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1
DANS CETTE PUBLICATION<br />
Note <strong>de</strong> l’éditeur……………………………………….2<br />
Entretien avec Jean Rouaud……………………………4<br />
Critique littéraire……………………..……………….10<br />
Poésie<br />
La guerre <strong>de</strong> Bosnie…………………………………..14<br />
Je ne regrette rien……………………………………..20<br />
Je Suis Charlie………………………………………...22<br />
ils se réfléchissent……………………………………..25<br />
les averses <strong>de</strong> Mardi……....…………………………..27<br />
L’homme et l’hymne………………………………….30<br />
sans lune à qui parler………………………………….32<br />
Two Late Poems………………………………………34<br />
L’étoile polaire………………………………………..37<br />
Les poèmes d’un américain…………………………...39<br />
L’amour aphone……………………………………….42<br />
“L’arbre Lumière…” ………………………………....44<br />
Déclaration biographique……………………………..46<br />
Slam Pop Poésies - Sélections………………………...49<br />
Entretien avec Souraiya Jennajahn…………………....57<br />
Prose<br />
Une lettre concernant le petit prince………………….63<br />
A quatre heures <strong>de</strong> l’après-midi………………………67<br />
Théâtre<br />
Nunc, ou le manque <strong>de</strong>………………………………..70<br />
1
Note <strong>de</strong> l’éditeur<br />
C’est avec fierté que j’annonce cette <strong>de</strong>uxième édition<br />
du magazine littéraire Dumas <strong>de</strong> <strong>Demain</strong>. Pour moi,<br />
c’est toujours difficile <strong>de</strong> déterminer un thème pour<br />
l’édition courante. Mais cette année en particulier a<br />
marqué l’état français, la langue française et tous les<br />
francophones du mon<strong>de</strong>. Je remarquais que, malgré les<br />
difficultés que nous avons vécues, la passion nous a<br />
permis <strong>de</strong> persévérer. Cette passion, se montrant sous<br />
plusieurs formes <strong>de</strong> littérature, d’art ou <strong>de</strong> messages<br />
électroniques, est partagée par tous. C’est cette passion<br />
qui est plus profondément mise en témoin par les auteurs<br />
<strong>de</strong> cette édition par divers genres qui ont tous une<br />
affection pour la langue française. Mon but était <strong>de</strong><br />
rassembler ces oeuvres qui traduisent cette francophilie<br />
<strong>de</strong> plusieurs manières uniques et marquantes. Nous<br />
espérons que vous retrouverez votre amour pour la<br />
langue et la littérature française présentes dans cette<br />
<strong>de</strong>uxième édition <strong>de</strong> Dumas <strong>de</strong> <strong>Demain</strong>.<br />
—Phillip Michalak<br />
2
3
Entretien avec Jean<br />
Rouaud<br />
4
Jean Rouaud<br />
Jean Rouaud, écrivain et auteur <strong>de</strong> Les Champs<br />
d’honneur, était aux États-Unis pendant une semaine.<br />
On a eu le grand plaisir <strong>de</strong> lui poser une question.<br />
Pourquoi avez-vous décidé d’être écrivain?<br />
“J’étais très stimulé quand j’étais lycéen. J’ai<br />
écris un livre qui s’appelle l’Invention <strong>de</strong> l’auteur avec<br />
cette idée là: qu’est ce qui fait qu’on se met en tête <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>venir écrivain … ou l’intrigue <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir mé<strong>de</strong>cin ou<br />
un footballeur américain? Mais <strong>de</strong>puis l’âge <strong>de</strong> 12 [ou]<br />
13 ans c’était ça, c’était <strong>de</strong>venir écrivain. Et au fond, le<br />
vrai problème c’est que <strong>de</strong>venir écrivain ça implique<br />
d’avoir une œuvre, mais si on m’avait dit ‘Je te reconnait<br />
comme écrivain mais tu n’as pas besoin d’écrire’ j’aurais<br />
dis ‘Parfait, très bien, formidable. Je signe’. Sauf que,<br />
voilà, il faut <strong>de</strong>s preuves.<br />
Quand [j’étais plus jeune] , j’étais d’abord<br />
intéressé par les écrivains eux-mêmes. Je connaissais<br />
très très bien la vie <strong>de</strong> … Rimbaud, <strong>de</strong> Victor Hugo, <strong>de</strong><br />
… Montaigne—enfin, voyez, la vie <strong>de</strong>s écrivains<br />
m’intéressait. Et d’une certaine manière j’aimais les<br />
écrivains avant d’aimer leurs oeuvres. C’est parce que<br />
j’aimais les écrivains que je me suis intéressé à leurs<br />
oeuvres. La dimension autobiographique <strong>de</strong>s oeuvres<br />
m’a toujours retenue. Ce qui fait que je suis allé, moi, en<br />
tant qu’auteur, vers les écrivains que j’aimais et qui<br />
étaient quasiment tous <strong>de</strong>s écrivains qui ont parlé <strong>de</strong> leur<br />
vies, <strong>de</strong> ce qu’ils avaient vécu ou <strong>de</strong>s gens—comme<br />
Montaigne—<strong>de</strong>s gens qui se mettaient en avant, [<strong>de</strong>s<br />
gens] qui parlent … en connaissance <strong>de</strong> prose. Je<br />
5
Entretient avec un auteur<br />
continue <strong>de</strong> lire les biographies d’écrivains … par<br />
exemple <strong>de</strong> Rockefeller. En revanche, une BD … a<br />
toujours mon intérêt. Et je n’ai toujours pas la réponse à<br />
[cette question]: pourquoi mon intérêt s’est porté là? …<br />
Mon père était un grand lecteur, il y avait une<br />
bibliothèque assez importante à la maison. On estimait<br />
beaucoup le livre, on estimait beaucoup le dictionnaire.<br />
Dès qu’il y avait un mot qu’on ne connaissait pas, on se<br />
précipitait dans le bureau, on sortait le dictionnaire<br />
correspondant, Larousse [par exemple]. Cette question a<br />
été posée dans mon enfance, <strong>de</strong>s intérêts pour la chose<br />
littéraire … Donc je n’ai pas <strong>de</strong> réponse direct. En<br />
revanche ce que je sais est que … <strong>de</strong> ma vie je ne voulais<br />
faire rien d’autre que ça. J’ai fais <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> lettres,<br />
je ne voulais pas enseigner. Je voulais <strong>de</strong>venir écrivain.<br />
Mais pour ça il faut écrire, [ce qui est] un peu embêtant<br />
mais enfin. Et donc j’ai énormément réfléchis au genre,<br />
au roman, à comment se construit un livre par rapport à<br />
l’époque, et cetera … Toutes ces questions littéraires<br />
m’ont [vraiment] passionnées et donc j’ai réfléchi.<br />
Quand j’écrivais Les Champs d’honneur, c’était le fruit<br />
<strong>de</strong> cette réflexion là.<br />
Pendant ce temps là, le temps passait, je n’étais<br />
pas jeune, quand Les Champs d’honneur paraît j’ai 37<br />
ans … Pendant ce temps là, pour les autres, j’étais en<br />
train <strong>de</strong> rater ma vie … [On me <strong>de</strong>mandait souvent]<br />
‘Qu’est-ce que tu fais?’ ‘J’écris.’ ‘A bon? Et t’es publié<br />
où?’ ‘Ben en fait non.’ Aussi longtemps que vous n’avez<br />
pas la preuve, vous êtes considérés comme un ringard,<br />
comme un pouf type et ça, c’est le plus dure à vivre. En<br />
même temps, je ne voulais … reconnaissance <strong>de</strong> rien<br />
d’autre. Si je n’étais pas écrivain je m'en fichais. Quand<br />
6
Jean Rouaud<br />
Les Champs d’honneur sont paru, je vendais <strong>de</strong>s<br />
journaux, j’ai fais plein <strong>de</strong> métiers comme ça. Mais<br />
avant j’avais déjà travaillé dans la presse, j’avais [fais]<br />
un peu <strong>de</strong> journalisme … Simplement, ça me prenait<br />
trop <strong>de</strong> temps et ça me paralysait l’esprit. Je voulais<br />
avoir l’esprit parfaitement disponible pour mon écriture<br />
… A un moment, j’avais la possibilité <strong>de</strong> travailler dans<br />
un kiosque à journaux à Paris, et là c’est idéal. C’est un<br />
commerce où on n’a pas à créer l’article. Quelqu’un<br />
arrive et vous dit ‘Je voudrais le Mon<strong>de</strong>.’ ‘Ah non, je<br />
n’ai plus <strong>de</strong> Mon<strong>de</strong>. Allez voire par ailleurs.’ Vous<br />
