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LE CONTE<br />
lui est affecté par le texte est double. D'une part, la bécasse intervient activement<br />
dans la désignation, par le sort, du bénéficiaire du festin des têtes. Et d'autre part elle<br />
tient lieu de rémunération pour la performance du narrateur du conte.<br />
Rôle capital, assurément, dans sa duplicité : sans la bécasse, point de contrat,<br />
point de conte, point de recueil. Est-il possible, indépendamment de cette fonction<br />
génératrice du texte, de repérer un investissement sémantique particulier de la<br />
bécasse ? Je ne crois pas. On pourrait, sans doute, se laisser aller à voir en elle une<br />
figure de la mort. Mais cet investissement ne peut être que très diffus : il affecterait<br />
autant tout objet alimentaire d'origine animale. Non : ici, la véritable figure de la<br />
mort, c'est le pigeon, dont la mise à mort est explicitement mise en scène par le texte.<br />
Si nous lisons le recueil, nous y découvrons un autre conte, intitulé « La<br />
Folle ». Il manifeste immédiatement, et de la façon la plus explicite, l'étroite relation<br />
intertextuelle qui l'unit au premier texte :<br />
« Tenez, dit M. Mathieu d'Endolin, les bécasses me rappellent une bien<br />
sinistre anecdote de la guerre ».<br />
Ainsi inauguré, le récit se poursuit, et explicite la relation avec les bécasses :<br />
au cours de l’occupation prussienne, une femme – une folle – est expulsée de chez<br />
elle, en plein hiver, sur son matelas, par les occupants. On ne retrouve plus trace<br />
d’elle. A l’automne suivant, le narrateur, M. Mathieu d’Endolin, part à la chasse aux<br />
bécasses :<br />
« J'avais déjà tué quatre ou cinq oiseaux à long bec, quand j'en abattis un qui<br />
disparut dans un fossé plein de branches. Je fus obligé d'y descendre pour y ramasser<br />
ma bête. Je la trouvai tombée près d'une tête de mort ».<br />
Cette tête de mort, c'est la tête de la folle - morte de froid sous la neige, puis<br />
dévorée par les loups.<br />
On le voit : la bécase apparaît désormais comme la métonymie - au sens le<br />
plus strict du terme - de la Mort et de la Folie, qui entrent ici en syncrétisme. Cet<br />
investissement sémantique nouvellement acquis par la bécasse se trouve<br />
rétroactivement affecté à la bécasse du premier conte. Ce qui a pour effet de<br />
modifier complètement les données du contrat. Et si le contrat est modifié, c'est à son<br />
tour tout le sens de chacun des contes qu'il a générés qui s'en trouve atteint.<br />
On le voit : la brièveté du conte et de la nouvelle n'est pas seulement un<br />
aspect matériel du vêtement signifiant. Elle a des implications diverses sur leur<br />
fonctionnement sémiotique. Reste que, jusqu'à présent, j'ai traité globalement de la<br />
brièveté, comme si elle affectait au même titre le conte et la nouvelle. Est-il possible<br />
de les distinguer de ce point de vue ? Ici, l'opinion dominante - et, en matière de<br />
typologie des genres, il faut suivre l'opinion dominante - est que le conte est plus<br />
bref que la nouvelle. C'est par exemple ce que professe Albert-Marie Schmidt, dans<br />
son édition des <strong>Conte</strong>s et Nouvelles de Maupassant. Derrière cette différence entre<br />
les dimensions matérielles du conte et de la nouvelle - le premier plus bref que la<br />
seconde - se dissimule plus ou moins une opposition de structure. C'est celle dont je<br />
vais traiter maintenant.<br />
2. CONFORMITÉ DU CONTE VS NON-CONFORMITÉ DE LA NOUVELLE<br />
J'entends par cette opposition la façon différente dont s'articulent les plans du<br />
thématique et du figuratif dans le conte et la nouvelle. On aura reconnu l'appareil