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278 PLF 2017 Projet de loi de finances ÉVALUATION PRÉALABLE DE L’ARTICLE 38 Dès lors, le lien entre le tiers payeur et l’administration fiscale pour le calcul et le reversement de la retenue à la source prévue par le projet de réforme du Gouvernement serait remplacé par une relation tripartite : les tiers payeurs calculeraient l’assiette de la retenue à la source et la communiqueraient à l’établissement bancaire teneur du compte du contribuable sur lequel le revenu est versé, l’administration fiscale transmettrait à ce même établissement le taux de prélèvement à la source propre à ce contribuable, lequel devrait, en appariant ces deux informations venant de sources différentes, calculer le montant de retenue à la source à effectuer sur le compte du contribuable, puis reverser celui-ci à l’administration fiscale. L’intervention d’un troisième acteur pour la mise en œuvre du prélèvement à la source introduit de facto des risques supplémentaires d’erreurs et de ruptures dans la chaîne de collecte de l’impôt. En dehors même de cette difficulté, cette solution présente plusieurs complexités. Tout d’abord, si la plupart des Français 9 détiennent un compte bancaire, tous les revenus ne transitent pas nécessairement par virement sur un compte bancaire (paiement par chèque par exemple). Cette solution impliquerait par conséquent de généraliser le paiement obligatoire du salaire et de la retraite par virement. Par ailleurs, certains contribuables détiennent plusieurs comptes bancaires 10 , parfois dans des établissements différents, ce qui multiplierait les intervenants potentiels. En outre, il n’existe pas de solution satisfaisante pour prélever la retenue à la source en cas de versement du salaire sur un compte bancaire à l'étranger. En effet, la législation fiscale française pourrait difficilement être imposée aux banques établies dans un autre État et qui n'exercent pas d'activité en France. Il ne parait pas davantage envisageable d'imposer de domicilier dans une banque établie en France le versement de ses revenus imposables 11 . En outre, cette solution impliquerait que les banques communiquent mensuellement avec les tiers payeurs de revenus (pour récupérer l’information selon laquelle le virement reçu correspond au versement d’un revenu, ainsi que le montant imposable correspondant) et l’administration fiscale (pour récupérer le taux de prélèvement propre au contribuable à appliquer à cette assiette pour effectuer la retenue à la source et reverser cette dernière à l’administration fiscale) sur la base d’un identifiant unique attaché à chaque contribuable. Il serait donc nécessaire d'introduire un identifiant commun entre ces trois intervenants. Or, aujourd’hui, les établissements bancaires ne partagent aucun identifiant commun à la fois avec les tiers payeurs de revenus et avec l’administration fiscale. L’identifiant « naturel » devrait être le numéro de sécurité sociale (NIR) du contribuable, d’ores et déjà commun aux employeurs et à l'administration fiscale (cf. partie 2, sous-partie 4) ce qui permettrait d'assurer un excellent taux d’identification. Cet identifiant devrait en revanche être introduit dans le système d’identification des clients des établissements bancaires et ce, alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a souvent exprimé des réticences fortes quant à l'utilisation de cet identifiant dans le domaine bancaire. Ainsi, dans sa délibération du 11 avril 2013 portant avis sur le projet de loi instaurant un registre national des crédits aux particuliers 12 , la CNIL a estimé notamment que « (l’utilisation du NIR par les banques) reviendrait à autoriser un nombre considérable d'acteurs à collecter cette donnée dans le cadre de la souscription de crédits à la consommation (...). Les risques d’interconnexions et de détournements de finalités seraient multipliés. L’utilisation du NIR dans la sphère "bancaire" reviendrait à banaliser et étendre son usage et induirait inévitablement une baisse de vigilance des personnes du fait de cette utilisation commerciale. À cet égard, une telle utilisation participe du caractère disproportionné du dispositif. ». Il s’agirait en tout état de cause d’une charge nouvelle pour les établissements bancaires, qui ne pourrait pas s’appuyer sur des échanges d’ores et déjà existants : ceux-ci devraient collecter les NIR de chacun de leurs clients puis les paramétrer dans l’ensemble de leurs systèmes d'information concernés. Or, la modification des procédures d'identification dans un système d’information constitue un chantier particulièrement lourd et complexe. 9 99 % en 2015 selon la Fédération bancaire française. 10 23 % des Français auraient un compte dans plusieurs banques selon la Fédération bancaire française (enquête BVA sur l'image des banques, juillet 2015). 11 Principe contraire à la directive n° 2014/92/UE restant à transposer, qui a pour objectif de développer l'activité transfrontalière dans les services bancaires, ainsi qu'à la libre prestation de services garantie par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 12 Le Conseil constitutionnel a finalement censuré le dispositif qui prévoyait la création de ce registre national de suivi des défaillants, même s'il ne prévoyait pas d'utiliser le NIR, au motif « qu'eu égard à la nature des données enregistrées, à l'ampleur du traitement, à la fréquence de son utilisation, au grand nombre de personnes susceptibles d'y avoir accès et à l'insuffisance des garanties relatives à l'accès au registre, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » (DC n° 2014-690 du 13 mars 2014, considérant 57).