n’avez pas à le retenir en disant ‘Mais j’ai le Figaro si<br />
vous voulez.’ C’est uniquement une relation presque<br />
amicale que vous avez avec le client qui [vient chercher]<br />
son journal. Donc vous avez l’esprit toujours<br />
parfaitement libre et c’était extraordinairement<br />
enrichissant, parce que non seulement il y avait toute la<br />
presse et tous les magazines—[voyez,] un kiosque c’est<br />
une encyclopédie, vous avez <strong>de</strong>s magazines sur tout—<br />
mais il y avait aussi tous ces gens qui venaient du mon<strong>de</strong><br />
entier parce que j’étais dans le 10ème arrondissement<br />
qui était, surtout, à 30 ans, un arrondissement très<br />
populaire avec <strong>de</strong>s immigrés du mon<strong>de</strong> entier. On avait<br />
<strong>de</strong>s journaux <strong>de</strong> partout. Aussi bien <strong>de</strong>s journaux chinois,<br />
que argentins, que maghrébins bien sûr, que d’Afrique. Il<br />
y avait tous ces gens qui venaient et tous ces gens qui<br />
étaient là—comme les immigrants d’aujourd’hui. C’est<br />
qu’ils avaient une histoire lour<strong>de</strong> … Globalement, pour<br />
la plupart <strong>de</strong>s gens, s’ils ont tous ce qu’il faut sur place<br />
l’idée <strong>de</strong> partir ne les pleure pas. Ils quittent leur pays<br />
parce que ça va mal pour eux. Leure vie même est en<br />
danger. On le voit bien avec les<br />
7
Entretient avec un auteur<br />
migrants. S'ils partent c’est pour rester en vie aussi, s'ils<br />
ont <strong>de</strong>s enfants, c’est pour sortir <strong>de</strong> cet enfer.<br />
Dans les kiosques il y avait ce qu’on appelait les<br />
‘boat-people’, … <strong>de</strong>s gens qui quittaient [leur pays] sur<br />
<strong>de</strong>s barques <strong>de</strong> fortune qui étaient pleins <strong>de</strong> migrants …<br />
qu’on rattrapait au milieu <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong> Chine pour ceux<br />
qu’on a pu sauver. Mais il y a sans doute autant <strong>de</strong><br />
barques <strong>de</strong> ‘boat-people’ au milieu <strong>de</strong> la mer <strong>de</strong> Chine<br />
que <strong>de</strong> barques <strong>de</strong> Syriens au milieu <strong>de</strong> la Méditerranée.<br />
Tous ces gens là arrivaient avec leurs souffrances aussi,<br />
et du coup j’ai fait avec mon histoire qui était plus grave<br />
bien sûr … et tous ces gens me permettaient <strong>de</strong><br />
comprendre qu’il y avait une souffrance comme ça qui<br />
pouvait s’exprimer et qui était toujours liée à une<br />
histoire, à <strong>de</strong>s faits historiques.<br />
En revanche, ce que j’avais ressentis quand<br />
j’étais enfant, c’est que j’étais adossé à <strong>de</strong>ux guerres.<br />
Mon père avait été dans la Résistance … ma mère a<br />
faillit mourire pendant le bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> Nantes [qui<br />
a produit] 3000 morts … Et puis mes grand-parents—<br />
c’était la génération <strong>de</strong> la Première guerre mondiale<br />
avec, du côté <strong>de</strong> mon grand-père paternel—que je n’ai<br />
point connu parce qu’il est mort assez jeune aussi—ils<br />
sont partis à trois frères et il n’y en a qu’un [qui est]<br />
revenu … et il y avait <strong>de</strong>ux soeurs, l’une qui est morte<br />
par la grippe espagnole, donc la tante Marie du livre était<br />
la seule vivante d’une fratrie <strong>de</strong> cinq. Tous les autres<br />
étaient morts, et morts très tôt … Donc il y avait cette<br />
idée, quand j’étais enfant, que j’étais adopté<br />
à cette tragédie là, à cette somme <strong>de</strong> morts. Quand j’ai<br />
écrit Les Champs d’honneur, c’était comme si au fond<br />
… il fallait trouver une raison. Pourquoi est-ce<br />
8
Jean Rouaud<br />
qu’un homme meurt comme ça, brutalement à quarante<br />
ans … Et comme si on l’a donné un prénom d’un nom<br />
<strong>de</strong> famille qui est morte … C’est comme si, en reprenant<br />
ce prénom, [mon père] a repris la mort avec lui. C’est<br />
comme si son <strong>de</strong>stin immédiat était <strong>de</strong> mourir. La quête<br />
était <strong>de</strong> mettre en perspective cette dimension historique<br />
comme ça autour <strong>de</strong> cette double histoire, à la fois [du]<br />
siècle et <strong>de</strong> la famille. [Enfin, écrire] c’est une<br />
compulsion. Ce n’est pas simplement une ligne <strong>de</strong><br />
phrases, c’est une pensée. C’est essayer <strong>de</strong> mettre en<br />
perspective tous ces éléments là et <strong>de</strong> faire l’objet pour<br />
tenir tout ça ensemble.<br />
9
Critique Littéraire: Les<br />
Champs d’honneur<br />
10
Critique Littéraire: Les Champs d’honneur<br />
Les Champs d’honneur a été publié pour la<br />
première fois en 1990. Dans son premier roman, Jean<br />
Rouaud raconte sa biographie familiale tout au long du<br />
20ème siècle. Alors que le contexte d’instabilité<br />
mondiale joue un rôle primordial dans le récit, il y<br />
figurent également un sentiment <strong>de</strong> souffrance et la<br />
présence omnisciente <strong>de</strong> la mort dans le roman. La<br />
beauté <strong>de</strong> ce récit provient aussi <strong>de</strong> sa chronologie<br />
unique qui solidifie l’intensité du récit, comparable à<br />
celle <strong>de</strong> la guerre qui est dominée par la violence, la<br />
brutalité et la mort. Même pendant les moments <strong>de</strong> paix<br />
<strong>de</strong> la Loire-Inférieure, la mort se présente presque<br />
comme une maladie qui contamine la paisible famille<br />
Rouaud. Enfin, nous avons trouvé que ce roman ne serait<br />
point respecté sans plusieurs lectures pour vraiment<br />
apprécier la haute qualité <strong>de</strong> cette œuvre. <br />
11
Critique Littéraire: Les Champs d’honneur<br />
! <br />
12
Poésie
14<br />
La guerre <strong>de</strong> Bosnie<br />
Polina Simakova
Polina Simakova<br />
J’oublie mes pêches quand je suis endormie,<br />
Et je me réveille pour regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s murs blancs.<br />
Je suis une poupée, nue, porcelaine,<br />
Sans ma langue d’origine et ma robe familière.<br />
Il me gifle; ma résistance est remplacée par une haine<br />
passive,<br />
Indifférente.<br />
Je suis son prix, sa propre femme.<br />
Ma cellule n’est pas une cage dorée,<br />
Mais elle me donne la paix du silence, le contraire<br />
Des maisons pillées, revêtues par les haineux,<br />
Que j’ai abandonné.<br />
Je suis à la fois un otage désireux et une évadée.<br />
La fenêtre ouverte dans ma chambre<br />
Me permet d’entendre les cloches <strong>de</strong> l’église sonner<br />
quelquefois.<br />
Le signe chrétien qui démarque chaque jour.<br />
‘Voici un livre concernant la haine’,<br />
M’a-t-il un soir dit; il parlait d’un artefact sacré à côté <strong>de</strong><br />
[lui.<br />
‘Lis-le’ ;<br />
Mais pour le faire il me fallait <strong>de</strong> la lumière.<br />
Entourée par la blancheur,<br />
Ses mains serbes sur mes seins,<br />
J’étais aveugle, et<br />
Mon enfant m’a pensé coupable<br />
Du ciel chrétien lointain<br />
Qui n’existait pas.<br />
Cet endroit étrange est un hôpital <br />
15
La guerre <strong>de</strong> Bosnie<br />
Qu’ils ont occupé.<br />
Je ne sais ni si nous sommes toujours en Bosnie,<br />
Ni si ce pays existe encore.<br />
En tout cas, il me protège.<br />
Moi, je <strong>de</strong>vrais être punie par les hommes et par Allah,<br />
Car, après tout ce que j’ai vu, je n’y crois plus.<br />
Ce sont les années quatre-vingt-dix, et la religion<br />
N’a pas d’importance ici, dans ma prison.<br />
Avec la porte ouverte, le Diable qui rô<strong>de</strong><br />
