Traiter les traumatismes psychiques
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218 THÉRAPEUTIQUE<br />
dans le village de son père et croise une femme qui lui demande :<br />
« Comment, tu n’es pas mort ? »<br />
« Cette femme, commente-t-il, ne savait rien de l’attentat, mais elle<br />
savait que ma mort avait été décidée. »<br />
Qui pourrait lui en vouloir à ce point ? Lui, l’orphelin, a réussi<br />
brillamment dans ses études, alors qu’aucun de ses nombreux cousins<br />
n’a dépassé le premier cycle de ses études secondaires. En Afrique, on<br />
ne dépasse pas ainsi impunément ses « frères », il y a là une transgression<br />
qui fait écho à la transgression réalisée par le trauma. Toutefois,<br />
la mise en forme des interprétations persécutives, qui sont une des<br />
manières dont l’Africain traite la culpabilité, ne peut être le fait de la<br />
supposée victime seule. Il faut la clairvoyance d’un devin, la caution<br />
et la participation du groupe clanique à la démarche diagnostique,<br />
et la mise en œuvre de rituels appropriés. Chez un patient d’origine<br />
européenne, on aurait probablement abordé le décès de son père à un<br />
âge où <strong>les</strong> souhaits de mort de l’enfant sont une des sources de la<br />
culpabilité œdipienne et de l’angoisse de castration. Autrement dit, au<br />
moment où l’enfant entre dans l’histoire des hommes.<br />
En Afrique, on n’affronte pas son père sans prendre de grands<br />
risques, et la rivalité est déplacée sur <strong>les</strong> frères et sœurs (Ortigues,<br />
1973). Aussi l’émergence des vœux de mort aboutit chez ce patient<br />
à des rêves où le père est figuré par des personnages d’une violence<br />
extrême, des dictateurs africains par exemple, qui le mettent dans un tel<br />
danger que seul le réveil le sauve.<br />
La castration est figurée comme réelle et sanglante : ses orteils tranchés<br />
ont la faculté de s’ériger, comme un pénis. À ce niveau seuil<br />
de la problématique œdipienne, d’autres éléments plus angoissants<br />
encore apparaissent, qui font intervenir des fantasmes de dévoration. Par<br />
exemple, des crocodi<strong>les</strong> qui nagent dans le fleuve qu’il aurait à traverser<br />
pour atteindre l’autre berge, celle de la guérison. Il compare le métro à<br />
une énorme bête carnassière, qui a dévoré une partie de sa chair.<br />
Cette voie d’élaboration du traumatisme et de la faute paraît impossible<br />
à emprunter et laisse le mythe œdipien bloqué à son niveau le plus<br />
sanglant et le plus cruel.<br />
Dans toute la période où il fait ces cauchemars, le poids de la<br />
dépression est énorme, puis finit par s’alléger graduellement, tandis que<br />
ses rêves témoignent plutôt de ses sentiments d’abandon. Félix envisage<br />
d’aller passer un mois au Togo. Ses amis et ses cousins, avec <strong>les</strong>quels il<br />
a renoué, le pressent de profiter de son séjour là-bas pour s’en remettre<br />
à un guérisseur traditionnel. Il est très réticent. Deux jours avant son<br />
départ, il fait un rêve qui débloque tout d’un coup la situation. Il est