11.01.2017 Views

Le Conte

Tout sur les contes

Tout sur les contes

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

DESCRIPTION SÉMIOTIQUE D'UN CONTE PHILOSOPHIQUE : CANDIDE<br />

immanente du faire (« _j'ai tiré votre soeur des bras d'un Juif et d'un Inquisiteur_ »<br />

(p. 182 : XV)) : le droit ne découle plus de l'intangibilité d'une essence, mais se<br />

fonde sur le succès d'une pratique. <strong>Le</strong> baron fils est digne successeur de son père, en<br />

dépit de l'histoire : on savait (chap. I) que le père de Candide s'était fait rejeter de la<br />

famille Thunder-ten-tronckh parce qu'il ne possédait que « soixante et onze<br />

quartiers », on sait maintenant que la noble famille en a « soixante et douze » (p.<br />

182 : XV) ; Candide est depuis devenu « capitaine » (p. 166 : X) ; on connaît<br />

inversement la dégradation du sort des habitants du château. Pourtant le baron<br />

maintient les prérogatives de sa classe. <strong>Le</strong> conflit, inévitable, se règle à l'épée,<br />

utilisée par le baron comme un bâton (« _ et en même temps il lui donna un grand<br />

coup du plat de son épée sur le visage » (p. 182 : XV) en référence à l'usage extralinguistique<br />

pour un noble de punir par la bastonnade la roture. <strong>Le</strong> geste est<br />

accompagné de l'insulte « coquin » qui dans le conte connote sinon la noblesse (« _la<br />

mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en<br />

infectaient la surface_ » (p. 148 : III) du moins l'hydre des opposants. C'est ainsi que<br />

le baron fils rejoint, dans l'insulte, le juif (« Il faut que ce coquin partage aussi avec<br />

moi ? (p. 164 : IX)). Par rapport au contrat injonctif qui unissait Candide et le baron<br />

père, on parlera, ici, de contrat permissif négatif (Greimas) dans la mesure où c'est le<br />

destinataire Candide qui exprime son vouloir et du fait que le destinateur ne fait<br />

qu'exercer un vouloir second. En pourfendant le baron, Candide conteste radicalement<br />

sa qualité de destinateur de Cunégonde, mais ce faisant, il se prive d'un allié<br />

armé avec lequel il aurait pu reconquérir la belle aux mains du gouverneur. Une fois<br />

encore, l'épée apparaît comme un auxilliant négatif, promoteur d'améliorations<br />

ponctuelles (ici, ne pas être battu ni chassé) et de dégradations à plus long terme (_<br />

je me vois condamné à ne revoir la belle Cunégonde de ma vie ? à quoi me servira<br />

de prolonger mes misérables jours_ » (p. 184 : XVI)).<br />

<strong>Le</strong> meurtre du baron constitue, cela dit, une séquence charnière de Candide.<br />

L'acteur baron est en effet une figure syncrétique réunissant le noble, le religieux, le<br />

militaire, synthétisant les divers sujets auxquels Candide eut à se frotter : le baron est<br />

en même temps « monseigneur le commandant » (p. 179 : XIII) et « le jésuite baron<br />

de Thunder-ten-tronckh » (p. 182 : XV). Si l'on se souvient que l'usage régissait<br />

l'avenir des familles nobles en confiant à l'aîné l'héritage des terres, au cadet la<br />

carrière des armes et au troisième l'habit ecclésiastique, on s'aperçoit qu'en dernière<br />

analyse c'est au meurtre rituel de la famille noble que Candide se livre. La<br />

liquidation du baron équivaut à l'élimination d'un obstacle objectif : la question du<br />

droit ne se pose plus et le seul empêchement à une conjonction définitive est<br />

l'absence de pouvoir. En attendant le changement économique que Candide connaîtra<br />

au chapitre XVIII, le héros est à nouveau obligé de fuir (« Galopons mon maître_<br />

nous aurons passé les frontières avant que_ » (p. 183 : XV)) réitérant la conclusion<br />

de la première séquence et la fin de l'épisode de Lisbonne. L'aliénation est cependant<br />

moindre comparée à celle qu'a connue Candide au chapitre II. Il demeure séparé de<br />

Cunégonde mais n'est plus privé des biens matériels (nourriture) qui étaient associés<br />

à la jeune fille dans le château initial (onomastique du personnage et métonymie<br />

amour/dîner). On comparera : « Candide_ marcha longtemps sans savoir où_<br />

pleurant_ la plus belle des baronnettes_ il se coucha sans souper au milieu des<br />

champs_ » (p. 146 : II) à « _ que je me sois condamné à ne revoir la belle<br />

161

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!