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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

La p. 24 (voir Fig. 3) est assez conventionnelle : les paroles de la duchesse<br />

sont dans une bulle, le narrateur occupe les deux récitatifs. Mais le bédéaste ne<br />

codifie pas sa BD à outrance, il prend des libertés. Le récit de la narratrice « Je<br />

m’apercevais qu’il [Esteban] avait pour moi un amour qui m’offensait comme une<br />

insolence » — le destinataire est de Tressignies — devient un discours direct qui<br />

change de destinataire : elle s’adresse au présent de l’indicatif à son mari, dans une<br />

bulle p. 40, v. 2 « Je m’aperçois qu’il [Esteban] a pour moi un amour qui m’offense<br />

comme une insolence ». Et, p. 41, pour complexifier la syntaxe de la BD, « Ce mot<br />

me jeta à Esteban » n’est pas inscrit dans une bulle mais dans un récitatif. S’il y a<br />

bien, globalement, une grande fidélité au prototexte, la créativité n’est pas absente<br />

dans l’album. Du côté des pertes, ici ou là, des références culturelles de la nouvelle<br />

sont gommées ; l’introduction interne, véritable manifeste écrit par Barbey avant de<br />

nous livrer l’histoire de la diabolique, ne fait pas l’objet d’une mise en images : ce<br />

n’est pas un récit. Plus loin, d’autres références culturelles, religieuses, ont été<br />

ignorées : l’amour extatique de sainte Thérèse pour « son époux divin », par<br />

exemple. Du côté des gains dus à l’adaptation, les exemples ne manquent pas non<br />

plus. Elle confie à de Tressignies les motifs de sa vengeance, la souillure recherchée.<br />

Mais l’héroïne dépravée ne manque cependant pas de pudeur. On a évoqué plus haut<br />

la p. 47, la passe avec le vieillard, dont la duchesse ne parle jamais. Lilao a ajouté le<br />

personnage libidineux à l’histoire. Nous reviendrons sur cette étonnante vignette. On<br />

sait que le sang coule peu chez Barbey d’Aurevilly 1 . Qu’en est-il dans la BD ? Il<br />

figure à plusieurs reprises, pour illustrer l’assassinat d’Esteban, pp. 54, 59, 60, 67.<br />

Lilao en montre davantage que Barbey. La BD étudiée en est-elle pour autant<br />

hyperbolique ? Lilao utiliserait-il le code idéographique 2 sans modération, pour<br />

exagérer les gestes de la vengeance et amplifier les passions ? Quelques exemples<br />

pour répondre par la négative. La scène du meurtre est très silencieuse dans la BD.<br />

Interrogé sur ce silence retentissant, l’auteur a répondu :<br />

« Cette scène me posait problème. Je voulais faire quelque chose de très violent.<br />

Jusque-là, le lecteur est en quelque sorte bercé par une voix off, celle de la<br />

duchesse. Le style devait montrer une rupture très forte. La violence devait<br />

précisément passer par un silence violent. Musicalement, ça crée une rupture. » 3<br />

Alors que Manara ose faire couler les diverses sécrétions du corps, y compris<br />

les plus intimes 4 , Lilao fait preuve de retenue : un lecteur attentif découvre quelques<br />

discrètes gouttes de sueur sur la cuisse de la femme (p. 26). Du point de vue de<br />

l’aspectualisation de l’image, la place du lecteur est privilégiée. Il est parfois plus<br />

près de la courtisane, et en voit davantage que de Tressignies (p. 26). Le plasticien a,<br />

de toute évidence, donné une place à son lecteur qui a, dans l’adaptation de La<br />

vengeance d’une femme, bien plus à décrypter qu’il n’y paraît.<br />

1 COSTE C., "Le sang dans Les diaboliques de Jules Barbey d’Aurevilly", Tangence, n° 70, 2002, p. 53-<br />

65. http://id.erudit.org/iderudit/008485ar.<br />

2 Sur le code idéographique,Voir RENARD J.-B., Clefs pour la bande dessinée, Paris, Seghers, 1978, p.<br />

169-184.<br />

3 Entretien avec Lilao.<br />

4 Milo Manara, maître de la veine érotique. Dans le domaine de l’adaptation de textes littéraires en BD, il<br />

est l’auteur du Decameron d’après Boccace (1974).<br />

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