Mix&Remix
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Décembre 2016<br />
Mix&<strong>Remix</strong><br />
Hommage<br />
16 pages spéciales
Hommage<br />
Alain Jeannet<br />
Rédacteur en chef<br />
Un homme<br />
libre<br />
IL VOULAIT PARTIR et tenter une nouvelle aventure.<br />
J’étais en train de marcher dans les montagnes<br />
marocaines quand Mix & <strong>Remix</strong> m’a<br />
téléphoné. Un premier appel, un deuxième appel<br />
et enfin un troisième appel suivi d’un nouveau<br />
contrat. Après un dur marchandage, Mix avait<br />
fini par accepter de rester. Nous lui offrions un<br />
nouveau défi: publier chaque jour un dessin sur<br />
l’application mobile de L’Hebdo. Il tint le pari<br />
pendant plus de trois ans avant de signer sa dernière<br />
planche pour notre magazine: «Merci de<br />
m’avoir suivi… là je ne peux pas<br />
vous dire où je vais!»<br />
Mix nous amenait ses dessins<br />
le mardi après-midi sans nous<br />
avoir annoncé ses sujets au préalable.<br />
Il les posait sur la table<br />
ou les envoyait par e-mail, il nous<br />
demandait de vérifier l’orthographe<br />
et il repartait. Il travaillait<br />
seul dans son coin. Je me<br />
suis souvent posé la question: pourquoi, en dix<br />
ans, n’ai-je jamais eu à refuser l’un de ses dessins,<br />
pas un seul? Ses collègues dessinateurs parleront<br />
mieux que moi de son riche parcours artistique,<br />
de son trait, de son talent narratif. Si, comme<br />
rédacteur en chef, je n’ai jamais eu à le censurer,<br />
c’est qu’il offrait sur le monde un regard absolument<br />
libre. Sans la moindre trace de moralisme.<br />
Et Dieu sait si la presse souffre parfois de moralisme.<br />
Pourquoi, en dix ans,<br />
n’ai-je jamais eu<br />
à refuser l’un<br />
de ses dessins,<br />
pas un seul?<br />
Une hésitation, une fois, cependant, à propos<br />
d’un dessin qui montrait un personnage coiffé<br />
d’un turban et qui disait: «Je mange halal, je baise<br />
anal.» Prendrais-je aujourd’hui la même décision?<br />
Siné, lui, l’avait refusé pour le journal qui portait<br />
son nom et auquel Mix collaborait.<br />
JE ME SUIS SOUVENT INTERROGÉ sur les ressorts<br />
de la miraculeuse productivité de Mix. C’est vrai,<br />
son trait lui permettait une exécution rapide et<br />
efficace. Mais derrière chaque planche pour L’Hebdo,<br />
derrière tous les gags minutes<br />
brossés en direct pour l’émission<br />
Infrarouge, dans tous les travaux<br />
marketing auxquels il s’adonnait<br />
plus souvent qu’à son tour, il y<br />
avait une idée nourrie par une<br />
espèce de connaissance extralucide<br />
de la condition humaine.<br />
Et c’est le secret qu’il emporte<br />
avec lui. Mix le punk, Mix le<br />
meilleur dessinateur de presse du monde. Mix<br />
que nous avons croisé il y a quelques jours au vernissage<br />
de l’exposition montée avec sa fille Louiza.<br />
Mix à qui nous avons acheté un petit dessin titré<br />
avec ironie: Picasso.<br />
Un génie, comme lui.<br />
Adieu Mix. ■<br />
COUVERTURE OLIVIER MAIRE<br />
alain.jeannet@hebdo.ch<br />
2 L’HEBDO 22 DÉCEMBRE 2016
Mix&remix<br />
3 SEPTEMBRE 1998 Quatre gags et un strip: Mix & <strong>Remix</strong> a droit à «sa» page, formule depuis inchangée.<br />
22 DÉCEMBRE 2016 L’HEBDO 3