Entre son composé militaire, et entre moi.<br />
Ce n’était pas lui qui l’avait tué, bien sûr,<br />
Mais ses hommes <strong>de</strong> droite qui portent l’uniforme,<br />
et pensent qu’il est un dieu.<br />
Il s’agit du blasphème quotidien,<br />
Et je les ai regardés tous les jours qu’ils<br />
m’accompagnaient<br />
À la latrine,<br />
Avant que j’eusse été déplacée à une meilleure salle.<br />
Les jours sont trop longs si je reste toute seule<br />
Quand il n’est pas là.<br />
Maintenant je suis à lui,<br />
Et il m’a prévu, avant <strong>de</strong> partir,<br />
Que les autres ne me dérangeraient pas.<br />
Pour me détendre, je me suis reposé sur le sol<br />
Qui, je sais bien, a été nettoyé, léché,<br />
Pour moi en particulier,<br />
Par quelque fille inconnue.<br />
Les lithographies sur les murs<br />
Sont bizarres, <strong>de</strong> quantité insuffisante<br />
16
Polina Simakova<br />
Pendant la guerre.<br />
Je les ai nettoyés récemment pour quelque raison,<br />
Me sentant trop calme, trop raisonnable.<br />
Je commence à penser à cet endroit<br />
Comme si c’était chez-moi .<br />
Cette pensée me fait rire, et je m’attends à lui<br />
Avec une appréhension instinctive,<br />
En comprenant que le mon<strong>de</strong> est un mon<strong>de</strong> masculin.<br />
Quand je reste dans mon lit<br />
Je n’ai autre choix que <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r tout le blanc que je<br />
déteste. <br />
Les couleurs me manquent,<br />
Donc j’imagine <strong>de</strong>s choses auxquelles je ne veux penser.<br />
Sa petite tête, une fleur fragile <strong>de</strong> sang sur la neige;<br />
Elle semble si petite si on la regar<strong>de</strong><br />
Hors <strong>de</strong> la fenêtre <strong>de</strong> laquelle<br />
Elle a été jetée par les hommes<br />
Qui portaient l’uniforme.<br />
En traçant la lithographie avec mes yeux,<br />
J’espère qu’elle était inconsciente<br />
À l’âge <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois;<br />
Qu’elle n’a pas connu ce mon<strong>de</strong>.<br />
Ça fait très longtemps,<br />
Et je suis très contente<br />
Parce que je sais que ce n’était pas <strong>de</strong> sa faute,<br />
Même si je sais aussi qu’il l’aurait fait aux enfants <strong>de</strong>s<br />
autres,<br />
A d’autres petites filles.<br />
Ce soir il est revenu, sa chemise trempée, <br />
17
La guerre <strong>de</strong> Bosnie<br />
Couleur <strong>de</strong> vin<br />
À côté <strong>de</strong> son cœur.<br />
Je me tourne pour regar<strong>de</strong>r le mur familier en face <strong>de</strong> lui,<br />
Et il jette sa chemise sur le sol et lave lentement le sang.<br />
Moi, je ne parle pas.<br />
Mais je sais que s’il part <strong>de</strong>main et revient,<br />
J’aurais dû rester à ses pieds,<br />
En espérant qu’il me regar<strong>de</strong>ra.<br />
Quand il est revenu, je savais<br />
Qu’il était très fâché contre la guerre et contre moi,<br />
Donc j’ai fermé mes yeux en avance.<br />
J’ai entendu le bruit <strong>de</strong> son souffle,<br />
Mais je ne sentais rien,<br />
Et un moment plus tard j’ai vu qu’il avait frappé le mur<br />
Derrière moi.<br />
Il n’avait rien à dire,<br />
Donc j’ai resté là, sans penser, en écoutant sa respiration.<br />
Je me suis réveillée le len<strong>de</strong>main matin pour le trouver <br />
Toujours à côté <strong>de</strong> moi, ce qui me semblait bizarre,<br />
Et il m’a dit que la guerre était presque finie.<br />
Il m’a dit qu’il m’allait laisser partir<br />
D’une voix stressée et froi<strong>de</strong> <strong>de</strong> quelqu’un<br />
Qui avait vraiment peur <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> ses actions.<br />
Moi, je n’avais rien encore dis et je restais là où j’étais,<br />
Et il rit d’une manière choquée.<br />
Je regardais notre lithographie et pensais<br />
Qu’il était comme Sacré Paul:<br />
Un haineux qui admirait<br />
18
Je ne regrette rien<br />
Sofia Kioroglou<br />
19
Je ne regrette rien<br />
Je ne regrette rien<br />
Je l’ai appris <strong>de</strong> mes erreurs<br />
Nous vivons avec les cicatrices<br />
que nous choisissons.<br />
20
Je Suis Charlie - un<br />
poème dédié à Charlie<br />
Hebdo<br />
Charles Edward York<br />
21
Je Suis Charlie - un poème dédié à Charlie Hebdo<br />
Je suis Charlie<br />
La vérité est belle<br />
La vérité est une orpheline<br />
Une célébrité <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong><br />
Et un monstre rejeté<br />
Par ceux qui osent ne pas désirer<br />
La gravité <strong>de</strong> la société<br />
Trop lourd pour un amant à porter<br />
Je suis Charlie<br />
L'intégration<br />
De l'homme et <strong>de</strong> la femme<br />
Du ciel et <strong>de</strong> l'enfer<br />
L'extase <strong>de</strong> la béatitu<strong>de</strong> éternelle<br />
L'agonie <strong>de</strong> la souffrance sans fin<br />
Je compose un rire <strong>de</strong> douleur<br />
Et un cri <strong>de</strong> joie interdite<br />
Je suis Charlie<br />
Le voisin que vous tolérez<br />
L'ennemi que vous avisez à ne pas bouleverser<br />
Je suis la liberté indéfinie<br />
Je suis le secret tout exposé<br />
Je monte nue sur ce cheval<br />
Vie débranchée et sans congés<br />
Et la chanson <strong>de</strong> silence à voix haute<br />
Je suis Charlie<br />
La cible du ridicule et <strong>de</strong> la terreur<br />
Le fantôme qui repousse la peur<br />
Et le courage tenu ensemble captive relâché<br />
Je vais dépeindre la réalité<br />
Par <strong>de</strong>s images et mots inattendus<br />
Enfin, qu’est-ce que la vie sans le rire<br />
22
Charles Edward York<br />
Si la vie est sans larmes et sans blagues<br />
Copyright © 2015 Charles Edward York<br />
23
24<br />
ils se réfléchissent<br />
Lydia Hounat
Lydia Hounat<br />
tes larmes parlent une langue différente<br />
et, cœur-<strong>de</strong>-miel, elles parlent en tombant le long<br />
[<strong>de</strong> ton visage<br />
ton vœu est lié à l’océan.<br />
et, quand il ondule comme un bisou, je suis submergée<br />
[par une vague.<br />
tous les matins, pendant que tu enfiles ta bague<br />
je sens le freesia que j’avais mis dans tes mains il y<br />
[a quelques années<br />
auparavant.<br />
je te mets comme la météo.<br />
et quand il pleut, zéro.<br />
j’étais vendu à tes yeux.<br />
parfois les arbres parlent entre eux.<br />
ils sont d’un vert aussi éternel que Dieu.<br />
tu sens mon pouls sous les draps du lit,<br />
et, enfin, on se noie.<br />
25
26<br />
les averses <strong>de</strong> mardi<br />
Lydia Hounat
Lydia Hounat<br />
ma peau est le plumage d’un cygnon <br />
je ne serai jamais assez belle, <br />
pour réprimer une autre couleur, <br />
l’un ou l’autre,<br />
je ne suis que la reprise <strong>de</strong> quelque chose <br />
qui était auparavant parfaite<br />
une erreur silencieuse <br />
qui s’accroupit dans une mare peu profon<strong>de</strong>. <br />
<br />
le mardi j’ai été pris dans une averse <br />
par <strong>de</strong>ux hommes<br />
dont les yeux m’ont perdu avec leur reflet <br />
et la pluie m’est tombée <strong>de</strong>ssus.<br />
quand ils se réveilleront au len<strong>de</strong>main <br />
ils se regar<strong>de</strong>ront dans un miroir et verront la<br />
blancheur <strong>de</strong> leur visages<br />
le soleil se lèvera, marquant dix heures et quelques <br />
ils mettront <strong>de</strong>s croix gammées comme <strong>de</strong>s<br />
taches <strong>de</strong> rousseur.<br />
<br />
ils viendront cracher sur moi<br />
et ils penseront que je suis propre<br />
et que je vais chez ma grand-mère<br />
je lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai <strong>de</strong> me nettoyer, et elle se moquera <strong>de</strong><br />
