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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

connus : 1) le 1er novembre 1755, le capitale du Portugal a été détruite par un<br />

séisme. <strong>Le</strong> tremblement de terre s'est répété mais un mois plus tard. 2) L'autodafé<br />

était une pratique réelle de l'Inquisition, cependant le tremblement de terre de 1755<br />

ne fut suivi d'aucune cérémonie de ce type. Il n'existe donc, entre ces événements au<br />

niveau référentiel, que des rapports existentiels. Mis en scène dans le conte, ils<br />

deviennent un argument au service de la satire religieuse, et subissent, pour ce faire,<br />

une condensation temporelle qui les fait entrer dans un rapport de causalité : c'est<br />

parce qu'il y a eu séisme et pour qu'il n'y en ait plus qu'on organise un autodafé.<br />

L'attaque contre l'appareil religieux se mesure dans le décalage qui existe entre les<br />

dénominations désignant les responsables religieux (« sages du pays », "il était<br />

décidé par l'université de Coïmbre_ ») et les actions elles-mêmes, connotées comme<br />

pratiques païennes (« donner au peuple un bel autodafé » est le calque de la formule<br />

latine chère aux empereurs « munus dare populo ») et comme pensée magique : user<br />

de sacrifices humains pour peser sur les causalités naturelles est le signe d'une<br />

pensée « sauvage ». Et bien entendu totalement inefficace puisque la terre se remet à<br />

trembler.<br />

Comme en témoigne la suite de l'épisode (« On avait en conséquence saisi un<br />

Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant<br />

un poulet en aient arraché le lard_ » (p. 157 : VI)), le hors texte peut prendre aussi la<br />

forme d'un référent textuel, en l'occurrence La Relation de l'Inquisition de Goa de<br />

Dellon et l'Histoire de l'Inquisition de Marsollier 1 . Ces deux textes, réécrits dans le<br />

conte installent le lecteur de l'époque dans un déjà vu/déjà lu et concourent à ancrer<br />

la fiction dans le réel. Cependant, au cours de sa réinjection, le texte documentaire<br />

subit un double traitement : 1) il est pris en charge par les réseaux sémantiques<br />

dominant dans le conte qui figurabilisent la faute des hérétiques (comme celle de<br />

Candide dans la séquence initiale) par une liaison métonymique entre le sexuel et la<br />

nourriture. 2) Il est pris en charge par l'ironie narratrice qui le déforme<br />

elliptiquement 2 . En effet, dans le texte de Dellon, les citoyens portugais sont<br />

condamnés pour leur fois judaïque hérétique. Voltaire effaçant l'index (ne pas<br />

manger de la graisse = preuve de judaïté), les hérétiques sont condamnés non pour<br />

leurs pratiques religieuses, mais pour un acte anodin (arracher le lard d'un poulet)<br />

qui prend alors des proportions burlesquement tragiques.<br />

« Huit jours après ils furent revêtus d'un san-benito _ étaient droites » (p.<br />

157 : VI). Cet épisode lui aussi réécrit le texte de Dellon 3 en le soumettant à un<br />

1 Chroniques parues à la fin du dix-septième siècle. <strong>Le</strong>s lecteurs de l'époque savaient ainsi qu'une des<br />

prescriptions de l'Inquisition était de dénoncer celui qui « retire, de la chair des animaux dont il se<br />

nourrit, le suif ou la graisse » car c'est une jpreuve qu'il « judaïse ». Ils savaient aussi que l'Eglise<br />

interdisait alors le mariage entre le parrain et la marraine d'un même enfant, la commère. Ils savaient<br />

aussi que l'appareil religieux encourageait les dénonciations, multipliait les enquêtes qu'effectuaient les<br />

« familiers » et que, pour être soupçonné d’hérésie, il suffisait d’« avancer quelque proposition qui<br />

scandalise ceux qui l'entendent ou même de ne pas déclarer ceux qui en avancent de pareilles ». D'où la<br />

scène dans Candide : « on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un pour<br />

avoir parlé et l'autre pour avoir écouté_ »(p. 157).<br />

2 Sur la causalité implicite voir Pierre Haffter, « L'usage satirique des causales dans les contes de<br />

Voltaire », Studies on Voltaire, vol. LIII, 1967, p. 23.<br />

3 « Ceux qui sont tenus pour convaincus (qui refusent leur auto-critique) portent une espèce de<br />

scapulaire, appelé samarra, où le portrait du patirnt est représenté au naturel, devant et derrière, posé sur<br />

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