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LES DÉFICIENCES DU SYSTÈME OU DE L’IMPOSSIBLE TRADUCTION<br />

« en V.O. » est une véritable honte, pour certaines personnes. Maîtriser les langues<br />

étrangères devient un impératif. Le bilinguisme, le trilinguisme voire le<br />

tétralinguisme (parfaits ou non) ne sont plus l’apanage exclusif d’une poignée de<br />

lettrés, mais un fait avéré, grâce à une instruction de plus en plus orientée vers<br />

l’enseignement des langues, grâce également à l’expansion du mass-média et à la<br />

prolifération des chaînes télévisées provenant du monde entier qui envahissent nos<br />

petits écrans. L’accès audiovisuel aux langues étrangères, à la faveur de tout<br />

l’appareil sémiotique qui l’accompagne (image, gestuelle, mimique, voix,<br />

intonation…) rend aisée, sinon l’assimilation d’un code étranger, du moins la<br />

familiarisation avec un système phonologique et sémio-linguistique nouveau.<br />

Et, de fait, par prétention et fierté personnelle ou par soumission naïve à la<br />

dictature de la langue source et aux dogmes tyranniques professés par les linguistes<br />

comparatistes, nombre de lecteurs aujourd’hui se targuent de lire dans le texte.<br />

N’ayant parfois à leur effectif que quelques rudiments d’espagnol, de portugais ou<br />

de japonais (très à la mode aujourd’hui), ils s’attaquent à des pavés de Marquèz, de<br />

Pessoa, de Borges, de Campos, ou à des haïkus hermétiques et indéchiffrables. Vous<br />

les verrez s’extasier devant la beauté du texte original, devant la portée de la langue<br />

source et devant des tournures et des effets stylistico-sémantiques ignorés dans leur<br />

langue maternelle. De même pour nombre de cinéphiles et de téléspectateurs qui,<br />

sans pour autant pratiquer à la perfection certaines langues, se prêtent au jeu de la<br />

« V.O » et se laissent bercer par des consonances étrangères, au risque de ne pas tout<br />

saisir ou, moindre mal, de s’aider du sous-titrage en langue cible. La sensation<br />

d’étrangeté, la difficulté éprouvée voire le malaise, stimulent le plaisir artistique ou<br />

littéraire ; ce sentiment de fouler des terres nouvelles, de toucher à des fruits<br />

exotiques ou interdits couvre les incompétences linguistiques réelles du récepteur. Il<br />

pallie aux lacunes de l’exercice herméneutique et les compense par un autre type de<br />

plaisir : celui de l’immersion dans un bain linguistique et culturel nouveau avec tous<br />

les accessoires nécessaires au transfert, à la métaphore (au sens étymologique le plus<br />

concret).<br />

L’exercice herméneutique se trouve ainsi biaisé : plutôt que de décoder des<br />

structures linguistiques et de les interpréter pour recueillir du sens, le récepteur est<br />

d’abord emporté par une émotion, par ce sens dit affectif. Ce ne sont pas les mots<br />

dans leur enchaînement syntagmatique ni dans leurs associations paradigmatiques<br />

qui font sens. Car à un stade peu avancé de la pratique d’une langue, les efforts du<br />

récepteur se concentrent sur l’axe de sélection : l’apprentissage des unités lexicales<br />

précède l’apprentissage des règles grammaticales et des combinaisons<br />

syntagmatiques ; le récepteur est alors très attentif aux concepts (parfois aussi à<br />

quelques valeurs extensives connotatives, les plus conventionnelles), concepts qu’il<br />

assimile et dont la somme finit pas faire sens. Le signe linguistique étranger retrouve<br />

dans cette situation interprétative sa privauté sur tous les autres aspects<br />

linguistiques : son signifiant résonne et frappe dans toute sa matérialité ou visuelle<br />

ou sonore, ce qui le rapproche du reste du statut des autres signes sémiotiques qui<br />

font sens grâce à leur matérialité (icône, symbole, couleur, panneau…) 1 . Le triangle<br />

sémantique définissant le signe se trouve restreint à une dyade faisant prévaloir le<br />

signifiant et le référent sur le signifié proprement dit, mais par là-même (puisque le<br />

1 Ce qui renvoie à « l’iconicité du signe linguistique » chez Charles Morris : le signe-iconique en ce qu’il<br />

est pareil à ce qu’il dénote.<br />

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