Mix&remix<br />
Le «no future»<br />
a rejoint<br />
Mix & <strong>Remix</strong><br />
Hommage. Le meilleur dessinateur du monde s’est éteint<br />
à l’âge de 58 ans, des suites d’un cancer. Issu de la mouvance<br />
punk, grandi dans le rock, cet humoriste infatigable a posé<br />
sa marque sur la Suisse et déridé la moitié de la planète.<br />
Il a fait ses débuts à «L’Hebdo», qu’il a accompagné<br />
durant vingt-cinq ans.<br />
BALEINE En 2005,<br />
Philippe Becquelin<br />
retourne dans sa classe<br />
d’école, à Saint-Maurice,<br />
et refait le dessin primitif<br />
au tableau noir.<br />
THIERRY PAREL<br />
ANTOINE DUPLAN<br />
Au commencement est une baleine.<br />
Celle que Philippe Becquelin, à l’âge de 3<br />
ans, dessina sur son petit tableau noir. Ce<br />
Léviathan de craie, cette bouche d’ombre<br />
épouvantait si fort le bambin qu’il n’osait<br />
plus rentrer dans sa chambre. Sa mère<br />
a dû effacer l’œuvre, en gourmandant<br />
son idiot de fils: «C’est juste un dessin!<br />
Et c’est toi qui l’as fait.»<br />
Philippe Becquelin est né à Saint-<br />
Maurice, le 6 avril 1958. Son père, mécanicien<br />
à l’usine électrique de Lavey, aurait<br />
aimé être dessinateur. A défaut d’avoir<br />
pu suivre cette voie, il ramène Spirou,<br />
Tintin, Pilote à la maison pour le plus<br />
grand bonheur de Philippe et de ses deux<br />
sœurs. Comme il n’y a pas la télévision,<br />
les enfants dessinent tout le temps. Philippe<br />
aime Lucky Luke, l’absurde selon<br />
Gotlib, le graphisme simple des Peanuts,<br />
de Schulz. Il vénère le Concombre masqué,<br />
de Nikita Mandryka. Sous le nom<br />
de Nicleb, Philippe illustre le journal de<br />
l’école, Le Potin (tirage: 800 exemplaires,<br />
ventes: 800 exemplaires, élèves du collège:<br />
800) dans lequel le jeune Daniel<br />
Rausis fait ses premières armes. Après<br />
une scolarité plutôt orientée sur la cancrerie,<br />
puis des études interrompues de<br />
graphisme à Sion, le jeune Agaunois<br />
débarque à Lausanne.<br />
Aux Beaux-Arts, il rencontre Dominique,<br />
une belle Pulliérane, atterrie là<br />
parce qu’elle dessinait «assez bien». Ils<br />
ne se sépareront plus. Expulsé de l’école<br />
pour rock attitude prononcée, le couple y<br />
revient par la porte de derrière et décroche<br />
tant bien que mal son diplôme. A la fin<br />
de l’été 1984, il débarque pour un stage<br />
de graphisme à L’Hebdo. En ces temps<br />
où le no future était encore tout frais, le<br />
couple affectionnait le cuir jusqu’à la<br />
casquette. Assis côte à côte, courbés<br />
sur la table lumineuse, face au mur, ils<br />
se passaient et se repassaient les pages<br />
sur lesquelles ils travaillaient et faisaient<br />
montre d’un laconisme à toute épreuve.<br />
Au même moment, la librairie Basta!,<br />
■ ■ ■<br />
˜˜ DÉCEMBRE ˜° ˛˝ L’HEBDO ˙
Hommage<br />
■ ■ ■<br />
à Lausanne, exposait La vie après la mort,<br />
40 dessins carrés, dispersion et encre de<br />
Chine, dévoilant la vie secrète des squelettes<br />
à travers une question existentielle<br />
capitale: «L’existence est-elle aussi nulle<br />
après la mort qu’avant?»<br />
DANSES MACABRES<br />
Dans le premier article que leur consacrait<br />
L’Hebdo, les deux artistes reconnaissent<br />
