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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

Enfin, si Madame Bovary est sous titré Mœurs de province, le lieu affirmé du<br />

roman de Ferry est bien Paris : la bibliothèque Sainte-Geneviève, les PUF où le<br />

narrateur invite Éva à l'accompagner, la place de la Sorbonne, et les allusions à<br />

L'Éducation sentimentale dont Flaubert disait au moment où il commença à l'écrire<br />

que c'était "un roman parisien".<br />

Le roman de Ferry, dès que le lecteur a compris ce que le narrateur attend de<br />

lui, crée un effet curieux assez difficile à définir, mis à part le fait qu'il est en<br />

relation intertextuelle évidente avec les œuvres de Flaubert. Il ne s'agit pas<br />

simplement d'un hypertexte se greffant sur l'hypotexte Madame Bovary, il ne s'agit<br />

pas non plus d'un plagiat ou d'une simple imitation, ni d'une parodie, mais d'un texte<br />

qui se réfère, à d'autres textes par de multiples allusions, citations, mais aussi par<br />

l'écriture, au point que le lecteur a l'impression de lire un roman qui est comme le<br />

reflet de plusieurs autres dont Madame Bovary et L'Éducation sentimentale. C'est à<br />

une lecture jubilatoire qu'est convié le lecteur et nul doute que Roland Barthes aurait<br />

parlé du plaisir du texte.<br />

Dès les premières lignes du roman nous constatons qu'il est question de<br />

fatalité :"Elle, à cause de l'amour, elle est sans doute plus belle qu'elle ne le fut<br />

jamais. Fatale beauté."Il a souvent été question de Madame Bovary, roman de la<br />

fatalité, cette fatalité dont Charles dira à Rodolphe, après la mort d'Emma, à la fin du<br />

roman :<br />

- Non, je ne vous en veux pas, dit-il.<br />

Rodolphe était resté mue. Et Charles, la tête dans ses deux mains, reprit d'une<br />

voix éteinte et avec l'accent résigné des douleurs infinies :<br />

- Non, je ne vous en veux plus !<br />

Il ajouta même un grand mot, le seul qu'il ait jamais dit :<br />

- C'est la faute de la fatalité !<br />

Rodolphe, qui avait conduit cette fatalité, le trouva bien débonnaire pour un<br />

homme dans sa situation, comique même, et un peu vil.<br />

Sartre a longuement commenté dans l'Idiot de la famille le sentiment de<br />

"fatalité" qui habitait Flaubert,"l'enfant préfabriqué [qui] est dès son jeune âge un<br />

fataliste authentique 1 "mais le ton même de l'incipit du roman de Ferry, s'il fait<br />

référence à la fatalité, c'est en l'associant à la beauté d'Éva, reprenant le stéréotype<br />

qui sillonne toute la littérature, à savoir que la beauté féminine, depuis l'Iliade au<br />

moins, est la cause des malheurs de la planète… Le lecteur de Ferry découvrira que<br />

le narrateur ne se "soumettra" pas au fatum, et qu'après avoir "mugi à mort, pleuré<br />

en chute libre" 2 , il se mettra au travail, et lira :<br />

Nous lisons et relisons le livre amiral de l'adultère. Son livre. Nous lisons la plume<br />

à la main Madame Bovary. Et trente-six livres tournant autour de Madame Bovary.<br />

Et les romans des cousines d'Emma, voire de ses succédanés affines. […] Emma est<br />

belle. Sa beauté est le premier ressort de la fatalité qui ronge et ruine son union<br />

avec Charles. Est-ce que c'est bon de tomber amoureux fou d'une femme très belle ?<br />

La beauté trop manifeste attire trop de regards, attise trop de désirs et produit du<br />

danger. 3<br />

1 J. P. SARTRE, L'idiot de la famille, éditions Gallimard, NRF, Bibliothèque de philosophie,<br />

tome 1, 1971, p.391.<br />

2 A. Ferry, op. cit., p.10.<br />

3 Ibid. p.11.<br />

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