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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />
à faire de l’interprétation le synonyme de la compréhension 1 . Le but, manifestement<br />
psychologisant, de cette dernière catégorie épistémologique appliquée au texte<br />
consisterait alors en le dévoilement de l’intention de l’auteur telle qu’elle se<br />
présentait au destinataire primaire (RICŒUR, 1989, p. 93). L’interprétation<br />
romantique de l’œuvre était conçue en conséquence comme "la recherche d’une<br />
congénialité entre l’âme de l’auteur et celle du lecteur" (RICŒUR, 1975, p. 278) où<br />
la compréhension se résumait pratiquement à la pénétration des idées de l’écrivain.<br />
La source de l’herméneutique ricœurienne est à chercher dans le courant<br />
phénoménologique, notamment dans sa polémique avec Edmund Husserl à qui le<br />
philosophe reproche l’erreur idéaliste quant à la nature de la conscience. Selon<br />
Husserl, c’est la seule catégorie immanente donnée à l’homme étant le fondement de<br />
son auto-connaissance et le point de départ pour chaque savoir postérieur. Dans le<br />
débat post-cartésien sur la nature de la conscience, Ricœur se place du côté de ceux<br />
qui, comme Martin Heidegger et Sigmund Freud, ne croient ni à la finitude et<br />
infaillibilité de cette instance, (cf. RICŒUR, 2008, pp. 389-390) ni au fait que la<br />
conscience en tant qu’entité pensante est donnée directement au sujet. Contrairement<br />
à Husserl, persuadé que l’identité du sujet est maîtrisable, Ricœur perçoit la<br />
conscience comme un processus à réaliser. La constitution de l’identité ne serait<br />
donc que l’étape finale de l’auto-compréhension du sujet qui la construit à travers<br />
l’interprétation 2 des résultats de son activité, c’est-à-dire des œuvres de culture et,<br />
parmi eux, des textes 3 .<br />
Le besoin d’analyser les œuvres débouche sur l’introduction des outils<br />
herméneutiques dans la philosophie ricœurienne, ce qui fait de ce domaine une<br />
théorie de l’opération de compréhension par le biais de l’interprétation du texte écrit.<br />
La méthode herméneutique appliquée à l’analyse textuelle constitue un des piliers<br />
les plus significatifs de la philosophie de Paul Ricœur sans en être, paradoxalement,<br />
1 Étant donné les dimensions restreintes de l’article, mais surtout l’étendue du problème, nous passons<br />
pratiquement sous silence une autre opposition qui a fait couler beaucoup d’encre au sein de<br />
l’herméneutique, notamment celle entre la compréhension et l’explication. Disons seulement que dans ses<br />
analyses, Ricœur concilie les outils offerts par différents systèmes philosophiques. C’est ainsi que, selon<br />
lui, les méthodologies herméneutique et épistémologique s’entrecroisent et se complètent, ce qui est<br />
particulièrement saillant dans la linguistique et l’économie. Par conséquent, il ne voit pas la raison d’être<br />
pour la vieille dichotomie, toujours vive dans la philosophie, à savoir celle entre l’explication, propre aux<br />
sciences naturelles, et la compréhension qui serait le but des sciences humaines (cf. RICŒUR, 2003a, p.<br />
108). L’abolition de la dichotomie peut avoir lieu uniquement dans la situation où la langue devient<br />
discours, ce qui se fait le plus pleinement dans l’écrit (cf. RICŒUR, 1989, p. 63). Qu’il nous soit permis,<br />
en guise de spécimen de la problématique, de citer une constatation que nous trouvons particulièrement<br />
adjacente à notre étude : "[...] si la compréhension présuppose l’altérité et installe une intersubjectivité,<br />
l’explication les suspend ; à la perspective de l’appropriation de la signification par un observateur, se<br />
substitue la perspective de l’informateur, dont on ne retient que l’activité de construction, et dont on<br />
implicite l’activité d’attribution." (RICŒUR, 1990, p. 27).<br />
2 Dans le commentaire de L’Être et le Temps de Heidegger, Ricœur rend explicite la différence entre les<br />
deux notions : "[...] interpréter, en effet, c’est développer la compréhension, ex-pliciter la structure d’un<br />
phénomène en tant que (als) tel ou tel." (RICŒUR, 1985, p. 94).<br />
3 Précisons ici que le texte intéresse le philosophe avant tout en tant qu’instance du discours littéraire. Il<br />
l’explique ainsi : "Par texte [...] j’entends, par priorité, la production du discours comme une œuvre. Avec<br />
l’œuvre [...] de nouvelles catégories entrent dans le champ du discours, essentiellement des catégories<br />
pratiques, des catégories de la production et du travail". Et, plus loin, il continue : "Telle est donc la chose<br />
à laquelle s’adresse le travail d’interprétation : c’est le texte comme œuvre : disposition, appartenance à<br />
des genres, effectuation dans un style singulier, sont les catégories propres à la production du discours<br />
comme œuvre. [...] Interpréter une œuvre c’est déployer le monde auquel elle se réfère en vertu de sa<br />
« disposition » de son « genre », de son « style »". (RICŒUR, 1975, p. 277).