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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

Rapprochons en tout cas ce que dit H. Godard des Exercices : « à eux tous, ils<br />

suggèrent que les manières de raconter sont en nombre illimité » 1 — et la foi<br />

qu’exprime Quintilien : « En réalité, il y existe d’innombrables modes d’expression<br />

(innumerabiles sunt modi) et un très grand nombre de voies mènes au même point »<br />

(10, 5, 7). On ne peut s’empêcher de se demander si Queneau a connu non<br />

évidemment le manuel de Théon, mais une pratique de la paraphrase qui s’est<br />

poursuivie bien au-delà de l’antiquité : on la trouve par exemple. sous des formes<br />

diverses dans la Ratio studiorum de la Compagnie de Jésus1599 2 . On a peine à<br />

croire qu’il a seulement puisé l’inspiration des Exercices de style dans la musique, à<br />

partir de l’ars combinatoria et des fugues de Bach 3 ? Posons la question.<br />

La différence pourtant n’est pas négligeable. Elle est la même qu’entre une<br />

machine de Tinguély ou de Kitano et une véritable machine. Car ce qu’il nous reste<br />

à montrer, c’est que les manuels de Théon et de Quintilien sont bien des Ouvroirs de<br />

Littérature Réelle, qu’ils ont permis à l’élève persévérant de goûter, comme le disait<br />

Isocrate, les doux fruits de l’éducation.<br />

PARAPHRASE ET LITTÉRATURE<br />

Que la paraphrase joue une rôle important dans la composition des œuvres<br />

littéraires, Théon l’affirme à propos des œuvres du passé : « on en trouve des<br />

preuves chez les poètes (que ce soit chez un même poète ou chez des poètes<br />

différents), chez les orateurs et chez les historiens et, généralement parlant, il<br />

apparaît que tous les anciens ont fait de la paraphrase un excellent usage,<br />

refaçonnant non seulement leurs propres textes, mais aussi ceux des autres » (62, 20-<br />

25, p. 4-5). Le terme d’imitation, qui reprend avec une orientation péjorative la<br />

terminologie des Anciens, a longtemps servi à dévaloriser ce qu’on appelle<br />

aujourd’hui intertextualité. L’intérêt de la formulation de Théon est d’établir un<br />

rapport direct entre les exercices pratiqués à l’école et le développement sans<br />

précédent de ce phénomène à son époque, en particulier dans la littérature latine. Il<br />

n’y a pas si longtemps que les latinistes ont constaté les limites de la traditionnelle et<br />

inintelligente « recherche des sources » (Quellenforschung), pour admettre que<br />

« l’inédit n’est pas forcément ce qui n’a jamais été dit ; ce peut être encore ce qui n’a<br />

jamais été dit d’une certaine manière » et que « l’originalité des anciens poètes se<br />

révèle à nous comme essentiellement recréatrice » 4 . L’étude la plus stimulante et la<br />

plus fouillée sur ce sujet est sans doute celle de P. Laurens sur l’épigramme, grecque<br />

et latine. L’étendue limitée et l’exigence de perfection qui caractérisent ce genre lui<br />

permettent une formalisation d’une rigueur impossible pour d’autres types d’œuvres.<br />

La « variation » est partout : « loin de trahir le défaut d’imagination, elle annonce le<br />

défi : plus le thème est rebattu, plus est grand le triomphe rhétorique » 5 .<br />

1 H. Godard, Introduction de Queneau 2006, p. XIII.<br />

2 Ainsi parmi les « exercices pendant la correction » : « Les exercices donnés aux élèves pendant que le<br />

maître corrige leurs devoirs écrits, consisteront par exemple à imiter un passage d’un poète ou d’un<br />

orateur, [...] à tourner une même phrase de diverses manières ; à traduire un discours grec en latin ou<br />

l’inverse ; à formuler en prose les vers d’un poète, tant latin que grec... » (Ratio studiorum, 1997, p. 167).<br />

3 E. Souchier, « Archéologie d’un projet », in Queneau 2006, p. 1556-1557.<br />

4 Duret 1980, p. 361. Le phénomène, plus visible chez les poètes, ne leur est pas propre : voir par exemple<br />

sur les déclamateurs, Laurens 1989, p. 85-86 — et infra.<br />

5 Laurens 1989, p. 79.<br />

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