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LE CONTE<br />
approches rationalisantes ont permis de le traiter dans la même perspective que celle<br />
que nous signalions pour le roman ; les recherches de Propp, par exemple, supposent<br />
à nouveau la recherche d'un centre stable, issu de l'étude d'une périphérie constituée<br />
par un cycle de contes. <strong>Le</strong> détour par les sciences humaines a permis de retrouver un<br />
cadre apte à généraliser ce particulier dont on ne savait trop que faire dans un monde<br />
où il n'y a de science que du général 1 .<br />
La préoccupation des auteurs latino-américains, cependant, lorsqu'ils font<br />
appel à ce genre, est toute autre : leur volonté de recourir au fragment et à l'unique<br />
est motivée par l'intime conviction que dans un monde (le leur) qui échappe aux<br />
règles courantes de la rationalité ainsi qu'aux valeurs communément admises, les<br />
canons de l'écriture et du sens sont à reconsidérer.<br />
Ils en reviennent donc tout naturellement au genre premier de l'élaboration du<br />
sens et de la langue : ils en reviennent à ces brefs éclairs où la pensée tente de se<br />
constituer en se fabriquant une expérience du monde au contact immédiat de la vie.<br />
Dans cet effort et ces tensions se crée du même coup un langage. <strong>Le</strong>s grandes<br />
synthèses, les tranches de vie sont une phase seconde par rapport à cette quête<br />
première, qui fixe la langue d'une parole à venir.<br />
LE CONTE COMME PARABOLE<br />
<strong>Le</strong> conte littéraire latino-américain se caractérise, comme nous l'avons vu, par<br />
une extrême tension, au sens Guillaumien du terme. Son caractère d'unité brève<br />
semble rendre plus aisée ce que les spécialistes de l'argumentation appellent la<br />
schématisation 2 : il s'agirait donc d'un genre où le calcul argumentatif reste<br />
étroitement conduit d'un bout à l'autre. Ce dernier trait n'est certes pas exclusif du<br />
conte, mais le différencie du roman où l'évolution des personnages en cours de<br />
parcours, par exemple, échappe partiellement à l'auteur, ainsi que l'affirment nombre<br />
d'écrivains.<br />
C'est ainsi que l'extrême condensation, la représentation discursive singulière<br />
des représentations mentales complexes oblige le récepteur à pratiquer une sorte de<br />
transcodage, une conversion allant d'un micro-univers sémiotiquement fermé à un<br />
macro-univers herméneutiquement ouvert. Ce mécanisme de lecture, qui est en<br />
quelque sorte réinscription de la sémiotique textuelle immédiate dans une (ou des)<br />
sémiotique(s) du monde se trouvait déjà dans des œuvres du Moyen-âge. Todorov<br />
remarquait par exemple à propos de la Queste du Saint Graal :<br />
A peine une aventure est-elle achevée que son héros rencontre quelque ermite<br />
qui lui déclare que ce qu'il a vécu n'est pas une simple aventure, mais le signe<br />
d'autre chose 3 .<br />
Face au conte littéraire latino-américain, il nous appartient de jouer les sages<br />
ermites nous-mêmes : si le conte est nécessairement signe d'autre chose, il nous<br />
1 L'intitulé de l'une des questions du programme de l'agrégation d'espagnol de 1987, qui porte sur le<br />
conte, est à ce titre révélateur : « Techniques narratives et représentations du monde ». Une « technicité »<br />
peu coutumière s'est glissée dans cette seule question.<br />
2 Par son discours, A construit pour B, et devant lui, une représentation discursive de ses représentations<br />
mentales.<br />
3 Todorov, T. : Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p. 131.<br />
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