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LE CONTE<br />
montre les nombreuses relations (situations, événements, personnages_) existant<br />
entre Candide, Cléveland et Manon <strong>Le</strong>scaut de l'abbé Prévost.<br />
En fait Candide emprunte des éléments qui appartiennent à de nombreux<br />
genres. Arrivent, ici, le roman burlesque (voir au chapitre III l'avatar scatologique<br />
du pot de chambre et les opérations d'inversion précédemment décrites) ; le roman<br />
chevaleresque héroico-galant (toute cette partie de la quête de la noble dame à la<br />
pointe de l'épée scandée par la séparation et les retrouvailles, les voyages en mer, les<br />
enlèvements par des pirates, les fausses morts_) ; le conte merveilleux (voir l'analyse<br />
précédente) ; le récit de voyage (voir l'Amérique du Sud) ; les récits utopiques (voir<br />
l'Eldorado), le conte licencieux (voir le souper traditionnel, les rencontres dans les<br />
boudoirs_). Sans oublier une intertextualité constante avec la Bible et avec des<br />
ouvrages documentaires. (L'épisode de Lisbonne emprunte des détails, comme on l'a<br />
vu aux ouvrages de Marsollier et de Dellon ; la généalogie de la vérole est une<br />
reprise du Traité des maladies vénériennes d'Astruc ; la scène du nègre de Surinam<br />
est l'occasion de polémique avec <strong>Le</strong> Code Noir qui légalise le statut des eslaves en<br />
terre française_ etc).<br />
Au point que Jean Sareil a pu écrire :<br />
« _en dehors de certaines allusions à des textes littéraires précis, qui ont été en<br />
général très bien relevées, peut-on parler d'une parodie plus vaste, qui<br />
engloberait le roman en général ? Je ne ne crois pas parce que, nulle part, on<br />
ne trouve la moindre indication formelle qui confirme cette impression.<br />
D'ailleurs une telle éventualité, à moins d'être prouvée noir sur blanc,devrait<br />
être éliminée comme contraire au bons sens. Pourquoi Voltaire serait-il sorti<br />
de son sujet, qui est la lutte contre l'optimisme, pour se lancer dans une charge<br />
vague contre une catégorie d'ouvrages auxquels il ne s'est jamais vraiment<br />
intéressé et qu'il méprisait comme frivoles ? Non, Candide n'est pas Don<br />
Quichotte » 1 .<br />
Encore faut-il s'entendre sur le sens du mot « parodie » ! Si l'on accepte la<br />
définition qu'en propose G. Genette (« _le parodiste ou travestisseur a<br />
essentiellement affaire à un texte, et accessoirement à un style » 2 , on trouve, dans<br />
Candide plusieurs épisodes chargés d'indices non équivoques d'intention parodique :<br />
exagération, travestissement, méta-texte). Prenons, par exemple, les chapitresVII et<br />
IX. Ils utilisent abondamment les ingrédients thématiques et stylistiques du roman<br />
d'aventures héroïco-sentimental comme en témoigne l'extrait suivant : « Elle le prend<br />
sous le bras, et marche avec lui dans la campagne environ un quart de mille, ils<br />
arrivent à une maison isolée, entourée de jardins et de canaux. La vieille frappe à une<br />
petite porte, et s'en va. Candide croyait rêver, et regardait toute sa vie comme un<br />
songe funeste, et le moment présent comme un songe agréable. La vieille reparut<br />
bientôt ; elle soutenait avec peine une femme tremblante, d'une taille majestueuse,<br />
brillante de pierreries et couverte d'un voile. "Otez ce voile", dit la vieille à Candide.<br />
<strong>Le</strong> jeune homme approche ; il lève le voile d'une main timide. Quel moment ! Quelle<br />
surprise ! il croit voir Mlle Cunégonde ; il la voyait en effet, c'était elle-même. La<br />
force lui manque, il ne peut proférer une parole, il tombe à ses pieds. Cunégonde<br />
tombe sur le canapé. La vieille les accable d'eaux spiritueuses ; ils reprennent leurs<br />
1 Jean SAREIL, Essai sur Candide, Droz, 1967, p. 68.<br />
2 Gérard GENETTE, Palimpsestes, Seuil, 1982, p. 89.<br />
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