apprécier les graffitis new-yorkais,<br />
la bande dessinée et le rock (Clash,<br />
Ramones, Zappa, Dylan…), mais<br />
observent de loin les courants artistiques.<br />
«Mieux vaut être Walt Disney que<br />
Warhol!», proclame Mix, avant de rectifier:<br />
«Pas Walt Disney, Schulz! C’est le<br />
plus grand.» Leur style se réclame de<br />
l’«art crocodilien» ou du «minimalisme<br />
gzou». Ce concept vient «des robots qui<br />
grincent un peu. Leurs articulations rouillées<br />
font «gzou gzou.»<br />
C’est l’époque où Lausanne bougeait<br />
enfin. La Dolce Vita ouvre ses portes.<br />
A travers des danses macabres se réclamant<br />
du néo-expressionnisme berlinois,<br />
Philippe et Dominique définissent l’esthétique<br />
de cette vague culturelle sous<br />
le sigle Mix & <strong>Remix</strong>. Ce pseudonyme<br />
intrigant se réfère à la musique; il souligne<br />
aussi les bricolages, collages et recollages<br />
auxquels ils s’adonnent à quatre mains.<br />
Dominique laisse bientôt sa moitié voler<br />
de ses propres ailes. Promue «autorité<br />
morale», elle porte un jugement parfois<br />
sévère sur le travail de son conjoint.<br />
HISTOIRES<br />
MÉCANIQUES<br />
Dans l’effervescence de<br />
la Dolce Vita, Mix &<br />
<strong>Remix</strong> réalise des<br />
affiches de concerts,<br />
des flyers, des étiquettes<br />
de vin… Tourneboulé<br />
par cette déferlante de<br />
couleurs, L’Hebdo<br />
retrouve les deux<br />
artistes entre les murs<br />
noirs de la Dolce Vita qu’ils ont graffités<br />
de toutes les couleurs. Un zéphyr printanier<br />
a soufflé sur les ossuaires. En 1988,<br />
ils dessinent des mutants, des animaux<br />
rigolos, des robots. Leur créativité<br />
déborde dans les pages de L’Hebdo, qui<br />
accueille chaque semaine un strip scénarisé<br />
par Pierre-Jean Crittin: les Histoires<br />
mécaniques observent les cousins de R2-D2<br />
cherchant à craquer les codes de la modernité<br />
urbaine.<br />
DR<br />
PUNK ATTITUDE<br />
A leurs débuts,<br />
Dominique et Philippe<br />
dessinent à quatre mains<br />
des danses macabres,<br />
décorent la Dolce Vita<br />
et ont deux enfants,<br />
Paul et Louisa.<br />
MIX&REMIX<br />
PHILIPPE PACHE<br />
6 L’HEBDO 22 DÉCEMBRE 2016
Mix&remix<br />
27 OCTOBRE 1988 Mix & <strong>Remix</strong> inaugure les «Histoires mécaniques», sur des textes<br />
de Pierre-Jean Crittin, son premier strip pour «L’Hebdo».<br />
GUET Pendant des années, Mix est veilleur<br />
à la cathédrale de Lausanne.<br />
DAVID PRÊTRE S T RA T E S<br />
2 MARS 1995 Le dessinateur se penche pour la première fois sur l’actu et lance une nouvelle<br />
série, «La petite semaine».<br />
Tracées en noir et blanc dans une<br />
ligne fil de fer, se réclamant d’un esprit<br />
Shadoks postpunk, ces scènes de la vie<br />
nulle enchantent la moitié des lecteurs. Il<br />
n’était pas rare que le rédacteur en chef<br />
du magazine se tournât vers le visionnaire<br />
anxieux qui avait introduit le loup<br />
punk dans la bergerie sociale-démocrate<br />
pour un blâme glacial sur la question de<br />
l’humour. Après une de ces admonestations,<br />
les deux loustics s’étaient vengés<br />
en proposant trois figures éprouvées de<br />
la mécanique comique comme le râteau<br />
