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Le Conte

Tout sur les contes

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DESCRIPTION SÉMIOTIQUE D'UN CONTE PHILOSOPHIQUE : CANDIDE<br />

Devant l'impossibilité de régler philosophiquement ce problème de philosophie du<br />

droit, le recours à la force est une nécessité car le droit ne se combat pas par le droit,<br />

mais par l'instauration d'un autre pouvoir. <strong>Le</strong> pouvoir de l'or, en la circonstance,<br />

apparaît dans Candide comme celui-là qui pourra défaire celui de l'épée 1 .<br />

La polyfonctionnalité et la polysémie de l'or explique que Candide, alors<br />

même qu'il possède un vouloir et un pouvoir, puisse rester enfermé dans un faux<br />

savoir. Malgré les leçons de l'Histoire (destruction du château, malheur de la vieille<br />

et de Cunégonde), comme le manifeste le désir de Candide d'acheter un « royaume »,<br />

le héros ne remet pas en cause les valeurs du monde féodal.<br />

<strong>Le</strong> chapitre XVIII est à la charnière du texte. Sa position centrale dans la<br />

fiction (passage du topique inversé en topique posé) est marquée par sa place<br />

médiane dans la narration : la même quantité de texte le précède et le suit. On<br />

comprend alors que ces deux pans du récit soient narrativement très différents. Alors<br />

que l'action prédomine dans la première partie, articulée autour des péripéties<br />

romanesques (aimer, combattre_) marquée par l'état d'aliénation de Candide (fuir),<br />

les fonctions qui marquent la seconde sont essentiellement voir, parler, attendre 2 et<br />

signalent un héros non plus soumis aux événements mais en voie de réintégration. La<br />

quête déceptive de Cunégonde qui occupait toute la première partie est déléguée à<br />

Cacambo, susceptible, grâce à l'or, d'effectuer sinon une épreuve principale réussie<br />

du moins un échange. Candide se sépare à Surinam (chap. XIX) de Cacambo à qui il<br />

confie la mission de racheter Cunégonde. Une longue parenthèse s'ouvre pendant<br />

laquelle Candide se heurtera, à cause de son or, aux méfaits réitérés d'un marchand<br />

hollandais (« Vanderdendur »), d'un religieux (« l'abbé périgourdin »), d'une dame<br />

noble (« la marquise de Parolignac »). Face à un Candide (non-sujet d'abord, anti-<br />

1 Ce nouvel adjuvant mérite d'être analysé. Après Greimas, on peut distinguer deux sortes d'objets<br />

magiques 1) ceux qui fournissent des services (ex. le canot, la machine volante..) 2) ceux qui fournissent<br />

des biens (ex. l'argent pour le juif banquier). Dans Candide, l'or relève de ces deux classes : il est à la fois<br />

fournisseur de services (il permet à Candide d'affronter les opposants, de les tenir en respect) et<br />

fournisseur de biens (c'est grâce à l'or que Candide pourra liquider les manques initiaux (rachat de<br />

Cunégonde et achat d'un royaume). Après Greimas toujours, (voir Langages, n° 31, 1973) on peut<br />

remarquer qu'il existe deux lieux d'obtention d'un objet 1) un univers autarcique dans lequel toute<br />

acquisition par un sujet implique la privation pour un autre sujet (voir la série des conjontion/disjonction<br />

de Candide avec l'objet valeur Cunégonde. 2) la co-présence de deux univers, l'un immanent, l'autre<br />

transcendental si bien que le possesseur du bien (destinataire dans l'univers immanent) le reçoit d'un<br />

destinateur (monde transcendental), sans que cela apparaisse comme une privation. En fonction de quoi<br />

l'or peut avoir deux valeurs : 1) une valeur négative lorsqu'il est le fruit du hasard ou d'un don miraculeux<br />

(cf. les moutons, chargés d'or). Dans ce cas, il est appelé à se « transformer en ce [qu'il est] réellement, en<br />

crotin de cheval, par exemple », ou encore en vase, en cailloux, comme dans Candide, c'est-à-dire en sa<br />

substance d'origine, 2) une valeur positive, lorsque, dans le monde immanent, il est le résultat d'un<br />

travail. C'est pourquoi cet adjuvant « or et pierreries » (p. 193 :VIII) est à la fois, négativement relié au<br />

féodal (à rapprocher de Cunégonde « brillante de pierreries » (p. 159 : VII)) et positivement associé au<br />

travail et au savoir faire (v. chap. III l'anabaptiste et ses « manufactures » et chap. XXX, la société<br />

marchande de Candide).<br />

2 « <strong>Le</strong> récit se ralentit : Candide, qui a de l'argent, qui attend Cunégonde, se met à regarder le monde et à<br />

écouter les hommes. Pour la première fois, le théâtre, la littérature, bref, l'activité intellectuelle, font leur<br />

entrée dans le conte, comme si Candide, libéré des impulsions élémentaires (nourrir et sauver son corps),<br />

s'ouvrait à la vie de l'esprit. L'âpre satire galopante d'avant l'Eldorado tourne à l'observation morale, voire<br />

au tableau de moeurs_ » Jean GOLDZINK, Roman et idéologie dans Candide, Cahiers du C.E.R.M.,<br />

1971.<br />

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