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Le Conte

Tout sur les contes

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LE CONTE<br />

détient le pouvoir coercitif et, par conséquent, représente le droit et le bien (« les<br />

sages du pays »), Pangloss et Candide, contestataires involontaires de l'ordre,<br />

apparaissent comme des anti-sujets au travers du rôle thématique de l'hérétique. Si<br />

Pangloss, qui parle et raisonne, développe bien un programme discursif d'opposition,<br />

Candide n'est ici anti-sujet que sur le mode du paraître et demeure en fait un nonsujet.<br />

Retrouvé et protégé par Cunégonde, il est à nouveau placé comme objet d'une<br />

scène amoureuse comparable à celle de la séquence inaugurale. En témoigne le fait<br />

que les deux héros réunis tentent de rétablir le bonheur perdu en répétant la scène du<br />

baiser du chapitre I. A nouveau s'établit une liaison étroite entre le sexe et la<br />

nourriture 1 . La contiguïté table / souper / canapé, rappelle la contiguïté dîner / table /<br />

paravent du chapitre I. Cette liaison est inscrite au niveau de l'expression par le jeu<br />

phonique des « signifiants primaires » (Lotman) du conte : « aprEs, soupEr, canapE,<br />

parlE, ETAIENT_ » 2 . Toutefois la répétition s'accom- pagne d'un infléchissement du<br />

rapport nourriture sexe dans le sexuel : le « paravent » se transforme en « canapé » et<br />

le « dîner » en « souper » ; quant à l'ellipse licencieuse (« ils y étaient encore » (p.<br />

163 : IX)) elle laisse entendre que cette fois la consomma- -tion a été effective. La<br />

conclusion de la scène est toutefois radicalement différente. D'abord, les acteurs Juif<br />

et Inquisiteur occupent la place du baron père, élargissant le paradigme des<br />

opposants de Candide dans une configuration thématique qui associe noblesse et<br />

religion 3 . Associés par un accord marchand, ils aperçoivent en Candide un opposant<br />

tentant de les déposséder de l'objet qui leur appartient. Ensuite, si le statut d'opposant<br />

ne correspondait, dans la première séquence qu'à un paraître de circonstance, dans<br />

celle-ci, il coïncide avec un être véritable de Candide. Loin d'accepter sans<br />

protestation le châtiment que lui réservent ses ennemis, Candide fait face et liquide<br />

physiquement ses adversaires. C'est qu'entre temps, il a acquis la modalité du vouloir<br />

(vouloir aimer Cunégonde) (cf. « il est mon rival_ quand on est amoureux_ » (p.<br />

164 : IX)) et s'est donc constitué en sujet et donc en anti-sujet pour ceux qui sont<br />

actuellement conjoints 4 avec l'objet Cunégonde.<br />

1 Liaison établie dès la description initiale de Cunégonde (voir plus loin note 50 et réassertée plus tard<br />

par le narrateur : « _ quand il parlait de Cunégonde, surtout à la fin des repas_ » (p. 202 : XX).<br />

2 Ils réapparaîtront avec la future fausse Cunégonde : « Ayant soupé, la marquise mena Candide dans son<br />

cabinet et le fit asseoir sur un canapé » (p. 213 : XXVII).<br />

3 « L'obstacle religieux_ va se dresser entre Candide et Cunégonde à Lisbonne sous une double<br />

apparence : celle d'un juif, zélateur ardent de l’Ancien Testament, jaloux et coléreux comme le dieu qu'il<br />

sert, et celle du personnage qui incarne le mieux la religion oppressive, le grand Inquisiteur. Ces deux<br />

figures se complètent : elles représentent, le texte le dit, l'ancienne loi et la nouvelle, soit la religion tout<br />

entière ». René POMMEAU, « Candide entre Marx et Freud », Studies on Voltaire, n° 89, 1972, p. 1319.<br />

4 La théorie greimassienne considère comme primordiale le rapport sujet ---> objet dans la mesure où la<br />

transformation narrative est une modification des rapports attribués par ces deux pôles par le récit. « <strong>Le</strong><br />

récit minimal est un acte qui fait passer un sujet d'un état donné à un autre état ». Analysant les<br />

mécanismes de la transformation narrative, Greimas postule l'existence de deux types d'énoncés : les<br />

énoncés de faire et les énoncés d'état. L'énoncé d'état se décrit comme la relation d'appartenance entre un<br />

sujet d'état et un objet de valeur. La relation d'appartenance peut être soit une conjonction (^) soit une<br />

disjonction. Dans bien des récits, et en particulier dans Candide, une règle d'implication réciproque veut<br />

que lorsque Candide (S1) est en possession de Cunégonde (O), il l'arrache à un tiers (S2) et<br />

inversement.<br />

Ce qui signifie qu'appréhendée paradigmatiquement, cette relation a la forme d'un énoncé complexe, à<br />

savoir que toute conjonction d'un sujet avec l'objet (dorénavant réalisation) implique la disjonction du<br />

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