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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

construit de ces personnages est très différente. Le fait d’atténuer ou de supprimer<br />

des éléments qui pourraient être mal perçus par les lecteurs français obéit<br />

probablement à une stratégie de la maison d’édition qui, prévoyant que le sujet du<br />

livre en ferait un best-seller en France, aurait exercé un certain contrôle sur la<br />

version finale du texte (Hewson et Martin, 1991 : 159).<br />

Peut-on parler de trahison ? N’oublions pas que les textes publiés sont<br />

protégés par des droits d’auteur et que les conditions pour traduire et publier un<br />

roman dans une autre langue sont stipulées dans un contrat signé à l’issue de<br />

négociations entre les éditeurs et les auteurs, ou leurs représentants. Toute<br />

adaptation du texte – qui dans le cas que nous venons de voir peut être qualifiée de<br />

censure pour des raisons économiques – est intentionnelle et s’inscrit dans une<br />

stratégie déterminée. Cependant, nombreux sont les cas où l’étude de textes<br />

originaux et de leur traduction permet d’observer que les processus traductifs mis en<br />

œuvre tendent à atténuer des éléments pouvant être perçus comme transgresseurs<br />

dans la culture réceptrice. Il est difficile alors de préciser si de telles modifications<br />

ont été apportées de façon consciente ou si elles sont le résultat d’une réaction<br />

d’autocensure. Comme le signale Yves Gambier (2002 : 211), l’autocensure est<br />

ce refoulement d’éléments du quotidien que les diverses autorités de la société, ou<br />

l’image qu’on se fait d’elles, ne tolèrent pas, n’admettent pas. Pour ne pas avoir à<br />

subir les ordres ou instructions d’un éditeur, d’un producteur... ou pour ne pas<br />

avoir à contrecarrer leurs exigences, leurs attentes, le traducteur peut devancer<br />

leurs directives contraignantes : l’autocensure est aussi une censure préventive.<br />

Consciemment ou inconsciemment le traducteur se soumet aux exigences du<br />

« politiquement » ou du « moralement » correct. Ce type de censure/autocensure<br />

touche particulièrement le domaine de l’argot et des contenus sexuels, comme le<br />

révèle la traduction de Amor, curiosidad, prozac y dudas de Lucía Etxebarría. Ce<br />

roman, dont est extrait l’exemple ci-dessous, met en scène trois sœurs très<br />

différentes qui vivent à Madrid dans les années 1990, une époque caractérisée par<br />

des changements sociaux intenses. Dans ce roman à trois voix, chacune nous fait<br />

part de ses états d’âme dans un style qui reflète parfaitement sa personnalité.<br />

L’aînée, cadre d’entreprise, est apparemment l’image de la réussite professionnelle.<br />

La deuxième, mère de famille et femme au foyer, étouffe dans sa vie de couple<br />

qu’elle ne supporte qu’à l’aide de somnifères. La plus jeune, Cristina, a abandonné<br />

une carrière prometteuse dans la communication pour poursuivre des études de<br />

Lettres. Elle travaille comme serveuse dans un bar et vit dans un monde de<br />

noctambules où règnent le sexe et l’ecstasy. Son comportement rebelle et son refus<br />

de s’intégrer, comme ses sœurs, dans des rôles de femme prototypiques se manifeste<br />

dans le langage volontairement vulgaire et provocateur qu’elle utilise pour raconter<br />

ses déboires amoureux :<br />

Me encoñé porque tenía la polla enorme y porque era un plusmarquista sexual.<br />

(Etxebarría, 1998 : 138)<br />

Qui a été traduit par :<br />

Je fus attirée parce qu’il avait une queue énorme et que c’était un très bon coup.<br />

(Etxebarría, 1999 : 144)<br />

La phrase espagnole présente, au niveau lexical, deux difficultés<br />

importantes : les expressions me encoñé et era un plusmarquista sexual. Me encoñé<br />

est la première personne du passé simple du verbe encoñarse, formé à partir du nom<br />

coño qui, dans un registre vulgaire, désigne l’organe sexuel féminin ; comme<br />

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