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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

marbres dormait un volcan », « me tomba sur le cœur comme un aigle tombe à pic<br />

sur un enfant qu’il enlève et qui crie. Je criai aussi », « Notre amour avait eu la<br />

simultanéité de deux coups de pistolet tirés en même temps, et qui tuent ». Les mots<br />

rationnels enclenchent la vengeance qui prend une forme corporelle : « Mais don<br />

Christoval me répondit […] :“Il n’oserait !”. C’était le mépris du Destin, qui se<br />

vengea en s’accomplissant. Ce mot me jeta à Esteban ». L’amour avec Esteban n’est<br />

pas charnel, le milieu culturel et religieux où il éclot en fait une sorte de dévotion<br />

religieuse. « Croyez-moi, […] ce fut un amour tout à la fois brûlant et chaste, un<br />

amour chevaleresque, romanesque, presque idéal, presque mystique », un « amour<br />

extatique », qu’elle compare à celui de sainte Thérèse pour son « Époux divin »,<br />

« une foi qui enflammait la pureté du mien. Il m’avait dans son cœur, comme une<br />

madone dans sa niche d’or, —avec une lampe à ses pieds, une lampe<br />

inextinguible ». Des parallèles avec le supplice de Sainte Thérèse (« je meurs de ne<br />

pouvoir mourir ») et plus généralement avec la mystique, font face à un corps qui se<br />

voue au sacrifice. La vue de souffrance de la chair transfigure le corps de la femme :<br />

« je ne sortis que par un déchirement de tout mon être. Je sentis qu’on m’ouvrait la<br />

poitrine et qu’on m’arrachait le cœur ». Et, devant le sacrifice sacrilège, le cœur de<br />

l’amant devient hostie : « j’aurais communié avec ce cœur comme avec une hostie ».<br />

Plus le désir de vengeance est alimenté par le souvenir, très concret, qu’elle confie,<br />

plus la vengeance se renforce et se concrétise par le contact du corps avec une<br />

douloureuse relique : « Quand le génie de la vengeance faiblit en moi, [….], je<br />

m’entortille dans cette robe, je vautre mon corps souillé dans ses plis rouges,<br />

toujours brûlants pour moi et j’y réchauffe ma vengeance ». L’augmentation de la<br />

force de cette passion se fait à travers le corps grâce à la répétition de ce mot par la<br />

protagoniste et grâce à la multitude de détails qui l’entourent. Tout d’abord la<br />

référence à la Gorgone et à sa tête remplie de serpents, le climax « la vengeance, ma<br />

vengeance », et bien évidemment la cruauté de cette vengeance « je me jurai que, ce<br />

nom, je le tremperais dans la plus infecte des boues, que je le changerais en honte,<br />

en immondice, en excrément ! ». La figure de cette femme se définit grâce à<br />

l’opposition continue entre deux sentiments que la vengeance alimente : une<br />

tendresse très peu dévoilée (« la Gorgone était devenue touchante, mais ses yeux<br />

étaient restés secs », d’insoupçonnables « gouffres de profondeur et de volonté » de<br />

se venger sont en elle. Cette passion est encore loin d’être éteinte : « Elle s’arrêta.<br />

De livide elle était devenue pourpre. La sueur lui découlait des tempes. Elle<br />

s’enrouait. Est-ce le croup de la honte ? Elle saisit fébrilement une carafe sur la<br />

commode, et se versa un énorme verre d’eau qu’elle lampa ». Le passage par le<br />

sensible se transcende dans la dimension extatique pour se concrétiser dans le<br />

passage à l’acte et se conclut avec la nécessaire consommation du corps dans la<br />

passion qu’il abrite. Le dandy en sort transformé : « il y avait en lui un inexprimable<br />

mélange d’admiration, d’horreur et de mépris ». De blasé il « devint sombre ».<br />

Barbey construit la vengeance dans une tension continue entre la chair et l’esprit.<br />

D’une part la seule composante charnelle n’est pas suffisante à l’identifier, d’autre<br />

part l’esprit ne peut pas contenir la force de cette passion.<br />

En adaptant Barbey, Lilao s’attache à rendre compte des métamorphoses que<br />

l’on vient de voir, de l’amour bestial et de l’amour sublime, de la subtilité des<br />

interstices du texte. Certes, les dialogues et les récitatifs reprennent pertinemment de<br />

larges extraits du texte de Barbey d’Aurevilly, mais le dessin aussi donne à voir,<br />

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