dans la figure ou l’arroseur arrosé…<br />
IL A SONNÉ L’HEURE<br />
Lentement, Mix devient indispensable.<br />
Sa rapidité d’exécution et la vivacité de<br />
son esprit sauvent L’Hebdo de quelques<br />
pannes visuelles. En janvier 1991, il<br />
signe sa première couverture, Je suis<br />
Suisse mais je me soigne, à l’occasion d’un<br />
numéro spécial conjurant les psychodrames<br />
liés à la célébration du 700 e<br />
anniversaire de la Confédération. Pour<br />
proclamer une approche décomplexée<br />
et répondre aux provocations de Ben,<br />
le dessinateur opte pour un fond rouge<br />
comme le sang, le feu, le drapeau, la<br />
culotte à Mickey, que barre une croix<br />
fédérale biscornue et hilare.<br />
Pour faire bouillir la marmite à côté<br />
de ses activités artistiques, Mix travaille<br />
comme magasinier ou imprime des<br />
t-shirts. Lausanne étant la dernière ville<br />
à perpétuer la tradition médiévale du<br />
guet, il décroche le job le plus pittoresque<br />
du monde: veilleur à la cathédrale.<br />
Chaque soir, le dessinateur crie<br />
aux quatre points cardinaux: «Il a sonné<br />
l’heure!» Ainsi, celui qui veille de nuit<br />
sur le sommeil des citoyens est le même<br />
qui, le jour venu, réveille les consciences<br />
avec ses petits Mickeys.<br />
Agitateur graphique, lanceur de brûlots<br />
éphémères, Frédéric Pajak estime dès<br />
les années 80 que «Mix & <strong>Remix</strong> est le<br />
meilleur. Le seul dessinateur romand à<br />
avoir un langage.» Les deux artistes tra-<br />
« Mix & <strong>Remix</strong><br />
a pareillement décollé<br />
parce qu’il ne vient pas<br />
de la même planète que<br />
les autres dessinateurs<br />
de presse. »<br />
PIERRE-JEAN CRITTIN,<br />
journaliste<br />
vaillent de concert, participent à d’innombrables<br />
aventures éditoriales (Voir, Good<br />
Boy...), montent des expos. Le dimanche<br />
soir, Pajak monte retrouver Mix dans sa<br />
guérite du beffroi. Ensemble, ils font les<br />
illustrations de L’Eternité hebdomadaire.<br />
Sous l’influence de Pajak, Mix se dirige<br />
vers le dessin satirique.<br />
En 1994, les auteurs des Histoires mécaniques<br />
subissent un sévère camouflet: le<br />
rédacteur en chef de L’Hebdo les licencie.<br />
Il apprécie leur travail, mais a soif<br />
de changement. Fin décembre, Mix livre<br />
son dernier strip et s’apprête à tirer sa<br />
révérence. Profitant que le chef soit en<br />
vacances de neige, le chef de la rubrique<br />
culturelle et le rédacteur en chef adjoint<br />
s’abstiennent d’entériner une décision que<br />
leur supérieur a, semble-t-il, lui-même<br />
oubliée... La collaboration se poursuit –<br />
sans Crittin, froissé par l’affaire, tandis<br />
que Mix imagine un personnage central,<br />
Max, un petit gars avec des grandes<br />
oreilles.<br />
GROS PIFS<br />
Au milieu des années 90, Mix renoue<br />
avec les gros nez de l’école franco-belge<br />
pour créer son homme universel, une<br />
créature insectoïde à pattes grêles et<br />
rostre volumineux qui fait la gueule.<br />
■ ■ ■<br />
22 DÉCEMBRE 2016 L’HEBDO 7
Hommage<br />
«L’HEBDO» A la fin du X<br />
e siècle, Mix & <strong>Remix</strong> décore les murs de la salle de conférence, aujourd’hui détruite...<br />
