Traiter les traumatismes psychiques
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54 CLINIQUE<br />
Au bout d’un moment, j’ai la notion d’être le seul assis, ai peur que cela soit<br />
remarqué, suis mal à l’aise, éprouve la nécessité à « adopter une attitude »<br />
mais suis dans l’incapacité à en concevoir une. Devant l’impossibilité à<br />
répondre à cette sollicitation mentale, je me sens de plus en plus perdu.<br />
Je me lève enfin machinalement, me dirige vers le second groupe où une<br />
discussion animée et enjouée a lieu entre DE et MN. Les deux interlocuteurs<br />
sont tellement pris par leur échange qu’ils ne semblent pas avoir remarqué<br />
mon arrivée. Je ne peux intervenir dans ce débat qui dure assez longtemps<br />
et où je n’écoute pas ce qui se dit. J’essaie ultérieurement d’en saisir le<br />
sens avec beaucoup de difficultés. Je me souviens être dans une réflexion<br />
intérieure afin de formaliser une phrase. Les mots se mélangent, ne s’enchaînent<br />
pas. Je <strong>les</strong> oublie, ils sont troublés, empêchés, effacés par ceux<br />
qui sont entendus entre-temps (<strong>les</strong> termes de l’autre venant se substituer<br />
aux miens). [...]<br />
Je me rends à ma table de travail comme l’ensemble des personnes présentes.<br />
Bien que je connaisse ce lieu, je réagis comme si j’étais ici pour la<br />
première fois. Je constate dans l’immédiat me sentir plus en sécurité parce<br />
que noyé dans la masse : <strong>les</strong> gens sont concentrés sur leur travail et ne<br />
me regardent pas. Cependant, quelques instants après m’être assis je suis<br />
sujet à une obsession tenace : je suis sensible aux regards, ne veux pas<br />
qu’ils soient portés sur moi, <strong>les</strong> redoute et en ai une peur puissante. La<br />
posture de travail limite mes mouvements et la topologie des lieux m’oblige<br />
à <strong>les</strong> affronter. La panique ne se dissipe pas et très régulièrement j’inspecte<br />
l’ensemble de la pièce pour m’assurer que nul ne me fixe. Mon activité est<br />
pour ainsi dire exclusivement vouée à cela. » [...]<br />
(Malgré <strong>les</strong> nombreux indices et traces qui peuplaient sa chambre à son<br />
réveil, malgré sa b<strong>les</strong>sure périnéale très douloureuse, malgré <strong>les</strong> « bleus »<br />
qui couvraient son corps, malgré l’effroi qui l’a saisi, suivi d’un état de<br />
panique, auquel il n’a rien compris, quand il a croisé un de ses agresseurs<br />
dans la rue, à aucun moment Stéphane n’a été mis sur la voie de se rappeler<br />
le moindre détail de la nuit de l’événement causateur. À aucun moment<br />
l’idée ne lui est venue de consulter un médecin, et il n’ira voir un psychiatre<br />
que dix ans après. En attendant il est tantôt SDF, tantôt il vit de « petits<br />
boulots ». C’est lors de sa psychothérapie que la crypte façonnée par le<br />
déni s’ouvrira, livrant intacts tous <strong>les</strong> moments, sensations, faits, émotions,<br />
pensées du crime dont il a été la victime.)<br />
Ce texte très long, seize pages, mériterait d’être cité in extenso.<br />
Après l’épisode dissociatif initial vont alterner des moments d’angoisse<br />
et d’effroi, de dépersonnalisation et de déréalisation. Ils s’atténueront<br />
avec le temps mais ne cesseront vraiment que lorsque Stéphane<br />
aura retrouvé, douze ans après, la mémoire des faits (cf. page 31« Le<br />
déni de l’effroi »).<br />
Comme on le voit dans cet exemple, troub<strong>les</strong> immédiats précoces et à<br />
long terme peuvent s’enchaîner dans une continuité et à chaque instant