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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

C'est la présence obsédante du Noir qui nous fournit une clef interprétative.<br />

<strong>Le</strong> symbolisme du Noir dans les Mille et Une Nuits est significatif. Il est avec l'âne<br />

l'image même du sexe tout puissant, inégalable et indomptable. Il est en négatif ce<br />

que le Roi devrait être en positif. <strong>Le</strong> carré sémiotique suivant met en lumière<br />

l'antagonisme de ce double du Roi et du Noir :<br />

non-pouvoir (impuissance) social<br />

Noir<br />

Esclave<br />

puissance<br />

sexuelle<br />

impuissance<br />

sexuelle<br />

Maître<br />

Blanc<br />

pouvoir (puissance) social<br />

<strong>Le</strong> Noir apparaît donc comme l'anti-roi ; socialement il est moins que lui mais<br />

fantasmatiquement il occupe sa place du roi auprès de la reine. Il craint que le Noir<br />

soit par excellence l'objet de son désir. La peur qu'inspire le Noir est celle d'une<br />

performance sexuelle supérieure à celle du roi. Cette peur du « noir » se retrouve<br />

encore dans la séquence de l'apparition de l'immense fumée noire sortant de la mer et<br />

se transformant en génie que la jeune femme menace de réveiller si les deux rois ne<br />

répondent pas à son désir impudique. En exigeant d'eux de faire l'amour sur les<br />

cornes mêmes de ce génie endormi, la jeune femme réclame peut-être « ce »<br />

précisément qui fait tant peur. Peur de n'être jamais assez « puissants ». Or la femme,<br />

elle, est peut-être la seule à le savoir vraiment. Elle en est le témoin. Shahrayar en<br />

tuant sa femme, puis toutes celles qui après elle le connaîtront, agit comme s'il<br />

voulait supprimer ce seul et unique témoin qui soit réellement capable de révéler si<br />

le roi est puissant, aussi puissant sinon plus que le Noir. Shahraman et Shahzaman en<br />

somme ne veulent donc voir que ce que la femme seule peut voir parce qu'elle seule<br />

le sait.<br />

Mais le désir qui anime alors Shahrayar, selon l'expression de R. Girard, « est<br />

porteur de lumière, mais d'une lumière qu'il met au service de sa propre obscurité » 1 .<br />

A l'aube de l'humanité le désir d'Eve aussi a échoué. Comme si le désir se portant sur<br />

un interdit ne pouvait que sombrer dans sa propre obscurité. Y aurait-il alors des<br />

choses qu'il ne faut pas voir, parce qu'on ne peut pas les voir ? La rose que portait<br />

Liénor sur sa cuisse dans les romans de la Rose était interdite au regard et au désir<br />

du chevalier. La littérature de tous les peuples sait dire à sa manière cet interdit.<br />

Shahrayar et sa postérité littéraire<br />

Maintenant que l'on devine un peu mieux le vrai désir de Shahrayar, il faut<br />

revenir au texte pour mesurer à quel point cette peur fantasmatique de l'impuissance<br />

est symbolisée. On a déjà mentionné le Noir et le Roi ; il faut relever aussi la<br />

symbolique des quatre animaux, l'âne et le boeuf, le coq et le chien, mentionnés dans<br />

la fable insérée dans le récit-cadre, comme s'il s'agissait d'une symbolique à un<br />

second niveau par rapport au récit-cadre.<br />

1 R. GIRARD, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset, 1978, p. 328.<br />

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