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Traiter les traumatismes psychiques

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LA NÉVROSE TRAUMATIQUE DÉCLENCHÉE 85<br />

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit<br />

en face : « Pourtant je ne <strong>les</strong> connaissais pas, ils ne m’avaient rien fait, ça<br />

aurait pu aussi bien être des parents ou des amis. » Dans ces moments-là<br />

il n’a « aucun sentiment », « aucun sentiment humain », « comme un chien<br />

qui tue un autre chien ». Même après qu’il a maîtrisé son impulsion, il n’a<br />

aucun remords, aucun état d’âme.<br />

Plus tard, à Sarajevo, un camarade en état d’ébriété s’en prend à lui<br />

verbalement. Il a une réaction d’une violence disproportionnée, inouïe :<br />

« Je me suis mis à cogner dessus aveuglément. » À ce moment-là un<br />

ami vient derrière lui et l’entoure de ses bras, le serre : « Ça a fait un<br />

déclic, dit-il, et je me suis arrêté, sinon j’aurais pu tuer. » Dans une autre<br />

situation de rage destructrice, au Kosovo, où il s’est mis à lacérer une<br />

tente à coups de couteau, c’est le toucher ferme et amical d’un camarade<br />

à l’épaule qui a immédiatement fait cesser la crise. Les militaires un peu<br />

anciens savent souvent comment agir dans ces situations. C’est exactement<br />

ce que font, d’ailleurs, <strong>les</strong> intervenants de l’urgence médicopsychologique<br />

de catastrophe lorsqu’un rescapé reste sous l’emprise de son expérience<br />

d’effroi.<br />

Revenons à notre patient. En 1994, il faisait partie des deux cents militaires<br />

français qui, à Goma, pendant trois semaines, ont enseveli <strong>les</strong> dizaines<br />

de milliers de réfugiés rwandais morts du choléra. L’odeur pestilentielle<br />

qui régnait sur la ville lui était intolérable, tandis qu’il se défendait assez<br />

bien des spectac<strong>les</strong> horrib<strong>les</strong> qui ont plutôt marqué <strong>les</strong> autres. Aussi ne<br />

retrouvera-t-on chez lui ni cauchemars, ni reviviscences visuel<strong>les</strong>. Seule<br />

l’odeur reviendra le persécuter, très fréquemment la première année qui<br />

a suivi son retour, plus rarement depuis. Avec le DSM IV, il serait impossible<br />

d’arriver à un diagnostic de PTSD, même partiel.<br />

La façon dont Frédéric a vécu cette période au Zaïre mérite d’être notée.<br />

Contrairement à Jérôme, dont nous parlerons tout à l’heure, il ne s’est pas<br />

senti face à l’événement soutenu par l’« esprit de corps ». Sa désillusion<br />

par rapport à l’armée datait de la guerre du Golfe. De surcroît, il supportait<br />

très mal le cynisme avec lequel lui-même et ses camarades se défendaient<br />

de l’enfer où ils étaient plongés (tous ces cadavres étaient la cause de leur<br />

souffrance). On pourrait parler à son sujet de « déréliction ». Déréliction<br />

profonde et tenace puisqu’il n’a aucunement ressenti cette fierté des autres<br />

militaires dès l’action terminée : leur sinistre travail avait arrêté l’épidémie,<br />

alors qu’il aurait pu y avoir un à deux millions de morts (toute la population<br />

des réfugiés présente à Goma).<br />

Lorsque <strong>les</strong> moments de tension meurtrière sont apparus, il a demandé à<br />

consulter un psychiatre à l’hôpital militaire. Il a été très déçu d’être reçu<br />

par un médecin du contingent, ce qui a beaucoup retardé sa deuxième<br />

demande. Pour lui, c’était comme si l’institution ne voulait rien savoir de<br />

sa souffrance.<br />

Comme on le voit dans cette observation, <strong>les</strong> moments où le sujet<br />

devient dangereux ont toutes <strong>les</strong> caractéristiques d’une manifestation de<br />

la répétition : début et fin brusque, conscience du caractère pathologique

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