[ma voix. <br />
mon visage est un livre ouvert, <br />
prêt à épeler une âme brisée<br />
qui danse entre <strong>de</strong>ux continents<br />
chaque terre, pensent-elles, est parfaite comme une<br />
27
les averses <strong>de</strong> mardi<br />
[perle.<br />
28
L’homme et l’hymne<br />
Danielle Guillet<br />
29
L’homme et l’hymne<br />
Un peu <strong>de</strong> silence <strong>de</strong>scend la pente d’une montagne<br />
éclatante <strong>de</strong> lumière, se couche sur les hautes pointes<br />
<strong>de</strong>s joues, et m’attend.<br />
Homme, toi qui rit comme l’ouragan,<br />
tu es la dérive <strong>de</strong> l’iceberg,<br />
le passage aussi <strong>de</strong>s loups nocturnes<br />
à travers les bois épais.<br />
Mains tâtonnantes dans le noir<br />
pour former une prière,<br />
tu es la nuit qui fond sur les injustices<br />
et les larmes.<br />
Dos dressé, l’esprit fatigué,<br />
ainsi commence la construction <strong>de</strong> ton mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> tisons et hardiesse.<br />
Tu braves ce qui brûle,<br />
le vent contre la poitrine—<br />
est-ce l’aube qui monte<br />
le feu, création et perte<br />
du ciel—<br />
30
sans lune à qui parler<br />
Yvonne Michel<br />
31
sans lune à qui parler<br />
beau musicien<br />
dénouement <strong>de</strong> nos mémoires épuisées<br />
au pied d’un arbre nu<br />
écoute le sang <strong>de</strong>s cendres<br />
<strong>de</strong> ceux sans existence<br />
leurs chants qui sont<br />
pourtant<br />
forts comme une force étrange<br />
le sang <strong>de</strong>s oiseaux <strong>de</strong> papier<br />
incendié<br />
le sang <strong>de</strong>s condamnés au silence<br />
le sang <strong>de</strong> l’eau qui rêve dans le désert<br />
marche, brûle, continue.<br />
32
Two Late Poems<br />
David Eberhardt<br />
33
Two Late Poems<br />
1. Jardin sur le Nil<br />
Son sillage, son parfum sillage<br />
La précè<strong>de</strong>, clair et fort—<br />
Une essence d'iris, obtenue<br />
De la racine <strong>de</strong> la fleur<br />
Pas d’une fleur<br />
—Matte d'Armani ou Hermes<br />
La Rouille à toutes les étages.<br />
Et pour Ariane j'aurais ajouté<br />
L'orange amère—un ecourse pur<br />
Et <strong>de</strong> vert mangue<br />
Avant qu'elle n’arrive dans la chambre<br />
Et ainsi <strong>de</strong> suite...<br />
2. Vous pourriez vous souvenir<br />
De moi quelques matins mouels, pluvieux…<br />
Comme en espère une après vie…<br />
Commes les anciens nommés<br />
De la Bible me reviennent: Amaranth,<br />
Pennsylvanie, Bethesda…<br />
Un ange <strong>de</strong> l’eau ravissante,<br />
Un ange Moroni, prononcé “Muh rawn aye”…<br />
L’ange <strong>de</strong> la délusion sur<br />
Le temple mormon comme à Disneyland:<br />
Notre Dame <strong>de</strong> D.C périphérique.<br />
Quelquefois par un animal en agonie<br />
Étant tiré à un endroit caché<br />
Pour ȇtre mangé.<br />
34
David Eberhardt<br />
C’est la façon <strong>de</strong> la nature.<br />
Mais je préfère considérer<br />
En quoi le corps<br />
Est le jardin <strong>de</strong> l'âme.<br />
35
36<br />
L’étoile polaire<br />
Tejas Yadav
Tejas Yadav<br />
Je m’assois,<br />
sur un banc en bois,<br />
dans la brise fraîche<br />
d’une soirée d’été;<br />
mon cœur — il cache<br />
tout ce qu’il a raté.<br />
Je regar<strong>de</strong> une étoile, déçu<br />
par-<strong>de</strong>ssus.<br />
Le ciel est si noir,<br />
parfois un espoir —<br />
son clin d’œil<br />
casse mon <strong>de</strong>uil,<br />
ce qu’elle jetait<br />
une soirée d’été.<br />
37
38<br />
Les poèmes d'un<br />
américain<br />
Michael Gleason
Michael Gleason<br />
L’Amour terrible<br />
On s’embrasse dans la nuit<br />
Avec mes doigts, je le lève doucement jusqu’à mes<br />
[lèvres<br />
Pour un moment j’échappe l’agonie<br />
En aspirant l’haleine <strong>de</strong> mon amant éphémère<br />
Ma vision <strong>de</strong>vient plus claire pour un instant<br />
Mais je sais bien qu’elle va me quitter<br />
Et, pendant qu’on s’embrasse, elle commence à<br />
[disparaître<br />
Dans les <strong>de</strong>rniers moments <strong>de</strong> notre triste ren<strong>de</strong>z-vous<br />
Elle me réchauffe, puis elle disparaît<br />
Donc je me promène dans la rue<br />
Portant son parfum sur mes épaules<br />
Mais je suis le pire car<br />
Je suis celui qui l’utilise<br />
Malgré le plaisir qu’elle m’a offert<br />
Elle n’est toujours qu’une drogue<br />
Je recommence à glisser,<br />
L’accro que je suis<br />
Je connais bien que cette amour irréelle<br />
Va me tuer, pendant que son air<br />
S’installe comme une brume<br />
Et nos brefs ren<strong>de</strong>z-vous frappent ma poitrine<br />
Mais je désire un autre ren<strong>de</strong>z-vous<br />
Un plus rencontre <strong>de</strong> l’amour fou<br />
Je fouille dans ma poche <br />
39
Les poèmes d’un américain<br />
J’enlève mon amant mortel<br />
Elle me quittera bientôt<br />
Et les chansons tristes que je ne chanterai plus<br />
“Pour toi, ô j’aime, je t’aspire<br />
Ma belle cigarette”<br />
Les nouveaux maîtres, Les nouveaux esclaves<br />
L’esclavage est fort en Amérique et en France<br />
Enchaînés aux murs sont les gens d’aujourd’hui<br />
Et leurs regards sont abaissés à cause<br />
Du craquement <strong>de</strong> la cravache qui résonne comme une<br />
[cloche<br />
Leur maîtres les ai<strong>de</strong>nt à éviter le rejet<br />
Ils les protègent et les aiment<br />
On ne communique que par le biais <strong>de</strong>s maîtres qui<br />
Nous filtrent les réponses, et on voit le sédaté<br />
Leurs conversations sont irréelles<br />
Mais bien protégées par le co<strong>de</strong> <strong>de</strong>s maîtres<br />
Qui sont les clefs <strong>de</strong>s portes qui ne s’ouvrent qu’aux<br />
Images créées <strong>de</strong>s personnes par eux-mêmes<br />
Le pouvoir que ces nouveaux maîtres ont gagné<br />
Vient <strong>de</strong> ceux qui cherchent à ne pas être seul<br />
Nous n’avons que nos maîtres pour nous consoler<br />
Tant qu’on les nourrit par les fils <strong>de</strong> nos chaînes<br />
40
L’amour aphone<br />
Irène Trung<br />
41
L’amour aphone<br />
Pendant les moments silencieux d’un travail répétitif<br />
quand les oiseaux chanteurs pointillent le ciel bleu-gris<br />
et les flaques d’eau <strong>de</strong> pluie dans la gouttière<br />
disparaissent lentement sans préavis,<br />
je tremble à la pensée<br />
qu’un jour l’encre <strong>de</strong> la couleur violette foncée notera<br />
que lorsque je suis arrivée à notre petite épicerie,<br />
près <strong>de</strong> tes bras,<br />
j’ai pressé mes paumes sur la vitrine<br />
et j’avais besoin <strong>de</strong> reprendre mon souffle<br />
entre les jaillissements <strong>de</strong> larmes qui réchauffaient ma<br />
[poitrine<br />
mais pas mon cœur.<br />
Tu étais le lapin qui s’est échappé <strong>de</strong> ma flèche d’amour<br />
mais moi, je suis un tendon déchiré, abandonné en<br />
désespoir <strong>de</strong>puis ce jour.<br />
42
"L’Arbre Lumière..."<br />
Christos Tsagkaris<br />
43
L’Arbre Lumière<br />
“Jusqu’au moment où j’ai ressenti<br />
Même si l’on me croyait fou<br />
Que du néant naît le Paradis. ”<br />
(Od.Elytis, L'Arbre Lumière et<br />
la quatorzième Beauté)<br />
Un arbre lumière, <strong>de</strong> quelle espèce est-ce?<br />
Comment définir quelque chose qui t’éblouit ?<br />
Mais notre lumière n’apparaît pas dans les contes … !<br />
Il enfonce ses racines profondément dans le sol, il<br />
n'abor<strong>de</strong> pas la terre...<br />
Il projette son ombre sur la Terre, il la met à l’abri du<br />
soleil brûlant<br />
