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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

Bien que l’ordre chronologique des images de la BD diffère parfois quelque<br />

peu du texte d’Aurevilly, le crescendo est respecté, l’assouplissement puis la férocité<br />

de la passion qui reprend son ascension avec toute sa force. L’alternance continue<br />

entre histoire présente et souvenir ressort plus dans la BD que dans la nouvelle. Les<br />

allers-retours entre les planches qui concernent le récit au présent de la duchesse et<br />

les retours en arrière sur sa vie passée scandent le récit, intégrant le dandy, témoin<br />

qui endosse les états d’âme du lecteur.<br />

Le parallèle permanent entre le corps de la prostituée et celui de la duchesse<br />

caractérise la BD. Le premier se distingue par sa nudité, sa fureur, son exhibition<br />

hyperbolique ; le second se montre vêtu, pudique et fier. Ces manifestations<br />

visuelles font écho à un contenu précis, à deux représentations différentes de<br />

l’amour : l’amour contraint vs l’amour chaste et libre. Le dessin exhibe les isotopies<br />

du devoir et du vouloir : d’une part le devoir de se servir de son corps, outil<br />

nécessaire de la vengeance ; d’autre part le vouloir de consacrer son âme entière à<br />

son bien-aimé. La correspondance entre corps et esprit est assez complexe. Il ne<br />

s’agit pas simplement de la division platonicienne entre les deux, mais d’une<br />

comparaison plus subtile. La vengeance est un sentiment ancré dans la profondeur ;<br />

la souillure du corps, au niveau de la manifestation, correspond à celle de l’âme. Car<br />

l’assouvissement de la vengeance passe par la souillure nécessaire du corps. Lilao<br />

insiste (pp. 26 et 27, deux scènes en parallèle réparties sur deux planches en vis-àvis)<br />

sur les marques du corps qui soulignent la décadence pour faire ressortir cette<br />

division dont la vengeance se nourrit. Le corps est montré par les images pour sa<br />

surface, pour son enveloppe. Il est représenté par le toucher agressif de la prostituée<br />

qui semble avoir oublié le protocole de la duchesse. La précision dans la définition<br />

de ces deux figures du texte permet au lecteur de lire la dualité de l’héroïne,<br />

d’intensifier la vengeance d’une manière plus radicale. La représentation graphique<br />

de la Diabolique duplice l’inscrit dans l’histoire de la BD mondiale pour adultes,<br />

dont les représentations de la femme, affriolante créature, sont bien datées 1 .<br />

De la nouvelle à la BD : le corps de l’homme<br />

Dans la BD, un corps est à l’opposite du corps féminin : le corps masculin de<br />

Tressignies. Nous devons aussi élargir aux autres corps masculins dessinés par Lilao<br />

du fait qu’ils gravitent autour de la figure de la duchesse / prostituée, moteur de<br />

l’action. Ces personnages n’expriment pas la même intensité passionnelle : ils ne<br />

sont pas affectés par cet état d’âme qui fortifie l’héroïne. Fantoches écrasés par la<br />

force du trait du corps féminin, leurs corps inexpressifs vêtus à la mode manquent de<br />

corps. Quelques exceptions, cependant : la nonchalante pâleur d’Esteban (p. 39),<br />

l’emportement du duc (p. 55). Les corps masculins sont autant de mécaniques mues<br />

par une sociabilité paralysante. Les représentations de la vie sociale, à la fin de<br />

l’album, en témoignent : il s’agit essentiellement d’hommes en tenue de soirée ou<br />

d’apparat. La vie cachée du corps masculin ne surgit qu’une fois, si l’on excepte de<br />

Tressignies, lequel reste pourtant habillé, ne dégageant que le strict nécessaire à<br />

l’accouplement avec l’Espagnole. P. 47, un vieillard nu, grotesque, difforme,<br />

consomme la femme. Il porte encore son chapeau, mais ce reste de dignité<br />

1 TABUCE B., "Femmes en BD", Dictionnaire des mythes féminins, Pierre Brunel dir., Centre de<br />

Recherche en Littérature Comparée, Monaco,Université Paris Sorbonne / Éditions du Rocher, 2002.<br />

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