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DESCRIPTION SÉMIOTIQUE D'UN CONTE PHILOSOPHIQUE : CANDIDE<br />
synonymes en de véritables antonymes. Un dernier exemple : le paradoxe du chapitre<br />
XVIII (inversion de l'Utopie oblige) : « _ils entrèrent dans un maison fort simple, car<br />
la porte n'était que d'argent_ » (p. 191) répond au paradoxe du chapitre I : « M. le<br />
baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait<br />
une porte et des fenêtres » (p. 143) et défait rétrospectivement encore plus la<br />
puissance illusoire du baron. De tels effets de corrélations sont possibles grâce au jeu<br />
des répétitions : 1) syntaxique, par le biais de l'explicative introduite par car. 2)<br />
lexématique, par l'opposition « maison »/« château ». 3) sémantique, par le heurt,<br />
dans la seconde phrase du sens de « château » avec les qualifications qui lui sont<br />
assorties et par le heurt corollaire dans la première phrase.<br />
<strong>Le</strong> statut du référent<br />
Autre marque caractéristique du conte ou du roman philosophique :<br />
l'importance du référent contextuel. S'applique à ce genre, ce que M. Bakhtine dit du<br />
roman, par opposition à l'épopée :<br />
« _le présent dans son inachèvement (est) pris comme point de départ et<br />
centre de l'orientation idéologique et artistique_ » 1 .<br />
En effet, Candide, en prise sur l'actualité référentielle convoque des<br />
événements (le tremblement de terre de Lisbonne, la guerre de Sept Ans_) ou des<br />
personnes (Fréron 2 , l'amiral Byng, Mademoiselle Clairon_). Ces matériaux prétextuels<br />
peuvent être injectés directement dans le texte (monnaies des pays, détails<br />
culinaires_) et servent de « petits faits vrais » qui ont pour fonction d'ancrer la fiction<br />
dans une illusion de réel. <strong>Le</strong> chapitre XXII, consacré à Paris, fourmille à cet égard<br />
d'informants totalement transparents aux lecteurs de l'époque 3 .<br />
<strong>Le</strong>s matériaux pré-textuels sont le plus souvent « travaillés » lors de leur<br />
injection dans le conte. Prenons l'exemple du tremblement de terre de Lisbonne au<br />
chapitre VI. <strong>Le</strong>s événements de cet épisode s'appuient sur des faits historiques<br />
1 M. BAKHTINE, Epopée et roman, Recherches Internationales n 76, p. 37.<br />
2 Lire Jacqueline BIARD-MILLERIOUX, L'esthétique d'Elie Catherine Fréron, P.U.F., 1985.<br />
3 <strong>Le</strong>s propos de Martin sur « Melle Monime » (p. 209 : XXII) ou les conversations littéraires (p. 211)<br />
sont, par exemple, à rapprocher des témoignages érudits sur la biographie de Voltaire : « Mais ces années<br />
1730-1734 lui feront voir pour la première fois avec intensité, deux carac-téristiques qui deviendront,<br />
dans le vif de sa sensibilité, indélébilement liées à l'image qu'il se fait de Paris : le fanatisme, et la sottise<br />
haineuse des gens de lettres.<br />
<strong>Le</strong> fanatisme : Voltaire, effaré, le découvre à la mort d'Adrienne <strong>Le</strong>couvreur ; cette femme<br />
admirable, tragédienne de génie, et qui donna dans sa vie maints exemples de l'élévation de son<br />
caractère, avait été, un bref moment, la maîtresse de Voltaire_Protégée, cajolée, adulée par les grands de<br />
ce monde, Adrienne, lors de sa dernière maladie, se verra refuser l'extrême- onction, et sa dépouille sera<br />
honteusement et ignominieusement ensevelie sur les berges de la Seine.<br />
La seconde hydre dont Voltaire découvre alors toute l'horreur, ce sera la haine et l'envie des<br />
écrivains de Paris à son égard. "Dès que j'eus l'air d'un homme heureux, tous mes confrères, les beaux<br />
esprits de Paris, se déchaînèrent contre moi", écrit-il. La publication, en 1733, du Temple du goût, dut<br />
également déchaîner, contre l'auteur, la troupe des écrivaillons qui se voyaient écartés du moderne<br />
Parnasse. C'est alors que Voltaire écrit son Epître à madame la marquise Du Châtelet sur la calomnie,<br />
qui pourtant ne sera publié qu'en 1736. <strong>Le</strong> poète fait le portrait peu flatté de la société parisienne et<br />
surtout des hommes de lettres qui l'avilissent_ ». Jean Mohsen FAHMY, « Voltaire et Paris » in Studies<br />
on Voltaire, n° 195, 1981, p. 35-36.<br />
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