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LE CONTE<br />
un réponse. C'est que l'obsession de Shahrayar et d'une manière plus générale sa<br />
relation aux femmes, à la femme, intéresse tout homme. Car aucun n'échappe à cette<br />
réponse à donner. Shahrayar et l'auditeur se retrouvent donc subitement face à la<br />
même énigme. Par contre le fonctionnement des lampes et des bagues magiques, on<br />
le sait, n'affectent pas l'âme humaine. <strong>Le</strong>ur mystérieuse composition et leur<br />
mystérieux pouvoir sont en dehors du mystère du désir de l'homme. On ne pourra<br />
donc rien dire du « mystérieux » propre aux tapis volants : mais on n'aura jamais fini<br />
de dire et redire quelque chose de « sensé » du désir de l'homme. La question une<br />
fois pour toutes restera ouverte.<br />
La solution que nous apporterons dans ces quelques lignes sera celle que<br />
donne le désir : cette force intérieure qui pousse au meilleur comme au pire et sans<br />
laquelle les hommes jamais ne se rencontreraient. Quel est donc le circuit de cette<br />
puissance intarissable qui inerve d'un bout à l'autre ce récit-cadre dont l'artifice est de<br />
présenter au lecteur pourquoi Shéhérazade, selon l'édition de Calcutta II 1 , raconte<br />
ses 160 contes durant mille et une nuits ?<br />
LE DÉSIR DE SHAHRAYAR<br />
Au commencement du monde, si nous croyons la Bible, le destin de l'homme<br />
bascule d'un état de bonheur paradisiaque dans un état de souffrance et de peine, à<br />
partir du moment où Eve désirant la pomme désire être comme Dieu. Et Eve ne<br />
mangeait pas du fruit de l'arbre défendu par peur de la mort. <strong>Le</strong> serpent-tentateur lui<br />
suggère alors que répondre au désir conduit à autre chose que la mort. <strong>Le</strong> désir ne<br />
conduit pas à la mort mais au savoir, au divin. Serait-ce déjà l'image de la jouissance<br />
absolue ? « <strong>Le</strong> serpent expliqua à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas :<br />
Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez<br />
comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal ». Gen 3, 4-5. La suite du récit de<br />
la Genèse est bien connue. Eve céde au désir, entrainant dans sa chute Adam à qui<br />
elle fait également désirer « l'indésirable ». Eve et Adam sont chassés du Paradis et<br />
renvoyés au travail, à la sueur de leur front. <strong>Le</strong> désir, loin d'être lumineux, les<br />
enferme définitivement dans son obscurité.<br />
Au commencement, pourrions-nous dire, était donc le désir _ et bientôt Caïn<br />
assassinera Abel (Gen. 4, 8). Au commencement, pourrions-nous encore dire à<br />
propos du récit-cadre, était le désir de Shahrayar qui voulait voir son frère cadet _ et<br />
bientôt celui-ci tuera sa femme et plus tard Shahrayar tuera la sienne, puis chaque<br />
nuit durant trois ans, la vierge qu'il épousa. Pourquoi le désir s'accompagne-t-il,<br />
chaque fois, de tant de violence ? Pourquoi le désir a-t-il une telle complicité avec la<br />
mort ? Pourquoi celui qui cède au désir semble-t-il rater cette jouissance vers<br />
laquelle il a pourtant pointé son regard ? <strong>Le</strong> cas de Shahrayar guide notre réponse.<br />
Remarquons préalablement que Shahrayar gouverne « dans les îles de l'Inde<br />
et de la Chine » et Sharhraman, son frère, dans « Samarkand Al-Ajam » avec une<br />
justice exemplaire. « Ils furent tous deux à la limite de la dilatation et de<br />
l'épanouissement. Et ils ne cessèrent d'être ainsi jusqu'à ce que le roi le grand eût<br />
1 MACNAGHTEN, Book of the Thousand and one Nights commonly know as the « Arabian Nights<br />
Entertainments » now for the first time published complete in the original Arabic, from an Egyptian Ms.<br />
brought to India by the late Major Turner Macan _, Calcutta, 1839-1842.<br />
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