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LA VENGEANCE ET SES REPRÉSENTATIONS CORPORELLES…<br />

souvent avec subtilité. Ainsi, p. 6, le plan rapproché sur la tenue de la femme et la<br />

cambrure de ses reins en fait un quasi-ethnotype, un cliché de l’Espagnole<br />

sensuelle 1 . Ce qui permet l’ellipse habile, p. 7 et « Vous êtes espagnole ? » prononcé<br />

par le libertin au regard blasé. Alors que, p. 7, le regard de la courtisane semble<br />

résigné, il devient extrêmement dur p. 11. Offerte nue tout au long de 11 planches<br />

d’un érotisme poussé qui ne doit rien à Pichard, voire à Manara, elle interrompt, p.<br />

24, son rôle de prêtresse de l’amour charnel par deux vignettes très contrastées. La<br />

première vignette, très obscure, est un gros plan sur le visage de la prostituée ; la<br />

deuxième vignette, très lumineuse, plan d’ensemble sur un beau paysage, contraste<br />

avec la précédente sans être pour autant séparée d’elle par un trait qui en ferait une<br />

case. En utilisant l’encre et le clair-obscur, Lilao, qui n’affectionne pas les lignes<br />

droites et les traits à la règle, n’enferme pas ses dessins dans des cadres. Bien au<br />

contraire, son amour de l’aquarelle le guide : « Il faut “laisser passer”, ne pas<br />

limiter, enfermer l’image… Il faut que le récit se poursuive, établir des<br />

correspondances. » 2 La double métamorphose, celle de la duchesse et celle du<br />

dandy, p. 27 de l’album, est très soignée : Robert de Tressignies, le flambeur, n’est<br />

plus lui-même. Et, dans son imagination, la vignette 2, qui représente une curieuse<br />

duchesse aux fesses nues, chute dans une mer opaque. Page suivante, comme chez<br />

Barbey, il la vouvoie. S’il n’est pas Holopherne, c’est une Judith déterminée qui fait<br />

son entrée p. 14. Au lecteur de le découvrir. Lorsque le mot « vengeance » apparaît<br />

dans la BD, p. 28, il est en correspondance avec le poing fermé de la duchesse.<br />

Esteban, marquis de Vasconcellos, dessiné par Lilao, est un Christ ancré dans<br />

l’iconographie traditionnelle. P. 43, l’expression de Barbey « deux pistolets tirés en<br />

même temps et qui tuent » fait doublon avec la vignette 2 où les amants, figés dans le<br />

vent qui emporte chevelures et habits, sont dans un face à face silencieux, à distance,<br />

tels des duellistes, mais les bras le long du corps. La vignette 3 p. 45 est l’image<br />

d’une chasteté indécente : construit sur l’axe sémiotique du haut et du bas,<br />

l’oxymore juxtapose le haut du corps drapé dans une posture virginale, alors que le<br />

bassin demeure nu, relief trivial de l’instant de débauche qui précède. À sa manière,<br />

Lilao, dit presque la même chose 3 que Barbey d’Aurevilly.<br />

Le personnage féminin entre en scène par sa chair que l’image déploie dans<br />

ses détails. Les spasmes de la chair, mis en évidence par le trait, expriment avec<br />

force la vengeance et son ancrage dans le corps. On assiste à une alternance<br />

rythmique intéressante entre le corps et le visage. Les plans se succèdent, insistant<br />

tantôt sur le corps, comme outil de travail de cette femme, tantôt sur le visage<br />

comme expression de la froideur de la vengeance. La dichotomie entre le corps<br />

passionné et les différentes expressions du visage (yeux fermés, yeux ouverts, fierté,<br />

regard fixe, p. 14, p. 32). La duchesse s’affiche nue ou presque à partir des<br />

premières planches et jusqu’à la fin de son apparition. Pourquoi ? Parce qu’à travers<br />

les gestes, les mouvements de la chair et les expressions du visage, nous assistons à<br />

tous les états d’âme de la vengeance : la férocité (p. 50 et 65), la furie (p. 60-61), la<br />

mélancolie (p. 66), la soif de vengeance (p. 70).<br />

1 Cf. AMOSSY R. Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991 et AMOSSY R. et<br />

HERSCHBERG PIERROT A., Stéréotypes et clichés, Paris, Nathan, 1997.<br />

2 Cf. entretien.<br />

3 ECO U., Dire presque la même chose, Paris, Grasset & Fasquelle, 2007.<br />

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