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DESCRIPTION SÉMIOTIQUE D'UN CONTE PHILOSOPHIQUE : CANDIDE<br />
La conséquence de l'affrontement victorieux est que Candide reste conjoint<br />
avec Cunégonde. La lutte paye, puisque, à l'inverse, dans la première séquence, la<br />
passivité de Candide l'avait disjoint de Cunégonde. Cependant la conjonction est<br />
précaire, elle a lieu dans un contexte de fuite et de manques (« Qui a donc pu me<br />
voler mes pistoles et mes diamants ? disait en pleurant Cunégonde : de quoi vivronsnous<br />
? » (p. 165 : X)) et reste menacée, la liquidation du Juif et de l'Inquisiteur<br />
n'étant pas suffisante pour faire disparaître l'hydre des opposants. Aussi cette épreuve<br />
réussie - échouée elle eût signifié la disparition de Candide – ne constitue pas<br />
cependant une épreuve principale 1. Pour comprendre l'impuissance de Candide, il<br />
faut analyser le statut de son adjuvant « l'épée ». Indéniablement l'épisode de<br />
l'enrôlement a servi à Candide de « programme narratif d'usage » (Greimas) c'est-àdire<br />
l'acquisition d'une compétence nécessaire à la réussite de l'épreuve principale<br />
(jonction avec Cunégonde) 2 . Or si cet auxiliant (symbole de la noblesse) est négatif<br />
c'est qu'il est lié en un faux savoir 3 , possédé par Candide concernant les valeurs du<br />
dit objet avec un autre sujet (virtualisation). L'énoncé de faire a pour objet la transformation d'un énoncé<br />
d'état sous la forme d'une relation transitive : faire être (transformation). Ainsi l'intervention du baron est<br />
un énoncé de faire qui transforme l'énoncé d'état (Candide ^ Cunégonde) en un autre énoncé d'état (baron<br />
^ Cunégonde V Candi- de). Chacun des sujets opérateurs constitue pour l'autre un adversaire, qu'on<br />
appelle opposant ou anti-sujet. Projetée syntagmatiquement, la jonction structurale rend compte de la<br />
drama- tisation de la narration sous la forme d'un parcours actantiel. Ainsi Candide disjoint de Cunégonde<br />
se conjoint à elle (scène du paravent), s'en trouve disjoint par l'intervention du baron, se conjoint à<br />
nouveau à Lisbonne, s'en trouve à nouveau disjoint par le gouverneur et finira par se conjoindre<br />
définitivement dans le dernier chapitre. Remarque 1 : l'existence de l'énoncé complexe (S2 ^ O V S2)<br />
crée un paradigme d'opposants (anti-sujets) à Candide : le baron père, le juif et l'Inquisiteur, le<br />
gouverneur, le baron fils par rapport à l'objet valeur Cunégonde, Vandenderdur, le juge hollandais, les<br />
médecins, l'abbé périgourdin, la marquise par rapport à l'objet or. Remarque 2 : la valeur de l'objet pour<br />
le sujet peut être objective (valable pour les actants du récit (personnages) et pour les actants transnarratifs<br />
(auteur/<br />
lecteur) ou subjective (valable pour l'un des actants du récit). Ainsi il y aura un décalage entre la valeur<br />
objective de Cunégonde (dès le chapitre IX) et la valeur qu'elle gardera longtemps aux yeux de Candide.<br />
1 « <strong>Le</strong> déroulement canonique de tout récit figuratif enchaîne, selon un ordre fixe, trois syntagmes de<br />
même structure, appelés "épreuves". Ces épreuves ne se distinguent les unes des autres que par la nature<br />
de l'objet obtenu qui leur assigne une place dans la chaîne syntagmati- que. Dans l'épreuve qualifiante,<br />
l'objet à obtenir par le sujet n'est autre que la compétence présupposée par sa performance future. Même<br />
si l'objet que le héros emporte à la suite de cet exploit préparatoire (épée de Siegfried, lampe d'Aladin,<br />
anneau de Gigès, etc_) est figuratif, il n'est que l'incarnation d'un ensemble de modalités, inscrites dans la<br />
logique de la construction du récit comme les composantes nécessaires de la compétence.<br />
L'épreuve glorifiante a pour objet la reconnaissance collective de l'acte accompli_<br />
En réalité, ces "épreuves" ne connaissent que deux variantes ; elles peuvent être :<br />
- soit une lutte entre un sujet et un anti-sujet se disputant un même objet ;<br />
- soit un échange, avec deux objets circulant entre deux sujets ». Anne Henault, ibid.<br />
2 « Ce jeune garçon, bon Allemand élevé dans l'amour de la métaphysique et de Melle Cunégonde,<br />
devient un mercenaire. Il a appris dans l'armée bulgare les derniers perfectionnements de l'art militaire -<br />
c'est-à-dire l'exercice à la prussienne, lequel assurait à l'infanterie de Frédéric II, grâce à une mécanisation<br />
rigoureuse des gestes et à un entraînement intensif, une cadence de tir et par conséquent une puissance de<br />
feu très supérieure à celle des autres armées. Candide va vendre ses talents guerriers à Cadix à une<br />
puissance latine un peu arriérée en matière de technique militaire ». René Pomeau, ibid., p. 1308.<br />
3 « On dit qu'un énoncé d'état est modalisé selon l'être et selon le paraître. Attention : "être" et "paraître"<br />
ne sont pas des valeurs en soi, définies une fois pour toutes à partir du jugement que nous pouvons porter<br />
sur telle ou telle relation d'état : ce sont des modalités de l'énoncé d'état, inscrites dans la structure même<br />
du récit : "il s'agit toujours /d'être - x / ou de /non paraître - y/. /Etre/ et /paraître/ modalisent X et Y et<br />
permettent, non pas une évaluation morale des personnages_ mais une classification modale et<br />
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