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PARAPHRASER, TRADUIRE LE TRAVAIL SUR L’EXPRESSION, DE LA GRÈCE À ROME<br />

DE LA TRADUCTION À LA PARAPHRASE<br />

En considérant le rapport à l’œuvre inspiratrice (ou, si on préfère, à<br />

l’hypotexte) dans cette « littérature au second degré » qu’est presque toujours la<br />

littérature latine de la République et du Haut Empire, on peut, sans excès de<br />

schématisme, distinguer trois temps. On a déjà évoqué Livius Andronicus. Vers 212<br />

av. J.-C., Plaute déclare encore, dans le prologue de l’Asinaria, que Démophile a<br />

écrit la comédie et que Maccus (son surnom) l’a « traduite » en langue barbare,<br />

Demophilus scripsit, Maccus uortit barbare. Mais on doit maintenant nuancer le<br />

sens de uertere, qui marque, on l’a dit, le passage d’un état à un autre. Il s’agit en<br />

effet moins à nos yeux de traduction que de transposition. Dans la comédie en<br />

particulier, la traduction littérale est impossible : elle ne ferait pas rire. Non<br />

seulement les jeux sur les mots ou les allusions sont adaptés au public romain, mais<br />

grossissement des effets, additions ou coupures interviennent constamment. La<br />

traduction n’est pas sans rapports avec l’appropriation d’œuvres d’art destinées à<br />

embellir Rome 1 . Il apparaît aussi légitime de s’approprier l’œuvre : aussi bien le<br />

« traducteur » est-il considéré comme auteur à part entière et on parle de l’Odissia<br />

de Livius Andronicus. Des « traductions » comparables continueront à apparaître, au<br />

second plan toutefois : celles d’Aratos par un Cicéron encore adolescent puis par<br />

Germanicus, neveu de Tibère, sont encore traitées comme des œuvres originales 2 .<br />

L’esprit s’est cependant modifié à la fin de la République. Il ne s’agit plus<br />

d’adaptation, mais de rivalité, certamen, avec les plus grands dans l’ensemble des<br />

genres, d’obtenir ce qu’Horace appelle le « surnom d’élection », optiuum cognomen<br />

(Ep. 2, 2, 101) : Properce se veut le Callimaque latin, Salluste et Tite-Live seront<br />

comparés respectivement à Thucydide et à Tite-Live. Cicéron ne cache pas qu’il<br />

entend, à l’instar de Démosthène, marquer le sommet de l’éloquence dans sa patrie :<br />

il accepte avec enthousiasme la suggestion de Brutus d’appeler Philippiques ses<br />

discours contre Antoine. Et, s’il est plus discret à propos de son œuvre<br />

philosophique, on sent qu’il ne serait pas fâché d’être aussi le Platon romain. Le<br />

couronnement est l’apparition avec l’Énéide d’un chef-d’œuvre comparable à celui<br />

qui domine la littérature grecque : « Je ne sais quoi est en train de naître, écrit<br />

Properce, de plus grand que l’Iliade » (2, 34, 66). La littérature grecque connaît,<br />

après la conquête romaine, une période de relative stérilité 3 . Pour les Romains, les<br />

œuvres écrites dans les deux langues, in utraque lingua 4 , se situent maintenant à<br />

égalité.<br />

Dans un monde dont l’Empire bouleverse profondément les valeurs, c’est<br />

désormais moins avec les poètes grecs qu’avec les poètes latins qu’on rivalise :<br />

Ovide, innovateur comme en beaucoup de domaines, n’hésite pas à récrire, non sans<br />

malice, dans les trois derniers chants des Métamorphoses, sa propre Énéide. On peut<br />

1 Les Romains se conduisent déjà en conquérants, mais la Grèce propre ne deviendra romaine qu’en 146.<br />

2 Sur les libertés de ces traducteurs, Seele 1995 ; plus nuancé, Traina 1970. Les exigences de la traduction<br />

au sens moderne n’apparaîtront qu’avec les chrétiens, tenus à un scrupuleux respect du texte source : une<br />

formule souvent citée fait de saint Jérôme le « patron des traducteurs ». Cette évolution demeure ici<br />

extérieure à notre propos.<br />

3 Sauf dans le domaine de l’épigramme, cf. infra.<br />

4 Sur l’expression (qui n’a pas d’équivalent en grec), Valette-Cagnac 2005, p. 22-28. Cf. Pierre 2005, p.<br />

254 (mais ceci ne vaut pas seulement pour la poésie) : « L’œuvre poétique latine n’efface pas l’œuvre<br />

grecque, elle n’est ni sa copie ni la reproduction originale, elle la dédouble comme une image<br />

complémentaire et nécessaire ».<br />

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