You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
128<br />
LE CONTE<br />
« Un signe grandiose apparut dans le ciel : c'est une femme ! le soleil<br />
l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête »<br />
(chap. 12, v. 1).<br />
Comme dans ce texte chrétien, nos traditions populaires rattachent souvent,<br />
elles aussi, le /céleste/ au /féminin/. Bien entendu, à ces figures du /céleste/,<br />
s'opposeront alors celles du /terrestre/ et, tout aussi fréquentes sinon plus, celles de<br />
l'/aquatique/.<br />
Ce qui nous semble caractériser le conte populaire merveilleux français, c'est<br />
au moins le fait que ce code figuratif - qui prend en charge les rapports<br />
paradigmatiques entre figures - se voit opposé au code thématique qui, lui, organise<br />
les relations syntagmatiques en s'appuyant sur des formes syntaxiques déterminées.<br />
Soit, par exemple, l'opposition « robe de soleil, de lune, d'étoile » vs « peau<br />
d'âne », à laquelle est parfois substituée celle de « très belles robes » vs « haillons » :<br />
au plan des catégories sous-jacentes, cette articulation correspond, dans le premier<br />
cas, à l'opposition céleste/aquatique (l'« âne » étant associé, dans notre corpus, au<br />
/bas/ et, plus précisément, à l'« eau »), et, dans le second, au couple beau/laid ou<br />
riche/pauvre. Cette homologation - /céleste/, /beau/ et /riche/ d'une part, et<br />
/aquatique/, /laid/ et /pauvre/ d'autre part - qui caractérise par exemple Cendrillon et<br />
Peau d'âne, ne s'impose pas toujours : qu'il nous suffise de citer la v. 11 de La<br />
fiancée substituée (conte-type 403) où le Drac, « roi des eaux » (donc lié à<br />
l'/aquatique/) est associé à la /richesse/. Dans le même sens, on relèvera que si les<br />
« cendres » (dans Cendrillon et dans d'autres contes) sont parfois remplacées par la<br />
/saleté/, il n'y a, en fait, aucun lien de nécessité entre celle-ci et celles-là :<br />
figurativement parlant, les « cendres » n'ont rien à voir avec la /saleté/ : on note<br />
d'ailleurs qu'elles étaient souvent employées pour la /propreté/, en particulier pour la<br />
« lessive ».<br />
Ces quelques observations nous invitent à bien voir que l'opposition<br />
céleste/aquatique, par exemple, relève d’une catégorisation figurative qui sous-tend<br />
un découpage du monde en unités discrètes, opposable selon des pôles<br />
d'appartenance, essentiellement spatiaux en l'occurrence. D'une toute autre nature<br />
sont les couples beau/laid ou riche/pauvre, qui sont le fruit, eux, d'une catégorisation<br />
thématique, procédure située tantôt au plan esthétique (beau/laid), tantôt à celui<br />
économique (riche/pauvre), tantôt au plan moral (bon/méchant) comme il advient en<br />
particulier en bien des récits des Fées (conte-type 480) - telle la v. 29 :<br />
« Elle était belle et très bonne. Sa soeur, par contre, était très mauvaise «<br />
où la /bonté/ de l'héroïne lui fait avoir une « étoile » au front, tandis que la<br />
/méchanceté/ de sa sœur est sanctionnée par l'octroi d'une « queue d'âne » (ou par le<br />
don de produire, à chaque parole prononcée, des « crapauds » ou des « serpents »).<br />
On notera alors que si nos contes merveilleux font appel - par le biais de la<br />
catégorisation figurative - à un découpage classificateur du monde, ils visent surtout<br />
à le surdéterminer au plan thématique, en recourant en particulier à la procédure<br />
d'appréciation vs dépréciation qui est explicitable en termes d'organisations modales.<br />
Citons, en ce sens, un fragment de la v. 32 de Cendrillon :<br />
« _ de ces deux filles, il y en avait une qu'on l'aimait beaucoup plus que<br />
l'autre. Celle qu'on aimait le plus, on l'appelait la Jolie et l'autre on l'appelait<br />
la Laide (_) Voilà qu'un jour que c'était celle qu'on appelait la Laide qui<br />
gardait, il lui apparut une dame (_) Et elle quitta la jeune fille comme ça. Et le