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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

voir le caractère essentiel du certamen dans les dernières lignes de deux œuvres,<br />

l’une poétique, l’autre didactique, que ne séparent que quelques années. À la fin de<br />

sa Thébaïde, vers 92, Stace s’adresse à son épopée : « Vis, je t’en prie, et ne rivalise<br />

pas avec la divine Énéide, mais suis-la (sequere) de loin et, toujours, adore la trace<br />

de ses pas » (12, 816-817) 1 . Cette déclaration faussement modeste (personne ne<br />

vient s’intercaler entre Stace et Virgile) est en totale consonance avec les conseils<br />

sur lesquels se clôt, vers 96, l’Institution oratoire de Quintilien :<br />

En admettant même que nous n’ayons pas d’espoir de surpasser nos modèles,<br />

c’est encore un grand honneur que de venir immédiatement après eux<br />

(subsequendi)... La perfection dans les arts serait un don funeste pour l’humanité,<br />

si ce qui est le meilleur marquait aussi la fin... Ne nous lassons jamais de tendre<br />

vers ce qu’il y a de meilleur : c’est là le moyen de parvenir aux sommets ou, à<br />

coup sûr, de voir une multitude au-dessous de nous » (12, 11, 28-30 ; trad.<br />

Bornecque modifiée).<br />

À côté de l’idée du certamen, dans les deux textes apparaît<br />

sequor, « suivre ». Simple imitation d’un « suiveur » ? Sûrement pas, car rien n’est<br />

sacrifié du souci d’originalité. Pour conserver la métaphore sportive, il s’agit de<br />

s’inscrire dans la même compétition que tel grand prédécesseur, de travailler dans le<br />

même genre littéraire, tout en restant pleinement soi-même.<br />

Dans ce jeu du semblable et de l’autre où la littérature puise dans son propre<br />

fonds, rivaliser implique de parfaitement connaître le « modèle » qu’on aspire à<br />

surpasser et de souligner en quoi on se distingue de lui. Pour ce qui devient ainsi une<br />

forme de dialogue avec les rivaux les plus éminents, la pratique de la paraphrase<br />

joue un rôle essentiel. Celle-ci constitue, dit Quintilien, le moyen privilégié pour<br />

parfaitement connaître les plus grands auteurs :<br />

Il ne s’agit pas en effet d’une lecture superficielle qui parcourt les œuvres à la<br />

hâte : on travaille chaque expression, on est contraint de l’analyser exactement et<br />

on en reconnaît la valeur par le fait même qu’on ne peut l’imiter (10, 5, 8).<br />

Outil d’analyse et méthode pour l’élaboration d’œuvres originales, la<br />

paraphrase occupe, on ne saurait s’en étonner, une place centrale dans l’éducation.<br />

PARAPHRASE ET TRADUCTION DANS L’ÉDUCATION DU ROMAIN<br />

Deux textes essentiels, l’un latin, l’autre grec, fournissent sur ce sujet de<br />

précieuses et assez abondantes informations : ils se complètent suffisamment pour<br />

que nous puissions passer constamment, dans la suite, de l’un à l’autre.<br />

Comme l’indique son titre, l’Institution oratoire de Quintilien présente, du<br />

berceau (il se soucie du choix de la nourrice qui entraînera l’infans à prononcer les<br />

mots) jusqu’à la tombe, l’éducation puis l’entraînement de l’orateur : la rhétorique<br />

constitue le « tronc commun » de l’éducation et le terme eloquentia peut au I er siècle<br />

de notre ère désigner toute sorte de littérature. Dans l’ouvrage, la paraphrase<br />

apparaît deux fois. L’élève la pratique d’abord comme exercice scolaire (le grec<br />

parle de progymnasmata, exercices préparatoires) chez le grammaticus, puis chez le<br />

rhéteur (1, 9, 1-3). Sur ces exercices, Quintilien passe assez rapidement, quam<br />

breuissime (1, 10, 1), sans souci d’exhaustivité, pour en venir à l’essentiel de son<br />

propos. Sorti de l’école, l’orateur doit s’entraîner quotidiennement, comme<br />

aujourd’hui un athlète ou un virtuose, afin d’acquérir et de conserver l’hexis, la<br />

1 Au début de la seconde épopée de Stace, l’Achilléide, la rivalité s’instaure avec Homère (1, 3-7).<br />

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