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LE CONTE<br />
Il y a travestissement burlesque, dans Candide, de cette configuration<br />
romanesque héroïque car s'il y a bien reprise, dans l'histoire de la vieille comme dans<br />
celle de Candide-Cunégonde, d'éléments qui en font partie : 1) la première rencontre<br />
n'est pas chaste mais fortement sexuée.<br />
2) le point d'arrivée n'est pas le mariage de deux amants n'ayant subi aucune<br />
évolution :<br />
ni biographique (statut social), ni biologique (beauté originelle) mais le<br />
mariage entre un amant transformé socialement et n'ayant plus de désir) et une<br />
amante (dégradée socialement et physiquement).<br />
Trois procédés contribuent à la production de cet effet de sens :<br />
1) L'inadéquation des discours au statut des personnages.<br />
<strong>Le</strong> romanesque de la scène des retrouvailles ne fait pas oublier au lecteur que<br />
sous le « voile » d'une femme tremblante et « majestueuse » se dissimule une femme<br />
ayant subi des sévices corporels (viol) et qui, comme il le saura bientôt, est une<br />
femme entretenue.<br />
2) <strong>Le</strong> mélange hétérogène des genres.<br />
Au moment de la rencontre, les deux amants sont pris dans des espaces<br />
sémantiques diamétralement opposés. Candide, timide, faible, amoureux/courtois et<br />
chevaleresque, respectueusement « tombe à ses pieds ». Cunégonde, fidèle à ses<br />
connotations sexuelles initiales 1 « tombe sur le canapé ». La juxtaposition d'une<br />
structure syntaxique identique (SN + V + GN P ) mais sémantiquement contraire<br />
souligne le glissement burlesque du chevaleresque courtois au licencieux. D'autant<br />
plus que le jeu phonétique « PIEds »/« canaPE » rappelle la scène initiale où étaient<br />
liés « baiser »/« pied »/« dîner » (« <strong>Le</strong> lendemain après le dîner, comme on sortait de<br />
table, Cunégonde et Candide se trouvèrent derrière un paravant ; Cunégonde laissa<br />
tomber son mouchoir, Candide le ramassa, elle lui prit innocemment la main, le<br />
jeune homme baisa innocemment la main_ » (p. 145 : I) et annonce une scène<br />
ultérieure où seront liés « baiser »/« canapé »/« souper » (« les voilà qui se mettent<br />
tous deux à table ; et, après le souper, ils se replacent sur ce beau canapé dont on a<br />
déjà parlé ; ils y étaient quand le signor_ » (p. 163 : XIII). La référence au canapé<br />
renoue la fiction interrompue par le récit analeptique (chap. VIII) de Cunégonde. Ce<br />
faisant est mise en valeur une des fonctions de cette analepse : différer la scène de<br />
l'amoureux baiser, attendue par le lecteur du fait de la logique des actions<br />
(retrouvailles) et de la présence des signifiants « primaires » en E. Cette promesse<br />
chasteté et la fidélité mises à l'épreuve_ <strong>Le</strong> roman s'achève par l'heureuse union des amoureux dans les<br />
liens du mariage ».<br />
1 « Cunégonde ». <strong>Le</strong>s sèmes qui la constituent (« jeune », « fraîche », « grasse », « appétissante ») en font<br />
un objet de consommation. Amorce d'une liaison isotopique à suivre entre le sexe et la nourriture. La<br />
jeune fille sera effectivement fréquemment « consommée » au cours de l'histoire. Son nom redouble la<br />
description et programme ses aventures. L'archaïsme « gonde » évoque d'illustres princesses<br />
(Frédégonde_) et fait entrer la jeune fille dans la haute noblesse (voir l'allusion (p. 143 : I) à l'insuffisance<br />
des titres du père de Candide) « Cu(l) » et « ne(z) », parties charnues et avancées, la réduisant à un corps<br />
et, contaminant le suffixe « gonde », le donnent à lire comme une déformation germaniste de « con »,<br />
mot, qui, si l'on en croit <strong>Le</strong> Robert, est attesté dans son sens de « sexe féminn » dès le XIIème siècle. En<br />
tant qu'elle est noble, Cunégonde sera poursuivie par Candide selon les règles du roman de chevalerie ;<br />
en tant qu'elle n'est qu'un corps, la jeune fille si bien nommée, sera soumise aux assauts<br />
d'épisodiques acteurs. Lieu privilégié, son corps reflètera la dégradation (beauté/laideur) de la classe à<br />
laquelle il appartient.