L ’ H E B DO<br />
■ ■ ■<br />
1991 Premier numéro de l’année, première<br />
couverture de Mix & <strong>Remix</strong>.<br />
« Mix ne recourt<br />
jamais à la caricature<br />
ordinaire, besogneuse<br />
et stéréotypée. Il va<br />
à l’essentiel. Par le<br />
dessin et par l’idée. »<br />
FRÉDÉRIC PAJAK,<br />
dessinateur, écrivain, éditeur<br />
Comment les gros pifs ont-ils supplanté<br />
les squelettes? Ou, pour reprendre ses<br />
mots, comment passe-t-on «du Septième<br />
sceau aux Rois du gag? Je l’ignore. Ces<br />
putains de gros pifs, je trouvais ça vulgaire,<br />
horrible. Et puis, tout à coup, ils<br />
étaient là… En dessinant des robots, je<br />
suis arrivé assez rapidement à cette stylisation.<br />
Quand j’ai commencé à faire<br />
du dessin satirique, il fallait que ce soit<br />
des êtres humains. J’ai juste mis une tête<br />
humaine avec un nez sur ces corps de<br />
robots, sur ces pattes. C’est vraiment des<br />
gadgets, pas de la vraie caricature.»<br />
Dans la préface de Dessins politiques,<br />
Frédéric Pajak souligne que Mix ne<br />
recourt jamais à «la caricature ordinaire,<br />
besogneuse et stéréotypée». Il va<br />
«à l’essentiel. Par le dessin, mais aussi par<br />
l’idée. Quelques traits, quelques mots,<br />
jamais les uns sans les autres. L’idée,<br />
chez lui, n’est pas emberlificotée. Elle<br />
n’est jamais démagogique. Elle ne flatte<br />
pas le conformisme.»<br />
La révolution graphique marque un<br />
changement de tonalité. Aux divagations<br />
drolatiques des Histoires mécaniques succède<br />
dans L’Hebdo la fameuse Petite semaine de<br />
Mix & <strong>Remix</strong>, des gags sur l’actualité qui<br />
font mouche avec une efficacité redoutable.<br />
En trois coups de crayon, le cidevant<br />
peintre rock parvient à décortiquer<br />
les conjonctures les plus complexes. Le<br />
no future des années de formation nourrit<br />
une pensée subversive. Il fait feu de<br />
tout bois: gauche-droite, riches-pauvres,<br />
crapauds-colombes, pacifistes-militaires,<br />
il n’y en a pas un pour sauver l’autre...<br />
Sous son apparente désinvolture, le dessinateur<br />
s’intéresse à tout et démontre<br />
un exceptionnel talent de vulgarisation<br />
amusante. Son nihilisme amusant séduit<br />
tout le monde.<br />
«LE MEILLEUR»<br />
«Mix, c’est le meilleur, c’est le plus<br />
grand», affirme Blaise Duc, ancien<br />
gérant de la Dolce Vita, aujourd’hui<br />
directeur du département Design &<br />
Promotion RTS. Pour Zep, pour Siné,<br />
il est simplement le «meilleur dessinateur<br />
d’humour de la planète». Avant<br />
de devenir directeur éditorial chez Casterman,<br />
Benoît Mouchart dirigeait le<br />
Festival d’Angoulême. Il y a organisé<br />
en 2005 une petite exposition Mix &<br />
<strong>Remix</strong>, très prisée par les professionnels<br />
qui saluent tous «le talent d’humoriste<br />
coup de poignard, mais aussi le dessin<br />
beaucoup plus sophistiqué, plus élaboré<br />
que ne le laisse supposer son apparente<br />
simplicité».<br />
A la tête du Courrier international,<br />
Odile Conseil ne cache pas son enthousiasme:<br />
«Mix se différencie des autres par<br />
sa drôlerie incroyable. Il ne se départit<br />
jamais de ce principe: aller chercher le<br />