Il remplit ses branches avec le ciel pour soigner les<br />
misérables, pour étancher leur soif<br />
Quelle est l’essence profon<strong>de</strong> d’un arbre lumière?<br />
Le ciel bleu ou la terre noire ?<br />
Mais notre lumière à nous, notre flamme, notre arbre à<br />
nous—ce ne sont pas <strong>de</strong>s contes...!<br />
La terre et le ciel en constituent l’essence<br />
Si on l’enferme dans une lampe, l’âme humaine suffit<br />
pour s’éclairer<br />
Si on la laisse libre, à travers les siècles, à travers les<br />
mon<strong>de</strong>s, il n’y aura pas <strong>de</strong> mots pour la décrire...!<br />
44
Déclaration<br />
biographique<br />
Rémy S.<br />
45
Déclaration biographique<br />
Regar<strong>de</strong>-toi<br />
Trouve ta beauté et ton charme<br />
Mens-moi<br />
Rends-moi jaloux à en crever<br />
Deviens l'emphase d'une muse<br />
Dénigre-moi, <strong>de</strong>viens folle,<br />
Car, quand ton cœur s'amuse<br />
Le mien va au paradis !<br />
Détache tes cheveux et danse<br />
Fais exploser ta fantaisie<br />
Pleure <strong>de</strong> tes sens<br />
Et ris <strong>de</strong> ton agonie !<br />
Ne prévois rien pour ton futur<br />
Dresse la vie que tu veux<br />
Ne sois jamais mûre<br />
Crée <strong>de</strong>s envieux<br />
Emporte-moi<br />
Puis lâche-moi pour t'envoler<br />
Ne pense qu'à toi-même<br />
Arrête <strong>de</strong> chuchoter<br />
Proclame ta haine et ta souffrance<br />
Déchire et brûle tes photos<br />
Annonce clairement ta différence<br />
Arrête <strong>de</strong> poignar<strong>de</strong>r certains dos !<br />
N’essuie pas tes larmes.<br />
Laisse-les couler sur tes joues<br />
Pour transformer ta joie en arme<br />
Et les rendre tous fous !<br />
Sois schizophrénique<br />
De mille personnalités,<br />
De l'excentrique<br />
46
Rémy S.<br />
A la câline intimidée.<br />
Montre nous ta rage<br />
Contenue dans toutes tes vies.<br />
Brise ce masque d'enfant sage<br />
Meurs satisfaite <strong>de</strong> ta vie,<br />
Regar<strong>de</strong> tout avec passion<br />
Croque la vie comme mon cœur<br />
Ne fais plus jamais attention<br />
Apprends à vivre dans l'erreur<br />
Et surtout,<br />
N'oublie jamais<br />
Qu'un être fou<br />
Sait toujours ce qui est vrai...<br />
Car c'est ainsi que je t'aime.<br />
47
Slam Pop Poésies -<br />
Sélections<br />
Souraiya Jennajahn<br />
48
Souraiya Jennajahn<br />
Ce que j'aime<br />
Mes enfants, mon mari et jouer <strong>de</strong> la batterie<br />
Chaque instant mes enfants me sourient<br />
Le soleil en hiver et en été, la pluie<br />
Mes fringues et toutes les coquetteries<br />
Au cinéma, regar<strong>de</strong>r une bonne comédie<br />
Quand le travail me met au défi<br />
Des soirées arrosées avec mes amis<br />
Manger à midi, grignoter à minuit<br />
Les péplums et toute la mythologie<br />
L’égyptologie mais pas les momies<br />
Être émerveillée par la magie<br />
Faire <strong>de</strong> la télépathie avec mes amies<br />
M’investir dans Halloween et ses panoplies<br />
Quand je grossis et après que je maigris<br />
Passer du temps dans une librairie ou au Monoprix<br />
Beaucoup <strong>de</strong> fromages et quelques laiteries<br />
J’adore tous les pains mais surtout la mie<br />
Mes coups <strong>de</strong> coeur : mon île, Scottsdale et Paris<br />
J’aime aussi les séries, la télékinésie et les crêperies<br />
Les vieilleries et surtout beaucoup <strong>de</strong> conneries<br />
Ma trésorerie ... Il faut que je vérifie<br />
Chez lui ,quand il m'écoute, il sourit et on rit<br />
Quand il ose me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce que ça signifie<br />
L'amour qu'il me donne et me remplit<br />
Son sublime corps bien bâti<br />
Lui donner tous les jours envie<br />
Quand je le surprends par ma folie<br />
Quand je le surprends et qu'il rougit<br />
Être au chaud, blottis dans notre lit<br />
Lui faire la totale en lingerie<br />
Sa gentillesse et sa galanterie<br />
Quand il me chatouille et que je lui supplie<br />
Quand il me traite comme sa chérie<br />
Quand on joue et qu'on fait <strong>de</strong>s paris<br />
49
Slam Pop Poésies – Sélections<br />
Quand il prend mal mes plaisanteries<br />
Quand on prend nos téléphones pour <strong>de</strong>s talkies walkies<br />
Quand il admire mes petits pieds vernis<br />
Quand je suis loin et qu'il se fait du souci<br />
Et bien d'autres, j'en oublie…<br />
Mon Olympe<br />
Les jours et les mois à l’île Maurice<br />
Sont un bouquet épicé <strong>de</strong> délices<br />
Lundi, je me réveille dans ce joli paradis<br />
Mardi, son parfum exotique m’étourdit<br />
Mercredi, la pluie me rafraîchit<br />
Jeudi, la chaleur me ralentit<br />
Vendredi, son Robinson était-il poli ?<br />
Samedi, ses fleurs, quelle galerie !<br />
Dimanche, on pique-nique sur la plage avec <strong>de</strong>s amis<br />
Janvier, on va à Chamarel voir ses goyaviers<br />
Février, le nouvel an chinois et ses feux d'artifices ne<br />
[cesseront <strong>de</strong> siffler<br />
Mars, ses cheveux mouillés fera la farce<br />
Avril, mon père va rôtir <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux sur le grilloir<br />
Mai, avec “vénérer”, je te conjuguerai<br />
Juin, je n'irai pas nager là où il y a <strong>de</strong>s requins<br />
Juillet, mon parapluie, s’il vous plaît<br />
Août, nous danserons entre les gouttes<br />
Septembre, il y a plus <strong>de</strong> chance d’obtenir une chambre<br />
Octobre, ses couleurs chatoyantes ne <strong>de</strong>viendront sobres<br />
Novembre, l’automne arrivée, on déjeunera à l’ombre<br />
Décembre, il sera peint sur un timbre<br />
Ile Maurice, vous êtes ma déesse, mon impératrice<br />
50
Souraiya Jennajahn<br />
Ile Maurice, aucun mal, seul un délicieux vice<br />
Ile Maurice, avec votre parure d’azur, quelle séductrice<br />
Ile Maurice, j’ai une carence <strong>de</strong> vos épices<br />
Irrésistible—on aurait dû vous appeler tentatrice<br />
Cœur brisé<br />
Notre projet d'union avait fini par fuir<br />
Dans le pays <strong>de</strong>s abrutis, je le ferai bannir<br />
Mes chagrins sont compliqués à décrire<br />
Pourquoi en aimant on finit toujours par haïr ?<br />
Bravo à ma mère qui a pu prolonger son couple<br />
Elle avait certainement <strong>de</strong>s nerfs très souples<br />
Elle méritait d’être glorifiée par mon père au centuple<br />
Sur tous ces hommes, je veux verser <strong>de</strong> la sou<strong>de</strong><br />
Il me blesse au bout <strong>de</strong> chaque phrase qu'on échange<br />
Mes réparties le montrent que je ne suis pas un ange<br />
Quand je considère qu'il ne faisait que mes louanges<br />
Le mal qu’on s’est fait est vraiment très étrange<br />
J’aurais tout donné si je pouvais, surtout ma virginité<br />
Mais après chaque engueula<strong>de</strong>, je l'aurais regretté<br />
Pourquoi ne peut-on pas vivre ensemble sans être aux<br />
[aguets ?<br />
Si on était muets, peut-être qu’on serait moins au taquet<br />
J’aimerais les moyens <strong>de</strong> tout oublier tout <strong>de</strong> suite<br />
J’ai toujours l’impression <strong>de</strong> ne pas être instruite<br />
Je veux qu'on me donne une solution gratuite<br />
Car ici je ne vois rien d'autre qu'une bonne cuite<br />
Chagrin d’amour, jolis mots si lugubres <br />
51
Slam Pop Poésies – Sélections<br />
Où est passé mon air frais et salubre ?<br />
Douleurs et blessures sont mon équilibre<br />
Esclave <strong>de</strong> ce cœur, je ne suis pas libre<br />
Râteau et divorce, vous êtes <strong>de</strong>s vauriens !<br />
Qui peut me dire ce qui me ferait du bien ?<br />
Par pitié, s’il vous plaît, pas les freudiens !<br />
Mon cœur a besoin d’un vrai magicien…<br />
