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LA VENGEANCE ET SES REPRÉSENTATIONS CORPORELLES…<br />

d’une femme. Je les ai dessinés comme je les imaginais. » 1 Dès les premières lignes<br />

de la nouvelle, en effet, le corps de la femme attire le regard par sa « mise trop<br />

voyante […] et le tortillement de sa démarche ». Il y a la description des plis de la<br />

robe, de la cambrure du dos. Sa beauté est bien surprenante en ce « ravin sombre ».<br />

N’est-elle pas « un des plus beaux types de la race espagnole » ? Le jeune homme<br />

convoite d’emblée le corps de la femme ; néanmoins, un souvenir, enfoui dans le<br />

passé, pousse de Tressignies, un dandy impénitent qui croyait avoir déjà tout vécu, à<br />

suivre la belle. Sa ressemblance avec une noble femme du passé, qu’il n’avait pu<br />

aimer que de loin, est le moteur de l’action. Et pour cause, car c’est bien d’elle qu’il<br />

s’agit. Le corps de l’héroïne est dressé par « une fierté résolue et presque terrible »,<br />

une « fierté cruelle ». « Elle était sérieuse et sa tête respirait quelque chose de si<br />

étrangement implacable, qu’il ne lui manquait que le sabre recourbé aux mains<br />

pour que ce dandy de Tressignies pût, sans fatuité, se croire Holopherne ». Une<br />

volonté implacable, avec toute la force d’une froide passion, anime le corps de cette<br />

femme, dirige ses mouvements corporels. Plus le corps se montre provocant et<br />

voluptueux en se transformant presque en un « monstre », « une panthère », plus la<br />

vengeance métamorphose le corps au bord « de la folie et du délire » en « une mer<br />

qui roule un fort nageur dans [ses abîmes] ». La révélation de l’identité de la<br />

duchesse provoque une coupure textuelle majeure et paradoxale : à la chaleur<br />

sensuelle de l’amante répond la froideur de la vengeance de l’épouse ; le corps du<br />

dandy en est saisi, il se retrouve « désenivré, transi, écrasé ». « La certitude que<br />

c’était là réellement la duchesse de Sierra-Leone, n’avait pas ranimé ses désirs,<br />

éteints aussi vite qu’une chandelle qu’on souffle. […] La duchesse, en émergeant à<br />

travers la fille, l’avait anéanti ». Le corps, redécouvert sous une autre lumière, se<br />

fige. La voix du dandy reste collée à sa gorge. Il tutoyait la courtisane, il voussoie<br />

désormais la diabolique duchesse. Ces deux corps mis en opposition créent une<br />

dysphorie dans le lecteur mais permettent de retrouver une objectivité calculatrice,<br />

nécessaire à l’installation de cette passion froide qu’est la vengeance. Cette<br />

alternance entre la cruauté chaude presque animalesque et la froideur rationnelle du<br />

sentiment rythme en quelque sorte cette nouvelle. Le corps se fait le réceptacle des<br />

sentiments et se transforme pour les accueillir. « L’attitude de ce corps effréné était<br />

devenue chaste ». Lorsque le mot vengeance apparaît pour la première fois dans le<br />

texte, il surgit avec toute la force du corps et la profondeur de la pensée : « A<br />

présent, […] je ne suis plus que dans l’ivresse de la vengeance… Mais je la ferai<br />

assez profonde,— ajouta –t-elle avec une violence concentrée, — pour y mourir,<br />

dans cette vengeance, comme les mosquitos de mon pays, qui meurent, gorgés de<br />

sang, dans la blessure qu’ils ont faite ». Le corps devient ici le seul moyen de<br />

vengeance qui normalement est dirigée vers autrui non seulement dans les intentions<br />

(comme dans cette nouvelle) mais aussi dans l’exécution physique de l’autre. Ce<br />

dernier aspect est pris en charge par le corps de notre héroïne qui sacrifiera sa chair<br />

pour la profondeur de son ressentiment. Cette dichotomie continue entre la pensée et<br />

le corps est présente tout au long de la description de l’histoire personnelle de la<br />

protagoniste. Par exemple : « car je suis brûlée à tous les feux de l’enfer », « … dans<br />

cette dure et compressive étiquette qui empêcherait les cœurs de battre, si les cœurs<br />

n’étaient pas plus forts que ce corset de fer », « je ne soupçonnais pas que sous ces<br />

1 Entretien.<br />

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