truc marrant. Sur certains sujets, on<br />
8 L’HEBDO 22 DÉCEMBRE 2016
Mix&remix<br />
les voit venir de loin, les dessinateurs.<br />
Mix, il réussit toujours à aller ailleurs.<br />
Les dessins de Mix, on les adore, parce<br />
qu’ils font toujours rire, ce qui n’est pas<br />
le cas avec ceux des autres.»<br />
Pierre-Jean Crittin confirme. Peut-être<br />
Mix a-t-il «pareillement décollé parce<br />
qu’il ne vient pas de la même planète que<br />
les autres dessinateurs de presse. Je crois<br />
qu’il a conservé un rapport au rock. Une<br />
chanson de trois minutes pour raconter<br />
une histoire: ses dessins procèdent de la<br />
même démarche. Ce sont des hits, ils<br />
sont catchy. Mix est au dessin ce que les<br />
Ramones sont à la musique.»<br />
GAGS À DEUX BALLES<br />
A côté du dessin d’actualité, Mix perpétue<br />
une tradition comique avec ce qu’il<br />
appelle ses «gags à deux balles». Frappées<br />
au coin de l’absurde, ces histoires<br />
d’hommes des cavernes et de Martiens,<br />
d’îles désertes, de clowns et de fous renvoient<br />
à l’enfance de la BD et nourrissent<br />
1 er Degré, publication papier éphémère,<br />
pérenne sur le web. On y trouve celle de<br />
l’escargot qui a arrêté la coke ou ce dialogue<br />
contemporain renversant: «Tu filmes<br />
ton oreille?» «Non, je téléphone...»<br />
Au cours de la dernière décennie,<br />
Mix se démultiplie. Parallèlement à<br />
L’Hebdo, il collabore à Blick, Vibrations,<br />
Courrier international , Lire, L’Express,<br />
Siné Mensuel, Spirou... Il illustre en direct<br />
Infrarouge à la télévision. Il dessine pour<br />
l’Administration des impôts, le Centre<br />
social protestant, la Loterie romande, les<br />
manuels scolaires... Il produit jusqu’à<br />
dix dessins par jour, d’une qualité égale.<br />
Le meilleur de son travail est rassemblé<br />
dans Gags, Regags, Le Mix et Dessins<br />
politiques (Les Cahiers dessinés). Si l’on<br />
suggère à l’ex-fer de lance de l’underground<br />
lausannois qu’il est devenu une<br />
institution, il ricane: «L’underground<br />
mène à tout à condition d’en sortir.<br />
En fait, je ne me suis jamais senti le<br />
fer de lance de quoi que ce soit. Tu es<br />
underground parce que l’underground<br />
t’engage. Si, dans les années 80, la BCV<br />
avait voulu des squelettes, je n’aurais<br />
pas été underground...»<br />
Fidèle à L’Hebdo, il y dispose depuis<br />
1998 d’une pleine page, quatre dessins<br />
et un strip, pour commenter l’actualité.<br />
Il truffe les pages du magazine d’illustrations,<br />
sauve par son humour de pesants<br />
dossiers sur la fiscalité ou les bilatérales.<br />
Le mardi, c’est fête lorsqu’il livre ses dessins.<br />
En 2005, pour un grand portrait,<br />
nous avons rejoué la scène primitive: au<br />
collège de Saint-Maurice et sur le tableau<br />
noir de sa classe, sans peur ni remords,<br />
Mix a redessiné la baleine originelle. Et<br />
puis, en 2013, après un quart de siècle<br />
passé à dérider L’Hebdo humainement<br />
et graphiquement (il a même décoré les<br />
murs de la salle de conférences), Mix &<br />
<strong>Remix</strong> est parti pour le Matin-Dimanche.<br />
Le magazine n’a plus jamais été le même.<br />
DERNIERS RIFFS<br />
Au début de l’année, on a diagnostiqué<br />