La Crise<br />
Crise, un mot trop utilisé à notre époque<br />
Certains pensent que ce mot provoque<br />
Ou peut être utilisé pour un électrochoc<br />
Ce mot est fou. Comme je m’en moque<br />
La crise <strong>de</strong> la foie<br />
Il faut du temps pour que ton estomac se nettoie<br />
Les pires sont ces fatigants renvois<br />
Et ce n’est vraiment pas la joie<br />
La crise <strong>de</strong>s 40 ans<br />
Quand les hommes mariés veulent séduire sur le divan<br />
Quand le fond <strong>de</strong> leur froc est aussi chaud qu'un volcan<br />
Quand les démons les forcent à chercher <strong>de</strong> mauvais<br />
[plans<br />
La crise économique<br />
Elle commence souvent en Amérique<br />
La stratégie pour la réparer est assez dramatique<br />
On nous l’explique faussement, et en italique<br />
La crise <strong>de</strong>s nerfs<br />
Qui arrive comme un éclair<br />
52
Souraiya Jennajahn<br />
Les petits ne peuvent que prendre l'air<br />
Mais les grands n’ont pas beaucoup à faire<br />
La crise du rire<br />
Elle commence à peine puis elle empire<br />
Elle fait mal au ventre mais ce n’est le pire<br />
La déprime et les soucis, elle les fait bien fuir<br />
Je n’entends que ce mot et ça va pas<br />
Je veux entendre d’autres mots sympas<br />
Si tu n’en connais pas, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ton papa<br />
Ou bien à tes amis. Sinon, ne reviens pas!<br />
Rouge, bleu, jaune, vert<br />
Bau<strong>de</strong>laire a écrit une merveille au sujet du paradis<br />
[célèbre<br />
« Ile Maurice, perle verte dans un écrin d’écume »<br />
Ses mots mélodieux et poétiques dansent et défilent dans<br />
[l’air<br />
La belle mauricienne se parfume sur l’île<br />
Rouge pour le sang versé <strong>de</strong>s esclaves maltraités par les<br />
bourges<br />
Un autre amant <strong>de</strong> cet archipel, l’homme Leoville:<br />
“Mon rêve a pris son essor dans ton grand souffle amer”<br />
Ses mots forts et sages tourbillonnent mes émotions<br />
[enfantines<br />
Je me réveille du lit <strong>de</strong> Belle Mare pour la fête <strong>de</strong>s mères<br />
Bleu pour le ciel et l’océan colorés par Dieu l’artiste<br />
53
Slam Pop Poésies – Sélections<br />
Robert Hart, qu’a t-il écrit au sujet <strong>de</strong> ce joli profil ?<br />
« Je n'ai fait qu'en raphia la maison <strong>de</strong> ma vie »<br />
Ses poèmes rallument la flamme <strong>de</strong> mon coeur et brillent<br />
L’effluve <strong>de</strong> la flore <strong>de</strong>s “Trois Mamelles” nous<br />
[embaume <strong>de</strong> sa magie<br />
Jaune pour le soleil et un rêve <strong>de</strong> purification qui siègent<br />
avec fierté <strong>de</strong> leurs trônes<br />
Bernardin <strong>de</strong> Saint Pierre, le seul homme n’ayant pas<br />
[pleuré<br />
Paul, s'adressant à Virginie : « Quand je suis fatigué, ta<br />
[vue me délasse »<br />
Aventure exotique qui a torturé mon coeur en exil<br />
Quelle souffrance d’abolition. C’est ta douleur que<br />
[j’embrasse<br />
Vert pour les champs <strong>de</strong> cannes et la végétation dont le<br />
sol est recouvert<br />
L’île, le 12 mars, les terres pigmentées <strong>de</strong> quatre<br />
[camaïeux<br />
Quelle fierté pour les Mauriciens, le drapeau panaché et<br />
[glorieux<br />
Quand je parle <strong>de</strong>s Mascareignes, je crée <strong>de</strong>s envieux<br />
Moris m’a conquis. Attention, c’est contagieux !<br />
54
Entretien avec<br />
Souraiya Jennajahn<br />
55
Entretien avec un auteur<br />
1. Selon-vous, pourquoi la poésie est-elle importante?<br />
La poésie permet <strong>de</strong> partager les peines, les rires, les<br />
pensées et les sentiments qui nous sont in<strong>de</strong>scriptibles ou<br />
égoïstes. La poésie est importante car elle n'adoucit pas<br />
que les pensées. Elle nous parle directement comme une<br />
chanson. Les poèmes qui font rêver, par exemple, n’ont<br />
pas besoin d'images, on peut les imaginer. Chacun à une<br />
vision différente, chaque personne peut interpréter la<br />
poésie différemment. Comme si nous étions <strong>de</strong>s<br />
réalisateurs et que nous imaginons un film. Elle nous<br />
emporte, parfois on verse une larme, on réfléchit ou on<br />
sourit. Les poèmes qui nous parlent <strong>de</strong> chose tristes et<br />
décrivent la douleur au moment précis <strong>de</strong> notre chagrin.<br />
La poésie met en valeur que nous sommes tous différents<br />
et, pourtant, nous sommes tous les mêmes concernant<br />
l’amour, les peines, les colères. Elle ouvre une fenêtre<br />
sur un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sensations. La poésie est essentielle,<br />
elle permet d’emmener une personne, voire une foule, à<br />
un moment précis. Elle peut apaiser la colère d’un coeur<br />
déchiré. On a besoin <strong>de</strong> films, <strong>de</strong> sports et <strong>de</strong> peintures<br />
pour nous échapper du quotidien décevant. La poésie fait<br />
partie <strong>de</strong> ces divertissements dont-on a besoin tous les<br />
jours.<br />
2. Comment votre intérêt pour la poésie a-t-il vu le<br />
jour?<br />
Suite à <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> santé, j’étais alitée pendant<br />
quelques temps. Etant quelqu’un <strong>de</strong> créatif, j’ai écrit une<br />
56
Souraiya Jennajahn<br />
satire télévisée <strong>de</strong> la cuisine ainsi qu’une satire <strong>de</strong> la<br />
société, également autour <strong>de</strong> la cuisine, pendant ce<br />
temps. J’ai aussi commencé à écrire à mes enfants car je<br />
voulais exprimer mon amour et leur faire ce ca<strong>de</strong>au au<br />
cas où je mourrais. Puis j’ai commencé à penser à<br />
d’autres sujets, y inclus la poésie. C’est ainsi que mon<br />
intérêt pour la poésie est née.<br />
3. Comment votre conception <strong>de</strong> ce qu’est la poésie a-<br />
t-elle changée <strong>de</strong>puis vos premières écritures<br />
poétiques?<br />
Depuis mes premières écritures poétiques, je réfléchis<br />
plus sur la grammaire et sur ma conception <strong>de</strong> ce qu’est<br />
la poésie. Vivant aux États-Unis, je trouve plus <strong>de</strong><br />
difficultés en grammaire et avec la langue. J’ai<br />
commencé à comprendre la simplicité <strong>de</strong> la poésie. Je<br />
veux écrire au plus simple parce que je veux qu’on<br />
puisse me comprendre rapi<strong>de</strong>ment en poésie. Je ne veux<br />
pas qu’on puisse lire entre les lignes <strong>de</strong> ce que je pense<br />
mais je ne veux pas être mal compris. Je donne<br />
maintenant matière à être jugée pour ceux qui veulent<br />
me juger.<br />
4. Quelles difficultés rencontrez-vous lors d’une<br />
écriture poétique?<br />
Des difficultés grammatiques, syntaxiques,<br />
orthographiques, <strong>de</strong> conjugaisons, etc.<br />
57
Entretien avec un auteur<br />
5. Comment commencez-vous vos poèmes : par une<br />
idée, une forme, une image ou autre chose?<br />
Le début d’un poème m’arrive toujours comme une<br />
lumière qui allume les mots dans ma tête. Le début et la<br />
fin m’apparaissent comme un message que je veux<br />
transmettre. Je les écris alors au plus vite pour pouvoir<br />
conserver mes idées. Puis, je reviens sur les corrections<br />
et sur les rimes.<br />
6. Quelles conditions vous sont favorables pour une<br />
écriture poétique?<br />
Dans mon salon sur mon canapé, pour les écritures<br />
plutôt personnelles. Pour les autres écritures, je me<br />
trouve le mieux <strong>de</strong>vant la télévision ou dans un café où<br />
je peux regar<strong>de</strong>r les gens et imaginer leur vies, leurs<br />
passions, leurs secrets.<br />