PLF 2017 279 Projet de loi de finances ÉVALUATION PRÉALABLE DE L’ARTICLE 38 Par ailleurs, il ne s'agirait pas d'une authentique retenue à la source stricto sensu dans la mesure où le revenu versé par l'employeur ne serait pas net de la retenue à la source. Le prélèvement effectué ne serait pas d’une nature très différente des prélèvements actuellement effectués par l’administration fiscale lorsque le contribuable utilise un moyen dématérialisé de paiement. Dès lors, pour le contribuable, le paiement de l’impôt resterait déconnecté de la perception du revenu correspondant dont le montant restera versé sur son compte bancaire brut de retenue à la source. En outre, pour l’administration fiscale, la difficulté posée par l’existence de comptes débiteurs ou insuffisamment approvisionnés restera entière. Pour surmonter ces désavantages par rapport à une retenue à la source effectuée par le tiers payeur des revenus, deux pistes ont été envisagées dans l’objectif de permettre à la banque d’effectuer la retenue à la source avant le versement du revenu imposable sur le compte courant du contribuable, et non après. Elles consistaient soit à faire pratiquer la retenue à la source par la banque avant que le revenu ne soit crédité sur le compte bancaire (« éclatement du virement »), soit à imposer par la loi l'obligation de créditer le revenu sur un compte miroir du compte courant du contribuable, faire prélever la retenue à la source par la banque sur ce compte, puis faire verser par celle-ci sur le compte courant du contribuable le revenu net de retenue à la source. Ces deux pistes posent toutefois des difficultés d'ordre juridique : - L’ « éclatement du virement » serait contraire à l'article 67 de la directive n° 2007/64 du 13 novembre 2007 relative aux services de paiement dans le marché intérieur, transposé à l'article L. 133-11 du code monétaire et financier. Cet article fait obligation aux banques de transférer le montant intégral du virement, la seule exception prévue par les textes étant relative au prélèvement de certains frais 13 . En conséquence, la mise en place d'un dispositif « d’éclatement du virement » impliquerait de justifier et d'obtenir la modification d'une directive européenne dans des délais très contraints ; - La mise en place d'un « compte miroir », qui rendrait le revenu indisponible jusqu'au prélèvement de l'impôt, pourrait encourir un sérieux risque de censure du Conseil constitutionnel sur le fondement de la violation de l'article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel juge en effet que les atteintes au droit de propriété de l'article 2 doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Si le motif d'intérêt général ne semble pas poser de problème juridique sérieux, une indisponibilité temporaire du salaire risquerait de porter une atteinte disproportionnée aux conditions d'exercice du droit de propriété. L’éventuelle constitutionnalité du dispositif dépendra donc de la durée d'indisponibilité des salaires, ainsi que des garanties légales apportées au contribuable. Or, la durée de 24 heures d'indisponibilité, qui constitue un délai minimum pour la faisabilité technique du dispositif, peut être jugée trop élevée pour garantir le caractère proportionné du dispositif dans la mesure où une retenue à la source effectuée par le tiers payeur des revenus permettrait d'atteindre les mêmes objectifs sans atteinte au droit de propriété. Finalement, ces difficultés techniques ne sont que la conséquence d’un défaut majeur de cette solution qui revient à faire intervenir de manière active un acteur supplémentaire, la banque, entre le tiers payeur des revenus et l’administration fiscale. La complexité induite par un système impliquant un acteur supplémentaire, les risques de rupture d’information dans la chaîne de collecte de l’impôt associés et la moindre lisibilité pour le contribuable ont conduit à ne pas retenir cette piste pour privilégier un dispositif plus naturel, partagé par tous les États ayant mis en place un prélèvement contemporain de la perception des revenus : une retenue à la source effectuée par le tiers payeur des revenus. 13 Frais définis par la directive n° 2014/92 comme « tous les frais et pénalités éventuels dus par le consommateur au prestataire de services de paiement pour ou en rapport avec des services liés à un compte de paiement ».

278 PLF 2017<br />

Projet de loi de finances<br />

ÉVALUATION PRÉALABLE DE L’ARTICLE 38<br />

Dès lors, le lien entre le tiers payeur et l’administration fiscale pour le calcul et le reversement de la retenue à la<br />

<strong>source</strong> prévue par le projet de réforme du Gouvernement serait remplacé par une relation tripartite : les tiers<br />

payeurs calculeraient l’assiette de la retenue à la <strong>source</strong> et la communiqueraient à l’établissement bancaire<br />

teneur du compte du contribuable sur lequel le revenu est versé, l’administration fiscale transmettrait à ce même<br />