un cancer du pancréas à Philippe Becquelin,<br />
qui souffrait de douleurs dorsales.<br />
Mix a disparu de la presse et de l’espace<br />
public. On l’a recroisé, très amaigri mais<br />
toujours rigolard, au festival BD-Fil, au<br />
Palais de Rumine où il recevait le Prix<br />
du rayonnement de la Fondation vaudoise<br />
pour la culture. A la fin de l’été,<br />
profitant d’un regain d’énergie, il ouvrait<br />
une lucarne en page 2 du Matin-Dimanche.<br />
L’autre jour, l’Espace Richterbuxtorf,<br />
à Lausanne, vernissait Venus pour rire,<br />
exposition conjointe de Mix & <strong>Remix</strong> et<br />
de Louiza, sa fille. Le père trempe son<br />
pinceau dans l’encre la plus noire pour<br />
renouer avec le geste paléolithique de<br />
ses débuts. Il est difficile de dissocier ces<br />
œuvres puissantes de son état de santé.<br />
Par exemple Joyeuses Pâques: unies par<br />
des filaments, deux figures ovoïdes, l’une<br />
chétive et jaune, l’autre forte, rouge et en<br />
colère, semblent symboliser le lien entre<br />
l’être et la tumeur. Pour le galeriste Gilles<br />
Richter, ces derniers traits arrachés par<br />
Mix à la nuit sont comme l’accord brutal<br />
et définitif qu’un vieux rockeur plaque<br />
sur sa guitare. La comparaison est parfaite.<br />
D’ultimes griffures, fortes comme<br />
le riff de London Calling. Trente ans de<br />
rock’n’roll dans les pognes...<br />
La foule des grands soirs se pressait à<br />
Richterbuxtorf. Il y avait là ceux qui, au<br />
XX e siècle, faisaient L’Hebdo et la Dolce<br />
Vita, Vibrations et Good Boy, et même Philippe<br />
Geluck, passé en voisin bruxellois.<br />
Mix est arrivé plus tard. Il s’est assis au<br />
fond, souffle court. Les amis allaient le<br />
saluer comme on rend hommage à un<br />
astre qui s’éteint. La semaine suivante,<br />
Philippe Becquelin entrait à l’hôpital. Il<br />
s’est éteint le 19 décembre 2016.<br />
La bouche d’ombre de la baleine griffée<br />
sur un tableau noir en 1961 a fini par<br />
engloutir Mix, le seul à même de rendre<br />
le sourire à l’époque. Le monde a perdu<br />
un génie, nous pleurons un ami. ■<br />
PEINTURE Dans ses dernières œuvres, comme «Joyeuses Pâques» (au-dessus),<br />
Mix renoue avec le geste paléolithique de ses débuts.<br />
DR<br />
22 DÉCEMBRE 2016 L’HEBDO 9
Hommage<br />
Mix & <strong>Remix</strong><br />
à «L’Hebdo».<br />
De 1988 à 2013,<br />
le dessinateur a défin<br />
l’esthétique du magazine.<br />
En 1991, il signe sa<br />
première couverture;<br />
des dizaines d’autres<br />
suivront. Et pendant<br />
un quart de siècle,<br />
ses «strips» ont été un<br />
des rendez-vous les plus<br />
courus des lecteurs.<br />
10 L’HEBDO 22 DÉCEMBRE 2016
Mix&remix<br />
■ ■ ■<br />
22 DÉCEMBRE 2016 L’HEBDO 11
Hommage<br />
■ ■ ■<br />
12 L’HEBDO 22 DÉCEMBRE 2016
Mix&remix<br />
22 DÉCEMBRE 2016 L’HEBDO 13
Hommage<br />
DR DR<br />
DR<br />
FAMILIER Autant des organisations que des collectivités publiques ou encore des commerces recouraient au talent de Mix & <strong>Remix</strong> pour communiquer. Si bien que le<br />
Un illustrateur dans la cité<br />
Partage. Loin de se limiter aux médias, Mix & <strong>Remix</strong> mettait son trait au service des institutions<br />