7. Quelle correspondance existe-t-il entre votre voix<br />
parlée et votre voix écrite?<br />
C’est précisément ce que j’essaie d’évoquer dans mes<br />
écritures; je veux que cette correspondance entre ma<br />
voix parlée et ma voix écrite soit parfaite, pour que ma<br />
voix parlée puisse se mêler avec ma voix écrite. C’est<br />
pourquoi mes poèmes font partie <strong>de</strong> la catégorie “slam”.<br />
58
Souraiya Jennajahn<br />
8. Alexandre Dumas a dit : “Je suis joyeux plutôt<br />
qu’orgueilleux. Et la joie peut nous aveugler plus, je<br />
pense, que l’orgueil” . Comment appliquer cette<br />
déclaration à la joie <strong>de</strong> l’écriture poétique ?<br />
Tout d’abord, il dit “je pense”. Quand une personne me<br />
dit “je pense” quelque chose, je considère donc que cette<br />
personne n’est pas sûre d’elle. Qu’elle me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> mon<br />
avis pour en être sûre.<br />
Alexandre Dumas pense peut-être que la joie cache <strong>de</strong>s<br />
sentiments qui feront plus <strong>de</strong> dégâts que l’orgueil.<br />
L’orgueil est vu comme quelque chose d’horrible dans la<br />
bible par Dieu et, <strong>de</strong> ce fait, par tous ceux qui suivent la<br />
religion. J’ai l’impression qu’il veut nous déculpabiliser<br />
en évoquant ce message.<br />
59
60
Prose
Une lettre concernant le<br />
petit prince<br />
Christos Tsagkaris<br />
62
Christos Tsagkaris<br />
« vous qui aimez aussi le petit prince, … si vous<br />
voyagez un jour en Afrique,<br />
dans le désert, si un enfant vous vient?, s’il rit, s’il a <strong>de</strong>s<br />
cheveux d’or,<br />
s’il ne répond point lorsqu’on l’interroge, vous <strong>de</strong>vinerez<br />
bien qui il est. Alors<br />
soyez gentils ! Ne me laissez pas tellement triste :<br />
écrivez-moi vite qu’il est<br />
revenu…<br />
Antoine <strong>de</strong> Saint-Exupery, Le Petit Prince, p.104-105<br />
Sahara, 26 juin 2014<br />
à M. Antoine <strong>de</strong> Saint-Exupéry<br />
Cher Monsieur,<br />
Je suis journaliste. Je vous écris parce que j’ai <strong>de</strong>s<br />
raisons <strong>de</strong> croire que j’ai rencontré le petit prince.<br />
Il y a quelques jours que j’ai vu pour la première fois<br />
Jeff, un petit homme aux cheveux d’or. Dans la cour <strong>de</strong><br />
sa<br />
maison, il était en train d’arroser une fleur tout en<br />
donnant à manger a un mouton.<br />
J’avais maintes fois entendu parler <strong>de</strong> ce mé<strong>de</strong>cin<br />
activiste qui collectait <strong>de</strong> la nourriture et <strong>de</strong>s<br />
médicaments<br />
pour les distribuer aux gens. On racontait encore qu’ il<br />
avait autrefois organisé une campagne contre le rejet <strong>de</strong><br />
déchets toxiques dans la rivière.<br />
Au lieu d’une interview ordinaire, Jeff préféra une<br />
63
Une lettre concernant le petit prince<br />
simple entrevue amicale. Assis dans sa cour, il se mit à<br />
me<br />
raconter son histoire :<br />
-Dès mon enfance, je voulais connaître le mon<strong>de</strong>. Ainsi<br />
après l'école, j'ai visité plusieurs pays et rencontré toutes<br />
sortes <strong>de</strong> gens.<br />
Cela fait vingt ans que je suis arrivé ici, au désert.<br />
C’est ici que j’ai éprouvé tant <strong>de</strong> chagrin : savez-vous ce<br />
que c'est que <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s enfants mourir <strong>de</strong> faim ou par<br />
manque <strong>de</strong> médicaments et <strong>de</strong> soins médicaux ? Ou bien<br />
<strong>de</strong> voir les gens travailler comme <strong>de</strong>s esclaves pour un<br />
salaire <strong>de</strong> misère dans <strong>de</strong>s usines qui polluent la nature ?<br />
Il faudrait faire quelque chose. Décidé <strong>de</strong> réagir, je<br />
suis rentré à mon pays pour faire <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
mé<strong>de</strong>cine.<br />
Depuis lors, je cherche <strong>de</strong>s gens qui, à propos <strong>de</strong> ce<br />
cauchemar, ne diront pas « Quel dommage!» en haussant<br />
les épaules, pressés <strong>de</strong> changer <strong>de</strong> sujet <strong>de</strong> discussion.<br />
Il fit une pause.<br />
- La suite <strong>de</strong> mon histoire, vous en avez déjà entendu<br />
parler, continua-t-il.<br />
Le soleil avait commencé à baisser. Je m’apprêtai à<br />
partir.<br />
- Dommage que vous me quittiez ! dit-il, d’un air<br />
mélancolique. Les couchers <strong>de</strong> soleil sont très beaux ici,<br />
… mais fort rares malheureusement.<br />
Nous prîmes le chemin vers la gare.<br />
- J'ai une étrange habitu<strong>de</strong>, dit-il, en sortant <strong>de</strong> sa poche<br />
une feuille <strong>de</strong> papier et un stylographe.<br />
– S’il vous plaît… ajouta-t-il, <strong>de</strong>ssine-moi quelque chose<br />
!<br />
- Dessiner… quoi? lui <strong>de</strong>mandai-je, stupéfait.<br />
Il me donna le papier sans rien répondre. Alors je me mis<br />
à <strong>de</strong>ssiner la première page d’un numéro spécial <strong>de</strong> mon<br />
64
Christos Tsagkaris<br />
journal, qui serait consacré aux populations misérables<br />
du désert.<br />
Jeff garda mon <strong>de</strong>ssin - bien qu’il ne fût pas très réussi.<br />
- Vous savez, le mouton et la rose étaient <strong>de</strong>s amis<br />
Jamais l’un ne ferait <strong>de</strong> mal à l’autre, dit-il en souriant<br />
avec l'innocence d'un petit enfant, au moment où je<br />
montais dans le train.<br />
Cher Monsieur, le village <strong>de</strong> Jeff n’existait pas<br />
auparavant. Il a surgi il n’y a pas longtemps au milieu du<br />
désert.<br />
Je pense que nous comprenons tous les <strong>de</strong>ux ce qu'il<br />
voulait dire. Je pense aussi que nous savons que le petit<br />
prince n’a jamais quitte ces lieux. Il est toujours là<br />
quelque part ...<br />
Bien à vous,<br />
Paul Dubois<br />
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A quatre heures <strong>de</strong><br />
l’après-midi<br />
Erica Markert<br />
66
Erica Markert<br />
Ce sentiment si étrange, si pénétrant, me fait danser<br />
discrètement à l’ouverture <strong>de</strong>s portes du métro. Il me fait<br />
sourire spontanément dans l’ennui <strong>de</strong>s files d’attente. Et<br />
quand il arrive, je regar<strong>de</strong> autour <strong>de</strong> moi sans <strong>de</strong>stination<br />
consciente et c’est lui qui me fait jouir du couple en train<br />
<strong>de</strong> s’embrasser fortement, du chauffeur <strong>de</strong> taxi captivé<br />
par une petite jupe rouge en mouvement. Ce sentiment<br />
m’allume en plein noir et me calme face aux nuits<br />
tumultueuses. Ce sentiment met en marche mes sens et<br />
me confie l’envie <strong>de</strong> respirer si profondément. Même si<br />
tu ne m’aimes plus, si tu ne m’as jamais aimée, ce<br />
sentiment <strong>de</strong>meurera en moi. Ce sentiment, plus fort que<br />
toi, ne m’échappera pas.<br />
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68
Théâtre
Nunc, ou le manque <strong>de</strong><br />
Eunjung Choi<br />
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Eunjung Choi<br />
Scène 1<br />
Le lundi 29 septembre 2008<br />
Une salle <strong>de</strong> la maison <strong>de</strong> retraite. La porte est en face<br />
<strong>de</strong> la fenêtre. Sur le mur, il y a <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong> jeunes<br />
enfants. Au milieu <strong>de</strong> la salle se situe un lit sur lequel se<br />
trouve une vieille femme émaciée qui tient dans ses bras<br />
un petit panda en peluche sale.<br />
