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LE CONTE<br />
Deux objets figuratifs sont particulièrement la cible de Voltaire : le discours<br />
philosophique de <strong>Le</strong>ibnitz et le pouvoir féodal (conglomérat d'institutions telles que<br />
la noblesse, l'armée et l'Eglise). La charge satirique se porte à la fois sur les acteurs,<br />
les valeurs qu'ils défendent et les discours qu'ils tiennent, utilisant pour parvenir à ses<br />
fins aussi bien « l'ironie référentielle » que « l'ironie verbale ».<br />
L'ironie référentielle s'attache à montrer l'inanité des propos panglossiens au<br />
moyen d'un montage fictionnel qui consiste à confronter le système explicatif dit<br />
« l'optimisme » aux événements qui ne cessent de le démentir.<br />
Ex. : « Panglos lui expliqua comment tout était on ne peut mieux_ Tandis<br />
qu'il raisonnait, l'air s'obscurcit_ » (p. 153-154 : IV).<br />
La dérision de l'optimisme est d'autant pus forte qu'au cours de la tempête<br />
(« la notion de contradiction est au coeur du concept d'ironie » (C. Kerbrat-<br />
Orecchioni) c'est le « bon Jacques » qui meurt au profit du « matelot furieux ».<br />
Lorsqu'elle est verbale, l'ironie voltairienne utilise essentiellement le<br />
traditionnel procédé de l'antiphrase, sachant, comme l'a montré Alain Berrendonner,<br />
qu'elle porte sur des propositions axiologiques ou sur des propos occasionnellement<br />
chargés de valeur argumentative.<br />
« Cette approche me conduit à placer la spécificité des contradictions<br />
ironiques dans leur pertinence argumentative. L'ironie se distingue des autres<br />
formes banales, de contradiction, en ceci qu'elle est précisément, une<br />
contradiction de valeurs argumentatives_ Mais cette contradiction n'existe pas<br />
tant au regard de la vérité référentielle qu'au regard de la valeur<br />
argumentative. Elle réside spécifiquement non dans l'affirmation d'un état de<br />
chose et de son contraire, mais dans le fait qu'en avançant un argument, on<br />
avance du même coup l'argument inverse » 1 .<br />
Ex. (p. 144 : I). <strong>Le</strong>s arguments proposés pour justifier une affirmation sont<br />
orientés dans un sens argumentatif contraire à la thèse.<br />
« Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs » (sous-entendu<br />
riche), « car son château avait une porte et des fenêtres » (en fait pauvre puisque ces<br />
indices distinguent simplement une maison d'une cabane). « Sa grande salle même »<br />
(pièce maîtresse de la demeure, susceptible donc d'une décoration luxueuse) « était<br />
ornée d'une tapisserie » (unicité contraire à l'attente). « Tous les chiens de ses bassecours<br />
composaient une meute dans le besoin, ses palefreniers étaient ses piqueurs, le<br />
vicaire du village était son grand aumonier » (les signes de richesse sont négativisés<br />
par l'indication d'un manque ou par l'affirmation d'un cumul des fonctions).<br />
Ex. (p. 144 : I). La désignation onomastique connote des valeurs de référence<br />
qui sont à l'opposé de l'état réel du personnage. Voir l'analyse présente de<br />
« Monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh ».<br />
Ex. (p. 147 : I). Un même mot, axiologiquement chargé de positivité dans un<br />
contexte et placé dans un autre contexte qui inverse sa valeur. « C'en est assez, lui<br />
dit-on, vous voilà l'appui, le soutien, le défenseur, le héros des Bulgares_ ». Dans<br />
« l'espace mental » (Fauconnier) de la noblesse, représentée par les sergents<br />
recruteurs, l'expression « héros » est l'hyperonyme intégrateur de valeurs telles que<br />
« défenseur du royaume ». « Candide, tout stupéfait, ne démêlait pas encore trop bien<br />
comment il était un héros ». Dans « l'espace mental » de Candide, l'expression<br />
1 Alain BERRENDONNER, Eléments de pragmatique linguistique, Minuit 1981, p. 184.<br />
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