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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE, OU LE POÈME DANS LA VIE<br />

le rouvrir souvent au hasard : ce qui est résister à la poussée résolutive du récit<br />

romanesque.<br />

Pratique bien caractéristique de V. Hugo, qui a voulu, dit-il de lui-même,<br />

« abuser du roman », c'est-à-dire lui donner le fonctionnement du « Poème ». C'est<br />

donc à lui que j'emprunterai un dernier exemple (contradictoire) de l'aspect du passé<br />

simple. La fin de l'Homme qui rit (« Ce fut une disparition_ ») se prêtait à une<br />

comparaison avec l'Education sentimentale :<br />

« _ La voiture disparut.<br />

Et ce fut tout ».<br />

Mais je retiens plutôt la fin des Travailleurs de la mer :<br />

« _ la tête disparut sous l'eau.<br />

Il n'y eut plus rien que la mer. »<br />

L'opposition est systématique (sémantiquement, syntaxiquement,<br />

prosodiquement) de Flaubert à Hugo. D'une part, deux clausules vocaliques<br />

(conclusions) et la coordination au récit d'une dernière phrase qui l'abolit. Chez<br />

Hugo, tout au contraire, mouvement de ressac de « l'eau » à « la mer » ; dernière<br />

phrase en asyndète, à clausule consonantique (suspension), qui fait retour au titre,<br />

redevient première, et inscrit (comme les <strong>Conte</strong>mplations) le commencement dans la<br />

fin : le récit est inaccompli, le passé simple a une valeur inaugurale.<br />

Cette sollicitation qui engage à la fois au retour et à l'ouverture (sollicitation<br />

inverse de l'identification consommée du roman), observez-la à la fin de la première<br />

séquence des <strong>Conte</strong>s del Drac (L'enfant polit - Los Dracons) :<br />

« Aital comencèt lo temps aule » (Ainsi commença le temps de la peine à<br />

vivre).<br />

Résumons : « l'enfant joli » s'est innocemment laissé capturer par le Drac, qui<br />

l'a confié à sa noire ogresse de femme, dans leur royaume sous-terrain de Pourcassés,<br />

pour y être engraissé et dévoré. Mais il parvient à massacrer et à ébouillanter sa<br />

geôlière, qui ressort du chaudron en princesse - dépossédée qu'elle était<br />

(« despoderada » par le Drac de ce royaume sous terre, dont elle fait roi l'enfant joli.<br />

Passons sur la symbolisation, toute classique, des fantasmes terrifiés et du désir au<br />

terme desquels l'enfant épouse sa mère_ Mais une fois ce domaine refermé sur ce<br />

bonheur princier, le Drac, qui est le fils du Diable, à son tour dépossédé, se venge et<br />

envoie, par un apostolisme inverse, ses propres fils, les dragons, pervertir toute la<br />

terre : « Aital comencèt lo temps aule. » Voici donc, pour le jeune auditeur,<br />

l'innocence du bonheur contestée non seulement par sa responsabilité telle que<br />

l'implique la logique du récit (à cause de lui, le Drac sévira sans trêve, instaurant<br />

l'âge de fer de la peine à vivre) ; mais encore par cet adjectif « aule », que la sûre<br />

poétique du conte fait surgir au moment où le happy-end d'une mésaventure<br />

s'échange contre le début d'une catastrophe. « Aule », adjectif qui signifie la<br />

méchanceté et l'hostilité, c'est aussi, substantivé, le nom du Diable : « Habilis », apte,<br />

habile, malin_ L'étymologie ne m'est qu'un raccourci, car tout le texte la réinvente et<br />

la commente, compromet l'habileté même du bonheur.<br />

Au nombre de ces habiletés perverses (mais comment les différencier de<br />

l'habileté innocente ?), il y a d'abord l'aptitude à la métaporphose. <strong>Le</strong> Dragon occitan<br />

n'est ni écailleux ni composite, il est pelu et velu ; encore qu'il puisse se changer en<br />

objet virtuellement inoffensif et utile (fil, peigne_), il est par prédilection loup-garou,<br />

homme-loup, selon un rythme nycthéméral, saisonnier, ou imprévisible ; loup<br />

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