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LE RETOUR DU TEXTE TRADUIT OU LE RETOUR DU ROMAN<br />

l’idéologie en place. L’accusation de plagiat dont a été victime Kiš à la sortie de son<br />

roman Un tombeau pour Boris Davidovitch 1 illustre parfaitement ce processus.<br />

En émigration, si des écrivains continuent d’écrire en leur langue cela ne<br />

signifie pas qu’ils écrivent pour les locuteurs de la langue qu’ils utilisent ; ils<br />

peuvent envisager leur création littéraire dans la perspective d’une traduction, en<br />

d’autres mots destinent prioritairement leur œuvre aux locuteurs du pays d’accueil.<br />

S’ils adoptent la langue du pays d’accueil, ou toute autre langue de grande diffusion,<br />

cela ne signifie pas que leur œuvre n’a pas été traduite. Au contraire, le premier acte<br />

de traduire est effectué par l’auteur lui-même, puisqu’il fait le choix d’écrire dans<br />

une langue qui n’est pas la sienne. Lorsqu’ils utilisent la langue du pays d’accueil<br />

(parfois s’autotraduisent ou corrigent leurs textes 2 ) c’est bien parce qu’ils<br />

revendiquent une place dans la littérature mondiale et, soucieux de leur apport<br />

novateur, ils souhaitent le traduire, eux-mêmes avec fidélité, dans sa différence non<br />

par le filtre d’une traduction qui homogénéiserait ou standardiserait leur œuvre et<br />

leur écriture. La traduction ou l’autotraduction n’est donc pas une littérarisation de<br />

leur œuvre telle que définie par Casanova : « toute opération – traduction,<br />

autotraduction, transcription, écriture directe dans la langue dominante – par laquelle<br />

un texte venu d’une contrée démunie littérairement parvient à s’imposer comme<br />

littéraire auprès des instances légitimes. Quelle que soit la langue dans laquelle ils<br />

sont écrits, ces textes doivent « être traduits », c’est-à-dire obtenir un certificat de<br />

littérarité 3 . » car il s’agit d’une œuvre littéraire mais, dirons-nous, une<br />

translittération. Par l’autotraduction, par la correction de la traduction, ou par la<br />

traduction, quand elle est de qualité, l’écrivain inscrit sa présence et sa participation<br />

aux découvertes littéraires. Grâce aux « grandes » langues de communication et de<br />

diffusion, il essaye de rendre accessible ses créations pour le plus grand nombre de<br />

lecteurs. Une littérature qui ensuite reviendra, immanquablement, dans le pays<br />

d’origine, là où sa présence est ignorée, interdite ou simplement impossible.<br />

Le roman qui s’en revient sous la forme d’un texte traduit, en tant que roman<br />

qui explore toutes les possibilités de l’existence, bien que présent, n’est pas, comme<br />

nous l’avons vu, toujours compris. Son retour peut être source de malentendus :<br />

« J’ai éprouvé un étrange plaisir malin à me voir retourner au pays natal sur un âne<br />

de malentendu 4 . »<br />

PEJOSKA-BOUCHEREAU Frosa<br />

INALCO - Paris<br />

frosa_pejoska@yahoo.fr<br />

1 Danilo Kiš, Un tombeau pour Boris Davidovitch, traduit du serbo-croate par Pascale Delpech,<br />

Gallimard, 1979. Cf. Frosa Pejoska, « l’écriture comme cénotaphe », article cité plus avant.<br />

2 Dans les éditions des œuvres de Kundera, à la rubrique : « Œuvre de Milan Kundera », il est précisé ce<br />

qui suit : « Entre 1985 et 1987 les traductions des ouvrages ci-dessus ont été entièrement revues par<br />

l’auteur et, dès lors, ont la même valeur d’authenticité que le texte tchèque. » « La traduction de<br />

L’Immortalité, entièrement revue par l’auteur, a la même valeur d’authenticité que le texte tchèque. »<br />

3 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit., p.192.<br />

4 Après la parution, en Tchécoslovaquie, de la quatrième partie du roman Livre du rire et de l’oubli,<br />

éditée en plaquette à part, – première édition d’un texte de Kundera après vingt cinq années d’interdiction<br />

–, il reçut une coupure de presse où un critique nommé Banaka exprimait son contentement de l’auteur et<br />

« comme preuve de mon intelligence, écrit Kundera, citait ces mots qu’il jugeait brillants : « Depuis<br />

James Joyce déjà nous savons que la plus grande aventure de notre vie est l’absence d’aventure », etc.,<br />

etc. J’ai éprouvé un étrange plaisir malin à me voir retourner au pays natal sur un âne de malentendu. »<br />

Milan Kundera, Les testaments trahis, op. cit., p.234.<br />

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