établissement le taux de prélèvement à la <strong>source</strong> propre à ce contribuable, lequel devrait, en appariant ces deux<br />

informations venant de <strong>source</strong>s différentes, calculer le montant de retenue à la <strong>source</strong> à effectuer sur le compte<br />

du contribuable, puis reverser celui-ci à l’administration fiscale.<br />

L’intervention d’un troisième acteur pour la mise en œuvre du prélèvement à la <strong>source</strong> introduit de facto des<br />

risques supplémentaires d’erreurs et de ruptures dans la chaîne de collecte de l’impôt.<br />

En dehors même de cette difficulté, cette solution présente plusieurs complexités.<br />

Tout d’abord, si la plupart des Français 9 détiennent un compte bancaire, tous les revenus ne transitent pas<br />

nécessairement par virement sur un compte bancaire (paiement par chèque par exemple). Cette solution<br />

impliquerait par conséquent de généraliser le paiement obligatoire du salaire et de la retraite par virement. Par<br />

ailleurs, certains contribuables détiennent plusieurs comptes bancaires 10 , parfois dans des établissements<br />

différents, ce qui multiplierait les intervenants potentiels. En outre, il n’existe pas de solution satisfaisante pour<br />

prélever la retenue à la <strong>source</strong> en cas de versement du salaire sur un compte bancaire à l'étranger. En effet, la<br />

législation fiscale française pourrait difficilement être imposée aux banques établies dans un autre État et qui<br />

n'exercent pas d'activité en France. Il ne parait pas davantage envisageable d'imposer de domicilier dans une<br />

banque établie en France le versement de ses revenus imposables 11 .<br />

En outre, cette solution impliquerait que les banques communiquent mensuellement avec les tiers payeurs de<br />

revenus (pour récupérer l’information selon laquelle le virement reçu correspond au versement d’un revenu,<br />

ainsi que le montant imposable correspondant) et l’administration fiscale (pour récupérer le taux de prélèvement<br />

propre au contribuable à appliquer à cette assiette pour effectuer la retenue à la <strong>source</strong> et reverser cette<br />

dernière à l’administration fiscale) sur la base d’un identifiant unique attaché à chaque contribuable. Il serait<br />

donc nécessaire d'introduire un identifiant commun entre ces trois intervenants. Or, aujourd’hui, les<br />

établissements bancaires ne partagent aucun identifiant commun à la fois avec les tiers payeurs de revenus et<br />

avec l’administration fiscale.<br />

L’identifiant « naturel » devrait être le numéro de sécurité sociale (NIR) du contribuable, d’ores et déjà commun<br />

aux employeurs et à l'administration fiscale (cf. partie 2, sous-partie 4) ce qui permettrait d'assurer un excellent<br />

taux d’identification. Cet identifiant devrait en revanche être introduit dans le système d’identification des clients<br />

des établissements bancaires et ce, alors que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a<br />

souvent exprimé des réticences fortes quant à l'utilisation de cet identifiant dans le domaine bancaire.<br />

Ainsi, dans sa délibération du 11 avril 2013 portant avis sur le projet de loi instaurant un registre national des<br />

crédits aux particuliers 12 , la CNIL a estimé notamment que « (l’utilisation du NIR par les banques) reviendrait à<br />

autoriser un nombre considérable d'acteurs à collecter cette donnée dans le cadre de la souscription de crédits<br />

à la consommation (...). Les risques d’interconnexions et de détournements de finalités seraient multipliés.<br />

L’utilisation du NIR dans la sphère "bancaire" reviendrait à banaliser et étendre son usage et induirait<br />

inévitablement une baisse de vigilance des personnes du fait de cette utilisation commerciale. À cet égard, une<br />

telle utilisation participe du caractère disproportionné du dispositif. ».<br />

Il s’agirait en tout état de cause d’une charge nouvelle pour les établissements bancaires, qui ne pourrait pas<br />

s’appuyer sur des échanges d’ores et déjà existants : ceux-ci devraient collecter les NIR de chacun de leurs<br />

clients puis les paramétrer dans l’ensemble de leurs systèmes d'information concernés. Or, la modification des<br />

procédures d'identification dans un système d’information constitue un chantier particulièrement lourd et<br />

complexe.<br />

9<br />

99 % en 2015 selon la Fédération bancaire française.<br />

10<br />

23 % des Français auraient un compte dans plusieurs banques selon la Fédération bancaire française (enquête BVA sur l'image des<br />

banques, juillet 2015).<br />

11<br />

Principe contraire à la directive n° 2014/92/UE restant à transposer, qui a pour objectif de développer l'activité transfrontalière dans les<br />

services bancaires, ainsi qu'à la libre prestation de services garantie par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union<br />

européenne.<br />

12 Le Conseil constitutionnel a finalement censuré le dispositif qui prévoyait la création de ce registre national de suivi des défaillants, même<br />

s'il ne prévoyait pas d'utiliser le NIR, au motif « qu'eu égard à la nature des données enregistrées, à l'ampleur du traitement, à la fréquence<br />

de son utilisation, au grand nombre de personnes susceptibles d'y avoir accès et à l'insuffisance des garanties relatives à l'accès au registre,<br />

les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but<br />

poursuivi » (DC n° 2014-690 du 13 mars 2014, considérant 57).

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