ou associations, des collectivités ou de l’éducation, en phase avec ses convictions.<br />
LUC DEBRAINE<br />
La dimension d’un créateur se<br />
mesure aussi à son engagement<br />
dans la société. Or Mix & <strong>Remix</strong> jouait<br />
le jeu collectif, éducatif, associatif, institutionnel<br />
ou agraire. C’était le signe<br />
de sa générosité, de son engagement<br />
pour les causes auxquelles il adhérait.<br />
Mais aussi d’une compréhension de sa<br />
responsabilité d’illustrateur, ici et maintenant,<br />
ou plutôt, hélas, ici et hier. Si<br />
bien que ses petits personnages débordaient<br />
fissa le cercle des médias pour<br />
gagner les rues, les devantures, les<br />
espaces d’affichage, les manuels et les<br />
guides, les sites web et les cafés, les<br />
salles de concert et les caves.<br />
Caves? C’est un exemple parmi<br />
d’autres. Il y a une quinzaine d’années,<br />
par amitié, Mix avait peint avec ses<br />
complices Pajak et Noyau les grandes<br />
cuves du vigneron Gilles Wannaz à<br />
Chenaux, au-dessus de Cully. C’était<br />
˜° L’HEBDO ˛˛ DÉCEMBRE ˛˝ ˜˙
Mix&remix<br />
PAKIPASCALE<br />
dessinateur s’inscrivait avec humour dans notre quotidien, devenait une présence familière.<br />
LUC DEBRAINE<br />
DR DR DR<br />
joyeux, bien sûr peu respectueux de<br />
l’iconographie traditionnelle des vendanges.<br />
A Lausanne, le dessin véloce du<br />
dessinateur servait le magasin «antigaspi»<br />
La Bonne Combine, comme une<br />
enseigne orthopédique de l’avenue de<br />
Beaulieu. Qu’auraient été les affiches<br />
ou flyers du club de la Dolce Vita, il y<br />
a trente ans, sans son talent, alors en<br />
pleine éclosion? Il allégeait la pesanteur<br />
réfrigérante d’un guide pour les déclarations<br />
d’impôts, donnait un coup de<br />
peps à des formations d’apprentissage.<br />
Il contribuait aux Editions Loisirs et<br />
Pédagogie, spécialisées dans les ouvrages<br />
de droit, d’histoire, d’économie, d’institutions<br />
politiques. Mix était presque<br />
l’illustrateur officiel de la vie vaudoise,<br />
un titre qui l’aurait bien fait rire.<br />
Il était aussi actif à Genève, conseillant<br />
aux noctambules d’être plus discrets<br />
devant les cafés, pour ne pas provoquer<br />
des coups de sang dans le<br />
voisinage. Il rappelait gentiment aux<br />
usagers des TPG qu’il est plutôt conseillé<br />
de payer son billet. Une année, les coureurs<br />
de l’Escalade ont eu droit à ses<br />
bonshommes sardoniques: c’était un<br />
bonheur de les découvrir au terme<br />
essoufflé de la course, sur le plat offert<br />
aux concurrents. A Avenches, le Musée<br />
romain a eu droit à une affiche, la Fête<br />
du livre à Saint-Pierre-de-Clages aussi,<br />
Mix n’était pas un sectaire, ni un borné<br />
de la géographie romande.<br />
Si bien que le dessinateur s’inscrivait<br />
avec humour dans nos quotidiens<br />
de citoyens lambda, présence familière<br />
qui nous accompagnait au boulot comme<br />
hors boulot, remontant d’un bon trait<br />
l’échelle graduée de nos humeurs. ■<br />
˜˜ DÉCEMBRE ˜° ˛˝ L’HEBDO ˛˙
Hommage<br />
ADIEUX Le 28 février 2013, Mix signe son dernier dessin pour «L’Hebdo». Il met fin à vingt-cinq ans de ollaboration avec notre magazine.<br />
16 L’HEBDO 22 DÉCEMBRE 2016