instant-là, l'instant<br />

d'un amour parachevé au moment où éros rejoint thanatos ; or, pour Shéhérazade il<br />

importe d'échapper précisément à la mort ; il importe qu'un autre désir s'allume en<br />

Shahrayar. Elle fait donc surgir sa soeur Duniazade avec laquelle il était entendu que<br />

lorsque le Roi aurait terminé « sa chose » avec Shéhérazade, elle lui dirait : « O ma<br />

soeur, raconte-moi des contes merveilleux _ » 2 . Et c'est cette requête inattendue qui<br />

fut adressée au roi.<br />

Dunaziade seule pouvait réclamer à Shahrayar que sa soeur lui raconte une<br />

dernière histoire ; parce qu'elle était hors d'atteinte du « monteur », trop jeune pour<br />

être concrètement l'objet de son désir. Pour l'heure, il en voulait à Shéhérazade. La<br />

1 S. FREUD, Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 1978, 9° éd., p. 59.<br />

2 MARDRUS, p. 13<br />

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