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Traduire

traduire...Interpréter

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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

notions de source et cible soient bien discrétisantes. Passons...<br />

En commençant par un présumé commencement, peut-on envisager la<br />

création (littéraire ici) comme traduction ? Je reprendrai la phrase de Proust citée par<br />

Pierre dans son texte d'orientation du colloque : « Je m'apercevais que, pour<br />

exprimer ces impressions, pour écrire ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand<br />

écrivain n'a pas, dans le sens courant, à l'inventer puisqu'il existe déjà en chacun de<br />

nous, mais à le traduire. Le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un<br />

traducteur » (p. 589 de la Recherche, tome III éd. Gallimard, Paris 1947 ; je mets<br />

des italiques insistants à certains termes) ; mais il ne faut pas interpréter de façon<br />

simpliste ou simplificatrice cette opinion de Proust et (i) bien sûr n'y voir qu'une<br />

variante moderne de la bouche d'ombre ou de la dictée inspiratrice, cf. aussi les<br />

surréalistes et l'écriture automatique, dans une sorte de réalisme transcendantal – il<br />

s'agit bien chez Proust de traduire et non de consigner par écrit : une tradition existe<br />

aussi donc à ce niveau réflexif, mais reprise, transformée, réécrite, comme on voit ;<br />

(ii) parler de transposition n'est pas exact non plus : ce terme ne fait pas droit au<br />

phénomène de transformation (mais complexe) qui dans la création fait passer de<br />

l'impression à l'expression ; qu'est-ce qui cherche à se dire dans telle impression ?<br />

Quelle expression travaille l'impression, de l'intérieur ? Que peut-on retrouver de<br />

l'impression dans l'expression ? Le passage de l'impression à l'expression peut être<br />

laborieux (Ponge), mais l'expression peut aussi jaillir spontanément, semblant se<br />

passer de l'impression – mais il s'agit probablement là de l'expérience limite de<br />

l'expression-impression (trait d'union) : ce couple impression/expression ressortit<br />

probablement, comme bien d'autres, aux relations de complexité ; et ce qui semble<br />

compter c'est la notion de cycle (et/ou de spirale et non de la ligne) pour ce couple<br />

impression-expression, absolument indispensable à et constitutif de la création vue<br />

comme une transformation et un échange. Perception du texte et perception du<br />

monde extérieur et intérieur répondent l'un(e) de l'autre. Pour recourir encore à une<br />

métaphore, cela serait à rapprocher du cycle de la respiration (comme transformation<br />

et échange) : don et contre-don constants, l'inspiration et l'expiration entretiennent<br />

des relations d'inclusion que cache peut-être leur successivité et sont<br />

fondamentalement des forces énergétiques à base de concentration et dilatation et<br />

qui répondent l'une de l'autre et de leur relation à l'entour et, dans ce qui nous<br />

intéresse ici, à l'entour humain. D'une beauté inexprimable, on dit qu'elle « coupe le<br />

souffle ». Je ne développe pas cette analogie création/respiration psychique, analogie<br />

qui a sans doute des vertus. Dans la phrase de Proust, je crois qu'envisager la<br />

création (l'écriture ici) comme de la traduction (au sens le plus complet) renvoie en<br />

fait à la non dichotomisation du couple inventer/découvrir dont les relations sont<br />

complexes, et cela c'est plutôt nouveau (conceptuellement). Il n'est pas sûr que ne<br />

pointe (ailleurs, dans la pensée proustienne) la problématique paradoxale, faite<br />

d'interaction, de toute genèse (c'est la question - mal posée – du commencement, de<br />

l'origine) : cf. « Deux êtres qui semblaient la traduction l'un de l'autre, bien que<br />

chacun d'eux fût un original », (PROUST, Chron., 1922, p. 71) ; cette traduction<br />

des êtres l'un dans l'autre sans que chacun ne cesse d'être un original est bien loin de<br />

« transformer » un monde qu'on ne se soucie plus d'interpréter dans ce qu'il a d'à peu près permanent »<br />

(Poésie/Gallimard, NRF, p. 8). A l'époque, 1949, et dans ce texte, « transformer » renvoyait à la<br />

transformation physique/industrielle du monde par l'homme et fait opposition chez Breton avec la notion<br />

d'interprétation, non exempte ici d'un certain réalisme transcendant.<br />

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