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LE CONTE<br />
IX)) nous laissent supposer que le narrateur primaire (Ralph/Voltaire) et le narrataire<br />
(lecteur) sont réunis fictionnellement dans une même énonciation.<br />
b) <strong>Le</strong>s échanges entre les actants transnarratifs<br />
A partir de cet ancrage interlocutif, l'auteur du récit philosophique aménage<br />
une « zone de coopération » (Faguet parlait d'une « demi-intimité très piquante »)<br />
sous la forme d'une interpellation constante du lecteur, impliquant, en retour, une<br />
connivence idéologico-cuturelle partagée. L'histoire de Candide est essen- tiellement<br />
racontée par un narrateur anonyme qui dispose les objets de son discours en faisant<br />
jouer les repérages anaphoriques internes (énonciation de type « récit » chez<br />
Benveniste) 1 . Ex. « Elle rencontra Candide en revenant au château, et rougit ;<br />
Candide rougit aussi ; elle lui dit bonjour d'une voix entrecoupée, et Candide lui<br />
parla sans savoir ce qu'il disait » (p. 145 : I). Ce qui n'empêche pas le narrateur de<br />
mener une intense activité commentative par l'intermédiaire d'intrusions diverses :<br />
- évaluations<br />
« Cacambo, qui en avait vu bien d'autres, ne perdit point la tête_ » (p. 183 :<br />
XV) ; « Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha_ » (p. 148 : II) ;<br />
« _ils se levèrent précipitamment avec cette inquiétude et cette alarme que tout<br />
inspire dans un pays inconnu » (p. 184 : XVI). (souligné par moi).<br />
- qualifications<br />
Voir en particulier, l'usage des épithètes homériques : « La belle Cunégonde »<br />
(p. 175 : XIII) ; « le vertueux anabaptiste » (p. 155 : V) ; « le fessé Candide » (p.<br />
164 : IX) ; « le vigilant Cacambo » (p. 183 : XVI).<br />
- modalisations<br />
« Candide lui obéit avec un profond respect ; et quoiqu'il fût interdit, quoique<br />
sa voix fût faible et tremblante, quoique l'échine lui fît encore un peu mal, il lui<br />
raconta_ » (p. 161 : VIII) ; « Il tire son épée, quoiqu'il eût les moeurs fort douces, et<br />
vous étend l'Israëlite roide mort sur le carreau_ » (p. 164 : IX) (souligné par moi).<br />
- exclamations<br />
« _lui répandit sur le chef un plein_ O ciel ! à quel excès se porte le zèle de la<br />
religion chez les dames ! » (p. 150 : III) (souligné par moi).<br />
- onomastique<br />
Deux objets valeurs sont particulièrement chargés de négativité dans le<br />
conte : la noblesse et la philosophie optimiste. En témoignent, outre les circonstances<br />
dans lesquelles leurs représentants interagissent, leurs désignations.<br />
Ex. : <strong>Le</strong> nom du baron Thunder-ten-tronckh décrit l'essentiel du personnage.<br />
Signifiant composite, il joue sur les deux langues, allemande et anglaise, 1) anglaise :<br />
« thunder » (le tonnerre) et « ten » (dix), proche aussi de « den » (chef d'un clan) ; 2)<br />
allemande : « ten » est proche de l'article « den », l'onomatopée « tronckh » n'est pas<br />
sans connoter la germanie. <strong>Le</strong> baron est donc indexé comme un homme « faisant plus<br />
de bruit que dix tonnerres » A relier à toutes les allusions à sa fausse puissance.<br />
Ex. : « _le gouverneur Don Fernando d'Ibaraa, y Figuaora, y Mascarenes, y<br />
Lampourdos, y Souza ». (p. 175 : XIII).<br />
1 « Dans les premiers contes merveilleux la présence du narrateur est généralement discrète. <strong>Le</strong>s<br />
commentaires sur le contenu ou sur le style du conte sont brefs ou absents. <strong>Le</strong>s événements sont racontés<br />
sans débordement et même les événements merveilleux sont décrits avec naturel, sans ironie ou facétie ».<br />
Vivienne MYLNE, op. cité, p. 1066.<br />
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