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Le Conte

Tout sur les contes

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DESCRIPTION SÉMIOTIQUE D'UN CONTE PHILOSOPHIQUE : CANDIDE<br />

sens, ils se parlent : ce sont d'abord des mots entrecoupés, des demandes et des<br />

réponses qui se croisent, des soupirs, des larmes, des cris_ » (p. 159 ; VII).<br />

Appartiennent aux conventions romanesques : le décor (lieu inconnu et maison<br />

retirée) ; les personnages (la vieille entremetteuse, les amants séparés), la fonction<br />

(les retrouvailles) et ses actions obligées (jeune femme voilée, dévoilement à<br />

suspens, extase de reconnaissance, joie des retrouvailles) : le traitement syntaxique<br />

(la rhétorique des exclamations pour exprimer le bonheur des amants (_) 1 .<br />

Or la réécriture du texte de Pinot-Duclos relève, à la fois de l'assimilation (les<br />

références sont explicites et invitent à la réminiscence) et de la dissimilation (il subit<br />

dans ce nouveau contexte un renversement burlesque 2 .<br />

1 Cet épisode, comme l'affrontement, plus tard, de Candide avec ses deux rivaux ainsi que la fuite<br />

réfèrent explicitement à un roman connu des lecteurs de l'époque : <strong>Le</strong>s Confessions du conte de ***<br />

Ecrites par lui-même à un ami de Charles PINOT-DUCLOS (1741). <strong>Le</strong> héros de Duclos, comme<br />

Candide, connaît une aventure espagnole. « Un jour, en rentrant chez moi par une rue détournée, je fus<br />

abordé par une femme couverte d'une mante. "Seigneur Cavalier, me dit-elle, un dame voudrait avoir une<br />

conversation avec vous "(p. 25) _ elle me dit de la suivre, je lui obéis, il était nuit, nous marchâmes<br />

quelque temps (p. 27) _" <strong>Le</strong> héros arrive dans un maison. _ "L'éclat des lumières portées dans de grands<br />

flambeaux de vermeil me frappèrent beaucoup moins qu'une femme couchée sur une estrade et appuyée<br />

sur des carreaux d'étoffes superbes (p. 28.) "La voix et l'expression me manquèrent en reconnaissant la<br />

marquise elle-même : je tombai à ses pieds, elle demeura appuyée sur moi en éprouvant le même<br />

trouble.Quand nous fûmes au moment de nous séparer, Antonia leva les carreaux sur lesquels elle était<br />

assise et prit une épée d'or garnie de quelques diamants d'un assez grand prix qu'elle me força d'accepter"<br />

(p. 22). Candide recevra aussi une épée et des diamants. Ce bonheur, comme dans Candide sera<br />

éphémère. "Nous étions dans ces transports de l'âme que l'Amour seul sait connaître_ Quand nous<br />

entendîmes un grand bruit dans la chambre qui précédait celle où nous étions _ Dans l'instant même on<br />

enfonça la porte et je vis un homme transporté de fureur et suivi de deux valets armés. Il tenait son épée<br />

d'une main et de l'autre un poignard. Il se jeta si promptement sur Antonia que je ne pus l'empêcher de lui<br />

porter deux coups qui la firent tomber à mes pieds ; j'avais des pistolets en poche, je cassai la tête à celui<br />

qui venait de blesser Antonia et je tins en respect ceux qui l'accompagnaient. Elle me tendit les bras et<br />

me dit d'une voix mourante "Qu'avez-vous fait Seigneur ! Vous avez tué mon mari ! " (p. 36) _ Il s'enfuit<br />

alors avec Antonia, se souvenant que Clara (la suivante d'Antonia) lui avait dit : "En cas d'accident vous<br />

pourrez vous retirer, le Maure tient le cheval en bas de l'escalier » (p. 36)_<br />

2 « <strong>Le</strong> travestissement burlesque réécrit donc un texte noble, en conservant son "action", c'est-à-dire à la<br />

fois son contenu fondamental et son mouvement (en termes rhétoriques son invention et sa disposition,<br />

mais en lui imposant une toute autre élocution, c'est-à-dire un autre style_ », G. GENETTE, ibid. p. 67.<br />

M. BAKHTINE, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, 1978,p. 241, rappelle que Voltaire, dans<br />

Candide, parodia le roman d'aventures de type grec (qu'on appelait « roman baroque » prépondérant aux<br />

XVII° et XVIII° siècles (Madame de Scudéry, La Calprenède, Gomberville_) et dont les ingrédients<br />

étaient les suivants :<br />

« Un jeune homme et une jeune fille d'âge nubile. <strong>Le</strong>ur origine est inconnue, mystérieuse. (Pas toujours :<br />

par exemple cet élément manque chez Tatius. Ils sont dotés d'une beauté exceptionnelle. Ils sont aussi<br />

extraordinairement chastes. <strong>Le</strong>ur rencontre a lieu de façon inattendue, habituellement au cours d'une fête<br />

solennelle. Ils s'enflamment d'une passion mutuelle, soudaine et instantanée, irrésistible comme la<br />

fatalité, comme un mal incurable. Toutefois, ils ne peuvent se marier aussitôt. Ils rencontrent des<br />

obstacles qui retardent ou empêchent leur union. <strong>Le</strong>s amoureux sont séparés ; ils se cherchent, se<br />

retrouvent, se reperdent, se trouvent encore. Puis ce sont les entraves et les aventures propres aux<br />

amoureux :<br />

l'enlèvement de sa fiancée à la veille des noces, l'opposition des parents (s'il y en a), qui ont choisi pour<br />

les jeunes gens un autre époux, une autre épouse (faux couples) ; la fuite des amoureux, leur voyage, la<br />

tempête, le naufrage, le sauvetage miraculeux, l'assaut des pirates, la capture, la prison, offense à la<br />

chasteté de l'héroïne, du héros, sacrifice de la fiancée, victime expiatoire ; guerres, combats, les fiancés<br />

vendus comme esclaves ; fausse mort ; reconnaissance, non reconnaissance ; fausses trahisons, la<br />

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