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Traduire

traduire...Interpréter

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LA COMPRÉHENSION COMME SAISIE DU SOI DEVANT LE TEXTE<br />

occasion de "[...] la découverte de leur propre langue et de ses ressources laissées en<br />

jachère." (Ibid., p. 39).<br />

Il faut dire aussi que le philosophe, fidèle à sa vision des relations dialogiques<br />

qui déterminent l’identité de l’homme, donne une interprétation novatrice du mythe<br />

de Babel. À savoir, il propose de cesser de voir la dispersion de Babel par le prisme<br />

de la punition infligée aux hommes, mais plutôt comme une étape naturelle dans<br />

l’évolution de l’humanité. La traduction n’est plus alors comprise en termes d’une<br />

conséquence contraignante de la diversité, mais d’une conséquence tout court qui<br />

assure la continuité de la race humaine. Sans annulation de la langue paradisiaque,<br />

certes parfaite, mais unique, l’homme ne serait jamais forcé à se donner la peine<br />

d’entendre la voix de l’autre, de le comprendre et, par la suite, de se comprendre soimême<br />

dans le dialogue avec l’autre. C’est alors précisément l’éthique de<br />

l’hospitalité face à l’autre qui rend présent le moment où la pluralité des langues<br />

peut coexister dans un discours annulant la perte de langue paradisiaque.<br />

Le deuxième type de traduction, la traduction interne, s’explique par le fait<br />

que penser et parler implique déjà la traduction, la reformulation et, par ce moyen, la<br />

découverte de ce qui est étranger en nous pour nous-mêmes. Les enjeux réciproques<br />

des unités linguistiques de trois niveaux, à savoir des mots, des phrases et des textes,<br />

conjugués avec les phénomènes tels que la polysémie, les connotations, le caractère<br />

fragmentaire des textes par rapport à la complexité de la réalité décrite, font que les<br />

locuteurs au sein d’une communauté linguistique sont entraînés dans l’activité<br />

incessante de l’explication. Encore une fois donc la traduction dévoile le caractère<br />

dialogique de la compréhension : cette fois-ci il s’agit de la compréhension qui<br />

présuppose l’existence de l’étranger dans chaque homme, ne fût-ce qu’un<br />

interlocuteur parlant ma langue.<br />

D’une manière générale, nous pouvons constater que dans son approche<br />

herméneutique, l’acte traductif 1 selon Ricœur est un espace où a lieu l’épreuve de<br />

l’étranger externe, devenu classique dans la bibliographie traductologique, mais<br />

également interne, c’est-à-dire celui qui ne ferait pas surface sans la mise en rapport<br />

avec l’autre. Autrement dit, il ne s’agit pas uniquement de l’étranger en dehors de<br />

nous, mais également de celui qui vit dans l’espace de la même langue, mais "[...] ne<br />

voit pas les choses sous le même angle que nous."(Ibid., p. 48), ou finalement de<br />

celui qui se trouve en moi et dont la découverte devient possible grâce à la mise en<br />

distance face à l’étranger extérieur. Il est clair que la rencontre avec l’altérité suscite<br />

initialement la peur 2 et le refus, mais au bout d’un certain temps également la<br />

curiosité quant à une existence différente de la nôtre. À ce point-là, la problématique<br />

de la traduction recoupe la question-clé de la pensée ricœurienne, à savoir l’intérêt<br />

porté à l’égard de l’existence de l’homme dans le monde et parmi les autres. D’autre<br />

1 Le philosophe souligne l’inscription immanente de l’interprétation dans la traduction quand il constate :<br />

"La traduction est déjà l’interprétation."(LACOCQUE, RICŒUR, 2003, p. 340) et plus loin : "[...] la<br />

traduction devrait être considérée comme un cas particulier de la lecture, de la réception, et alors de<br />

l’interprétation du texte [...]."(ibid, p. 375).<br />

2 Pour parler du travail du traducteur, Ricœur (2002, p. 41) recourt à la terminologie freudienne. Il évoque<br />

le travail de souvenir et de deuil : la visée de la traduction est de préserver, néanmoins elle s’accompagne<br />

à chaque fois d’un consentement à la perte inévitable. Le travail de deuil est précisément le renoncement<br />

à la traduction parfaite. Du moment où l’on assume la présence de l’étrangeté, on doit accepter aussi la<br />

nécessité des pertes dans la traduction, car l’étrangeté implique la différence face au propre et non pas son<br />

reflet. Ricœur en conclut que, paradoxalement, le bonheur de la traduction réside dans la perte, car elle<br />

ouvre l’horizon à l’hospitalité langagière.<br />

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