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LA COMPRÉHENSION COMME SAISIE DU SOI DEVANT LE TEXTE<br />

exerce sur lui devient le moment central dans son approche du texte littéraire, ce<br />

qu’illustrent ses mots quand il déclare :"[...] le lecteur incorpore – consciemment ou<br />

inconsciemment, peu importe – les enseignements de ses lectures à sa vision du<br />

monde, afin d’en augmenter la lisibilité préalable [...]." (RICŒUR, 1985, pp. 262-<br />

263).<br />

Il va de soi que la lecture dans l’approche ricœurienne du texte est loin d’être<br />

considérée comme acte contingent et extérieur à la textualité. Bien au contraire : elle<br />

est intrinsèque au texte, car c’est au lecteur qu’incombe la tâche de clore la<br />

configuration des relations internes qui s’unissent dans la littérarité du texte et en<br />

font l’œuvre. Plus important tout de même semble être le fait que chaque lecteur<br />

sature la lecture par l’apport de son monde appliqué au monde offert par le texte. Il<br />

s’ensuit de cette constatation qu’à défaut du lecteur "[...] il n’y a point de monde<br />

déployé devant le texte". (Ibid., p. 239).<br />

Dans la description de trois étapes de lecture alignées sur la triade<br />

herméneutique compréhension – explication – application, Ricœur voit le moment<br />

de la rencontre avec la différence, la prise de conscience face à l’autre grâce au<br />

décalage des horizons passé de l’œuvre et présent du lecteur que la lecture<br />

finalement abolit dans la fusion. Le philosophe cite à ce propos Hans Jauss<br />

soutenant qu’à travers ce processus le texte demande au lecteur de "prendre la<br />

mesure de l’horizon de sa propre expérience et [de] l’élargir en la confrontant avec<br />

l’expérience de l’autre, dont le précieux témoignage se révèle dans l’altérité du<br />

texte" (ibid., p. 257). Les trois phases s’unissent dans l’expérience esthétique qui a le<br />

pouvoir de refigurer 1 , c’est-à-dire de transformer l’expérience et la réalité de<br />

l’homme à travers le récit. Il est intéressant de remarquer qu’à ce moment-là, la<br />

textualité dépasse ses frontières linguistiques, se déploie en dehors de son statut<br />

textuel et entre dans le réel du lecteur 2 pour réorganiser sa façon d’habiter le monde.<br />

Avec la théorie des effets l’intérêt du philosophe se déplace encore plus du<br />

monde du texte vers "[...] la médiation que la lecture opère entre le monde fictif du<br />

texte et le monde effectif du lecteur. [...]. C’est à travers la lecture que la littérature<br />

retourne à la vie, c’est-à-dire au champ pratique et pathique de l’existence". (Ibid., p.<br />

149). Ces mots illustrent clairement l’union étroite entre l’herméneutique et la<br />

phénoménologie dans la pensée de Ricœur et l’aspiration de la première à éclairer<br />

les questions posées par la deuxième. L’acte de lecture, aussi bien du texte<br />

historique que de fiction, devient ainsi "le moment phénoménologique" (ibid., p.<br />

265) qui ouvre devant nous en tant que lecteurs le monde du texte et nous livre à<br />

l’appropriation qui se manifeste dans "[...] une expérience de pensée par laquelle<br />

nous nous exerçons à habiter des mondes étrangers à nous-mêmes." (Ibid., p. 358).<br />

1 L’auteur consacre le troisième tome du Temps et récit à la problématique de la refiguration qui peut être<br />

résumée très grossièrement comme une capacité de chaque œuvre à modifier et réorganiser le monde et<br />

les attentes du récepteur à travers la confrontation avec l’univers fictionnel dans lequel il est invité à<br />

habiter pendant l’acte de lecture.<br />

2 Le lecteur joint ainsi les deux mondes : la fiction du texte et la corporéité de son existence. Cette<br />

fonction résulte de sa médiation dans la relation entre le monde et la langue. L’activité de lecture s’avère<br />

indispensable et constitutive pour que la langue, après s’être distanciée de la réalité dans le signe, ou bien<br />

dans la fictionnalité de l’œuvre littéraire, puisse y revenir respectivement dans l’emploi discursif ou dans<br />

la confrontation de la fictionnalité avec la réalité du lecteur qui en est, à son tour, modalisée par la lecture.<br />

(cf. RICŒUR, 2003a, pp. 126-127).<br />

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