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L’AUTOBIOGRAPHIE LEIRISIENNE : UNE RECHERCHE CONTINUE DU SENS<br />

égotiste de Leiris, à son repli sur soi. Puisque l’écriture est celle qui donne un sens à<br />

sa vie, il ne pourrait concevoir l’une sans l’autre. La quête de soi est, finalement, un<br />

retour incessant à soi, par un jeu de répétitions et de miroitements infinis. «Cet essai<br />

pluriel, où [le narrateur] essaie et réessaie, [s]’armant de multiples clés et secouant<br />

de multiples portes» 1 , relève d’un désir inassouvi d’auto-exploration et de<br />

réinvention du moi. L’écrivain semble vouloir continuer indéfiniment la recherche<br />

de soi, afin de ne jamais boucler la boucle du récit : «je dépense jour sur jour à<br />

étoffer et fignoler ce récit déjà trop ornementé, le fourbissant, le redressant, le<br />

truffant de considérations» 2 . Grâce aux séquences métadiscursives qui sont<br />

disséminées à travers tous les ouvrages autobiographiques de Leiris, le lecteur entre<br />

dans le laboratoire de l’écrivain et participe au travail de l’écriture, guidé par un<br />

auteur soucieux de s’expliquer et de mettre au premier plan son labeur plutôt que<br />

son produit littéraire.<br />

Nous sommes enclins à dire que l’autobiographie leirisienne est à la fois<br />

écriture de soi au miroir de l’autre, dialogue entre le moi et son parcours culturel.<br />

Allusions, références directes, emprunts ou citations : tels sont les moyens par<br />

lesquels ce texte signale sa «présence» et sa place dans le monde discursif. Le<br />

recours au discours d’autrui est pour Leiris une manière biaisée et métaphorique de<br />

se regarder et de parler de soi, une prise de distance par rapport au texte et à la<br />

réalité. Le sujet ne s’aborde pas directement, mais par détour, en faisant appel à ses<br />

biblio-textes 3 . Une disposition encyclopédique amène l’auteur à nous inviter à de<br />

longues flâneries esthétiques dans un univers peuplé de livres et de tableaux et<br />

baigné dans une musique irréelle. L’évasion dans le monde des mots, du spectacle,<br />

ou de l’image équivaut à une fuite devant le réel, à un abandon de l’authenticité en<br />

faveur de l’artifice, du faux-semblant et du jeu. L’écrivain craint le contact direct<br />

avec le concret déplaisant et cherche refuge dans l’espace des substituts imaginaires<br />

qui parviennent à lui donner un sentiment de sécurité ontologique. Les paysages<br />

qu’il voit, les personnes qu’il connaît ou croise dans la rue ont tous des<br />

correspondants dans le monde de la fiction. Telle femme est une Jeanne d’Arc, tel<br />

homme est un chevalier de la Table Ronde, tel paysage lui évoque un vers<br />

d’Apollinaire… Les histoires d’amour sont placées par l’autobiographe sous le<br />

signe du tragique, illustré par le diptyque de Cranach l’Ancien, Lucrèce et Judith.<br />

Leiris manifeste dès son enfance un goût particulier pour les livres (tels les<br />

dictionnaires, les albums ou les almanachs) où il semble que toutes les<br />

connaissances soient condensées. Nous osons affirmer que l’œuvre leirisienne<br />

pourrait être conçue justement comme une sorte de Speculum encyclopédique de son<br />

existence. L’écrivain s’ingénie à créer un livre qui n’est ni journal, ni<br />

autobiographie proprement dite, ni œuvre d’imagination, ni narration ni poésie, mais<br />

tout cela à la fois : «Livre conçu de manière à pouvoir constituer un tout autonome à<br />

quelque moment que (par la mort…) il soit interrompu. Livre, donc, délibérément<br />

établi comme œuvre éventuellement posthume et perpétuellement work in<br />

1 Leiris M., Frêle bruit, Paris : Gallimard, 1986, p. 238.<br />

2 Ibidem, p. 200.<br />

3 Nous empruntons ce terme à Jean Ricardou, qui le définit comme tout texte évoqué dans un autre texte<br />

(Nouveaux problèmes du roman, Paris : Seuil, 1978, p. 129).<br />

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