Entre l’infirmière.<br />
L’infirmière<br />
Il y a quelqu’un qui désire vous voir. Connaissez vous<br />
un «Sara»? Elle me dit qu’elle est votre ancienne élève.<br />
La vieille fait un signe d’accord.<br />
Entre une jeune fille <strong>de</strong> treize ans. Elle tient une<br />
enveloppe bleue et un pot <strong>de</strong> cactus dans les mains.<br />
La fille<br />
Bonjour Madame Solberg.<br />
La vieille regar<strong>de</strong> la jeune fille.<br />
Comment allez-vous ?<br />
La fille<br />
Un silence<br />
La fille<br />
J’espère que vous vous vous sentirez mieux bientôt.<br />
Un silence<br />
La fille<br />
71
Nunc, ou le manque <strong>de</strong><br />
(D’un ton gêné) Je vous ai apporté quelque chose. (Un<br />
temps) voici une carte que j’ai écrite…. (Un temps. Elle<br />
met la carte sur la table à côté du lit) et un cactus. J’ai<br />
amené une fiche d’instruction également.<br />
La vieille lui lance un regard drôle comme pour dire «<br />
Tu te moques <strong>de</strong> moi ? »<br />
La fille continue.<br />
La fille<br />
Est-ce que vous voulez que je vous la lise ?<br />
Un silence<br />
La fille<br />
Lisant: « Un cactus nécessite <strong>de</strong> très simples soins.<br />
Gar<strong>de</strong>z-le chez vous dans un endroit illuminé—il lui faut<br />
beaucoup <strong>de</strong> lumière pendant toute l’année. Ne l’arrosez<br />
pas trop souvent, vous risqueriez <strong>de</strong> le pourrir. Veuillez<br />
l’arroser une fois par mois en hiver, et tous les quinze<br />
jours en—»<br />
Un temps<br />
La fille<br />
Lisant: « S’il y a <strong>de</strong>s parasites, injectez <strong>de</strong> l’insectici<strong>de</strong><br />
dans le pot. Le cactus a besoin <strong>de</strong>—»<br />
Elle ne peut plus continuer. La fille fond en larmes. Les<br />
yeux clairs <strong>de</strong> la mourante sont aussi mouillés. La vieille<br />
allonge le bras et touche la poitrine <strong>de</strong> la gamine, et elle<br />
lui dit quelque mots incompréhensibles. Elle ne sort qu’à<br />
peine <strong>de</strong>s sons.<br />
La fille<br />
72
Eunjung Choi<br />
(Toujours en larmes) Qu’y a-t-il? Je suis vraiment<br />
désolée, mais je ne comprends pas ce que vous avez dit.<br />
La vieille répète. Le même jeu. La jeune fille, n’ayant<br />
pas compris les paroles <strong>de</strong> la vieille détraquée, tente <strong>de</strong><br />
sourire sous ses larmes, et hoche la tête. Un temps.<br />
Pourrais-je revenir ?<br />
La fille<br />
La vieille lui regar<strong>de</strong> sans rien dire.<br />
La fille<br />
Pourrais-je revenir ? (Un temps.) Je reviendrai la<br />
semaine prochaine. (Un temps). Je vous quitte. Je m’en<br />
vais. D’accord ?<br />
La vieille, les yeux fermés <strong>de</strong> fatigue, fait oui <strong>de</strong> la tête.<br />
Noir<br />
Scène 2<br />
Le mercredi 1er octobre 2008<br />
Le même cadre. Une femme d’âge mûr et un jeune<br />
garçon mangent une glace à l’orange dans la salle. À<br />
droite du lit se trouve une gran<strong>de</strong> machine liée au<br />
masque d’oxygène placé sur le visage <strong>de</strong> la vieille. Ses<br />
yeux sont fermés, et le râle sort <strong>de</strong> sa poitrine. Le panda<br />
est assis à côté <strong>de</strong> sa tête grise. Sur le rebord <strong>de</strong> la<br />
fenêtre se trouvent le pot <strong>de</strong> cactus et un portrait noir et<br />
blanc d’une jeune femme brunette, élégante, revêtue<br />
d’une chemise blanche.<br />
73
Nunc, ou le manque <strong>de</strong><br />
L’infirmière entre en scène.<br />
L’infirmière<br />
(À la fille <strong>de</strong> la patiente) Il y a une étudiante <strong>de</strong> votre<br />
mère qui voudrait la voir. Peut-elle entrer ?<br />
La femme<br />
Bien sûr.<br />
La fille entre. Elle a dans la main une gran<strong>de</strong> carte et un<br />
chiot en peluche noir et blanc. Elle échange <strong>de</strong>s paroles<br />
avec la femme et avec le garçon (mime).<br />
La femme<br />
(En mettant le chiot à côté du panda) Ils sont noirs et<br />
blancs tous les <strong>de</strong>ux ! Parfait !<br />
Un temps.<br />
La femme<br />
Elle a perdu presque tous ses sens, mais on m’a dit<br />
qu’elle n’est pas encore sour<strong>de</strong>. Tu peux lui parler si tu<br />
veux. (Un temps) Nous partons. A bientôt. La femme et<br />
le garçon quittent la chambre après avoir embrassé la<br />
vieille. La jeune fille ouvre la carte.<br />
La fille<br />
Mes camara<strong>de</strong>s et mes profs l’ont signée aujourd’hui à<br />
l’école. Voyons, une personne a écrit : «Vous me<br />
manquez », une autre a dit : « J’espère que vous vous<br />
sentirez mieux bientôt ». Il y a aussi un qui a écrit: «<br />
Vous nous manquez. »<br />
Elle reste en silence pendant quelques moments.<br />
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Eunjung Choi<br />
Au revoir.<br />
Elle quitte la salle.<br />
Noir.<br />
La fille<br />
Scène 3<br />
Le jeudi 2 octobre 2008<br />
Le même cadre est mis à l’envers. La salle se voit <strong>de</strong><br />
l’extérieur, à travers la porte. Tous les objets ont été<br />
enlevés sauf le lit, qui est vi<strong>de</strong>. Devant la porte, il y a un<br />
grand homme avec un chariot plein d’équipements <strong>de</strong><br />
nettoyage, y compris un vaporisateur à moitié rempli <strong>de</strong><br />
liqui<strong>de</strong> bleu. Il a un sourire charmant. Il fait bonjour <strong>de</strong><br />
la main.<br />
Noir.<br />
Scène 4<br />
Le dimanche 5 octobre 2008<br />
Une gran<strong>de</strong> salle <strong>de</strong> banquet plein <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. D’un côté<br />
<strong>de</strong> la salle, il y a <strong>de</strong>s biscuits, <strong>de</strong>s boissons. Divers<br />
photos se trouvent sur les étagères et sur les tables. Les<br />
invités défilent en ligne et saluent les membres <strong>de</strong> la<br />
famille <strong>de</strong> la morte.<br />
Bonjour.<br />
Bonjour madame.<br />
La femme<br />
La fille<br />
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Nunc, ou le manque <strong>de</strong><br />
La femme<br />
Je te remercie pour ta carte, tu es la <strong>de</strong>rnière personne<br />
qui l’a vue.<br />
La fille feins un sourire.<br />
Les invités se regroupent <strong>de</strong>vant les photos et<br />
commencent à chuchoter.<br />
Une Italienne à la voix cassée<br />
Vous voyez la ressemblance entre ces <strong>de</strong>ux portraits ?<br />
Un garçon maigre aux cheveux noirs<br />
Non. Pas vraiment.<br />
La fille<br />
Mais si.<br />
Un homme se met <strong>de</strong>bout. Il tape un verre avec un<br />
couteau pour signaler un silence.<br />
L’homme<br />
Je vous remercie d’être venus. Ma mère, quand elle était<br />
vivante désirait <strong>de</strong>ux choses après sa mort. La première<br />
était la crémation <strong>de</strong> son corps. La <strong>de</strong>uxième, la réunion<br />
<strong>de</strong> ses amis. Si vous avez quelque chose—une anecdote,<br />
une citation—que vous voudriez partager avec nous à sa<br />
mémoire, n’hésitez pas à le faire en ce moment.<br />
Plusieurs invités, à tour <strong>de</strong> rôle, s’avancent <strong>de</strong>vant la<br />
foule et font <strong>de</strong>s discours. La jeune fille essuie ses<br />
larmes avec un mouchoir froissé. Une Française d’un<br />
certain âge au visage rouge, étonnée, la fixe du regard<br />
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Eunjung Choi<br />
et lui sourit d’empathie. Un garçon brun aux yeux doux<br />
contemple la fille à travers l’espace. Les chuchotement<br />
continuent pendant tout ce temps.<br />
R<br />
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