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CONTE ET NOUVELLE<br />
même façon au XVII° et à l'époque contemporaine. Il faudra bien, pour fixer les<br />
idées, jeter un coup d'œil sur cette complexe évolution. Et, pourquoi pas ? pour<br />
commencer, repérer l'étymologie des deux mots, simplement pour fixer un point de<br />
départ, et se demander s'il laisse des traces dans l'opposition actuelle des deux<br />
notions.<br />
<strong>Conte</strong>, le plus ancien des deux mots, est un déverbal de conter. Il est attesté<br />
pour la première fois aux alentours de 1130-1140 dans un texte intitulé La<br />
conception Notre-Dame, de Wace. Il a dans ce texte le sens de « récit de choses<br />
vraies », au sens le plus naïf, le plus immédiat de vrai : un texte désignant un référent<br />
sans tromperie ni intention esthétique. Quant au verbe conter, d'où est issu notre<br />
conte, on sait qu'il représente le latin computare. Jusqu'en plein XVII° siècle, conter<br />
et compter sont restés graphiquement indistincts : trace conservée par la langue de<br />
l'indistinction originelle des deux opérations, qui ont en commun l'oralité. <strong>Conte</strong>r,<br />
c'est énumérer des événements, le conte, c'en est le compte.<br />
Quittons la préhistoire du mot. Très tôt, dès la fin du XII° siècle, il prend le<br />
sens de « récit d'aventures fait pour divertir ». Au XVI° siècle, il acquiert la<br />
possibilité de signifier « récit fait pour tromper ». Toutefois l'aspect véridique du<br />
conte subsiste longtemps, et apparaît encore dans l'article conte de la première<br />
édition - celle de 1694 - du Dictionnaire de l'Académie. Il se trouve encore,<br />
sporadiquement, dans la langue moderne, et le TLF en cite un emploi chez Giono. Et<br />
pourtant l'évolution du sens du mot le porte irrépressiblement du côté de la fictivité.<br />
D'où des expressions telles que conte bleu 1 , conte de bonne femme, conte à dormir<br />
debout. D'où également la spécialisation du mot conte dans le lexique de la typologie<br />
des genres littéraires : cette spécialisation intervient dès la fin du XII° siècle.<br />
<strong>Le</strong> non nouvelle, de son côté, n'est pas dérivé d'un verbe 2 , mais est issu de la<br />
nominalisation de l'adjectif nouvelle. Cette nominalisation intervient très tôt - dès<br />
la fin du XI° siècle, mais sans prendre d'emblée le sens moderne. Pourtant, on<br />
trouve sporadiquement, dès le XII° siècle, des emplois où le mot, qui a sans doute le<br />
sens d’« information sur des événements récents », pourrait sans difficulté<br />
s'accommoder du sens moderne ; ainsi chez Chrestien de Troyes : « Li un racontoient<br />
nouvelles, /Li autre parloient d'amors ». Exemple intéressant : il montre qu'il n'est<br />
pas aisé de distinguer l'un de l'autre deux sens possibles du mot nouvelle, d'un côté<br />
l'information brute, de l'autre le récit mis en forme.<br />
C'est cette difficulté qui incite les lexicographes à chercher - et à trouver - un<br />
élément extérieur pour dater le sens typologique du mot nouvelle. Cet élément<br />
extérieur, c'est l'emprunt à l'italien novella, qui, de même étymon que son équivalent<br />
français (l'adjectif latin novella), s'était déjà spécialisé dans le sens littéraire. La<br />
première attestation indiscutable du mot français n'est autre que le célèbre titre des<br />
Cent Nouvelles nouvelles (1460-1467), où la redondance du mot, une fois substantif,<br />
l'autre adjectif, garantit sans équivoque le sens moderne. La table des Cent Nouvelles<br />
1 George Sand qualifie de « conte bleu » Laura, voyage dans le cristal, conte publié dans La Revue des<br />
deux mondes en 1864. Il s'agit, selon elle, d'une « fiction », susceptible toutefois de donner « aux enfants<br />
et à beaucoup de grandes personnes le goût des recherches ou des hypothèses sérieuses ».<br />
2 En revanche, il a donné lieu à la dérivation d'un verbe, nouveler, « raconter des nouvelles ». Il n'a pas<br />
survécu au-delà du 16° siècle.<br />
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